Plaignant
Simon Ouellet
Mis en cause
Yves Boisvert, chroniqueur
La Presse
Résumé de la plainte
Simon Ouellet dépose une plainte le 26 mars 2019 contre le journaliste Yves Boisvert et le journal La Presse concernant la chronique intitulée « Qu’est-ce qu’on attend pour bannir ces armes? » qui a été publiée le 24 mars 2019. Le plaignant reproche des informations inexactes.
CONTEXTE
Dans sa chronique, Yves Boisvert donne son opinion en faveur de l’interdiction au Canada de toutes les armes à feu autres que celles destinées à la chasse. Il appuie son argumentation en soulignant les largesses de la législation canadienne et en la comparant à celles de pays devenus plus restrictifs après des tueries de masse, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide)
1.1 Capacité des chargeurs
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en écrivant : « Les chargeurs au Canada sont limités à une capacité de cinq projectiles pour les armes “non restreintes” et de dix pour les armes à autorisation restreinte. »
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’informations inexactes sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Après analyse de la réglementation applicable aux chargeurs d’armes à feu, le Conseil constate qu’il est erroné d’affirmer que leur capacité maximale est rattachée à la classe de l’arme de feu dans laquelle ils sont utilisés. La capacité d’un chargeur dépend du type de l’arme pour laquelle il a été conçu (à poing ou d’épaule; semi-automatique, automatique ou ni l’un ni l’autre; à percussion annulaire ou centrale) et non de sa classification (sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée), comme le rapporte le journaliste. Ainsi, des armes à autorisation restreinte comme le fusil M15 ont des chargeurs limités à 5 cartouches, alors que d’autres armes à autorisation restreinte comme le pistolet Beretta 9 mm ont des chargeurs limités à 10 balles. Autre exemple avec la SKS, une arme sans restriction, et le M15, une arme à autorisation restreinte : les chargeurs pour ces deux fusils semi-automatiques sont limités à 5 coups. En cherchant à généraliser sur un sujet aussi complexe, le chroniqueur a pris un raccourci qui se révèle inexact, estime le Conseil.
Contrairement au plaignant qui prétend que cette « information erronée pourrait induire des gens en erreur et ainsi ces gens pourraient se retrouver en possession d’un dispositif prohibé entre les mains », le Conseil considère que cette inexactitude ne pourrait avoir qu’un impact très relatif sur le public et que cette erreur de fait ne change en rien la compréhension de l’argumentaire que véhicule le journaliste dans sa chronique.
1.2 Modification des chargeurs
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en laissant croire, comme le prétend le plaignant, que « les chargeurs sont bloqués seulement pour qu’il soit difficile de les utiliser avec un plus grand nombre de cartouches (…) et que si les gens achètent des chargeurs américains, cela leur permettra d’utiliser le chargeur à pleine capacité. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’informations inexactes sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le Conseil estime que le plaignant interprète les propos d’Yves Boisvert. Dans le passage en cause, le chroniqueur écrit qu’« il est facile de modifier les chargeurs en retirant un petit bloqueur et d’y mettre jusqu’à 30 projectiles. Ou d’acheter en ligne un chargeur américain ». Il ne remet pas en question la réglementation relative aux chargeurs d’armes à feu, comme le soutient le plaignant, mais rapporte un fait : il est possible de modifier la capacité d’un chargeur en retirant la pièce qui la limite.
Le Conseil a en effet constaté que cette manoeuvre a, par exemple, été employée par l’auteur de l’attentat de la soirée électorale de 2012, au Métropolis à Montréal, Richard Henry Bain, pour augmenter la capacité du chargeur de l’arme semi-automatique qu’il a utilisée. L’information rapportée par Yves Boisvert est donc fidèle à la réalité, conclut le Conseil.
Par ailleurs, le plaignant considère qu’« il serait aussi complètement illégal d’importer des chargeurs qui ne sont pas bloqués à la limite permise. La limitation n’est pas une question de convenance, mais plutôt de lois », affirme-t-il. Cependant, le Conseil observe que le chroniqueur n’écrit pas qu’il est légal d’importer un chargeur américain qui ne respecterait pas la législation applicable au Canada.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Simon Ouellet contre Yves Boisvert et le journal La Presse pour information inexacte concernant la réglementation relative à la capacité des chargeurs. Cependant, considérant qu’il s’agit d’un manquement mineur, les mis en cause ne reçoivent pas de blâme. Le Conseil invite toutefois les journalistes et les médias à la rigueur lorsqu’ils rapportent des informations sur un sujet complexe et sensible comme celui des armes à feu, même si ces informations seront perçues, aux yeux de plusieurs, comme des détails.
Le Conseil rejette l’autre grief d’information inexacte visant le journaliste et le journal La Presse.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Luc Grenier
Renée Lamontagne
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Jeanne Dompierre