Plaignant
Réjean Huot
Sylvie Renaud
Trois plaignants en appui
Mis en cause
Luc Lavoie, collaborateur
Émission « Drainville PM »
La station 98,5 FM
Résumé de la plainte
Réjean Huot, Sylvie Renaud et trois autres personnes déposent une plainte les 28 et 29 mars 2019 contre Luc Lavoie, l’émission « Drainville PM » à laquelle il collabore ainsi que la station 98,5 FM concernant un segment de l’émission du 28 mars 2019. Les plaignants déplorent un manque de rigueur de raisonnement, des propos injurieux atteignant à la dignité, un correctif insuffisant et de la diffamation.
CONTEXTE
Lors de l’émission mise en cause, l’animateur Bernard Drainville et le chroniqueur Luc Lavoie discutent du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État déposé le jour même à l’Assemblée nationale par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ). Ce projet de loi interdit le port de signes religieux aux enseignants du primaire et du secondaire, notamment.
Luc Lavoie se prononce contre le projet de loi parce qu’il estime que ce projet retire des droits aux minorités. Au cours de la discussion, Bernard Drainville reproche à Luc Lavoie de faire preuve de démagogie. Il lui fait remarquer que la proposition est cohérente avec le programme électoral de la CAQ défendu par son chef, François Legault, lors des élections de 2018, ce à quoi Luc Lavoie réplique qu’Adolf Hitler a été élu après avoir publié Mein Kampf.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DES PLAIGNANTS
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement » (article 9 b) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Luc Lavoie a manqué de rigueur de raisonnement.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Analyse
Bien que les plaignants déplorent le parallèle entre l’élection d’Adolf Hitler et celle du premier ministre du Québec, François Legault, et qu’ils estiment que le chroniqueur compare le manifeste Mein Kampf d’Adolf Hitler au programme électoral de la CAQ, le Conseil ne constate pas un tel amalgame dans l’extrait visé par la plainte :
Luc Lavoie : Ce monsieur Legault, ce grand homme de François Legault…
Bernard Drainville : Luc… Le Québec, les Québécois ont le droit de décider.
Luc Lavoie : … la plus grande girouette de l’histoire politique du Québec…
Bernard Drainville : Il a été élu là-dessus! Voyons donc! Pourquoi tu dis ça?
Luc Lavoie : Ah! Y’a été élu là-dessus?
Bernard Drainville : Ce qu’il vient de déposer comme projet de loi, c’est exactement ce qu’il avait mis dans son programme lors de l’élection!
Luc Lavoie : Ben, tu vois…
Bernard Drainville : Y’ont été élus majoritaires…
Luc Lavoie : Qu’est-ce qu’on a à chialer contre Hitler? Il avait écrit Mein Kampf pis y’a été élu!
Voix : On se calme.
Bernard Drainville : Luc, Luc, Luc…
Luc Lavoie : Ben c’est vrai. Y’a été élu!
Bernard Drainville : Arrête!
Luc Lavoie : Y’a été élu ou y’a pas été élu?
Bernard Drainville : Luc, tu viens de comparer François Legault à Hitler. Tu te rends-tu compte, c’est totalement ridicule.
Luc Lavoie : C’est pas totalement ridicule, c’est la même logique.
Bernard Drainville : Arrête! Arrête!
Luc Lavoie : Il s’est fait élire après avoir publié Mein Kampf! Mein Kampf, c’était quoi? C’était l’histoire de l’Holocauste à venir. Les gens l’ont élu.
Bernard Drainville : Franchement!
Luc Lavoie choisit un exemple d’un goût discutable pour déconstruire l’argument de l’animateur Bernard Drainville voulant que la position de la CAQ sur le port de signes religieux soit légitime parce qu’elle faisait partie de son programme électoral, mais le chroniqueur n’établit pas de comparaison entre Adolf Hitler et François Legault ni entre leurs politiques. C’est d’ailleurs ce qu’il fait valoir dans le communiqué d’excuse publié le jour même : « Les deux [hommes] n’ont rien en commun d’aucune façon. J’ai mentionné le fait que M. Legault comme Hitler avait été élu. Exprimant le point de vue que le fait qu’un gouvernement soit élu ne lui donne pas tous les droits. » Il compare une démarche, c’est-à-dire le fait que les deux hommes ont reçu un appui très fort basé sur leur plateforme électorale. En aucun cas, Luc Lavoie n’associe le contenu du projet de loi 21 à celui de Mein Kampf.
Grief 2 : propos injurieux atteignant à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les propos de Luc Lavoie étaient injurieux et ont atteint à la dignité de François Legault.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de propos injurieux atteignant à la dignité.
Analyse
Bien que les propos de Luc Lavoie aient pu choquer certains auditeurs et paraître déplacés, le Conseil juge qu’ils ne portent pas atteinte à la dignité de François Legault et que la liberté d’expression lui permettait de faire cette référence historique. De la même façon, dans la décision D2017-03-036, la commission d’appel avait reconnu que les propos du chroniqueur sur les performances de l’équipe de baseball israélienne avaient pu choquer certains auditeurs, mais elle jugeait que « l’émission étant l’expression de points de vue sur l’actualité sportive, elle permettait une grande latitude au journaliste » et que celui-ci n’avait pas outrepassé les limites permises par la liberté d’expression.
Tout comme dans cette décision antérieure, on ne constate pas de propos injurieux atteignant à la dignité, d’autant plus que le chroniqueur ne compare pas le premier ministre québécois au führer allemand.
La décision des mis en cause de présenter des excuses ne constitue pas l’admission d’un manquement déontologique. Il relève de la discrétion des dirigeants de la station de s’excuser auprès des auditeurs qui auraient pu être choqués par les propos de M. Lavoie.
Grief 3 : correctif insuffisant
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont respecté le principe concernant la correction des erreurs.
Décision
Le Conseil n’ayant pas constaté de manquement déontologique, il rejette le grief de correctif insuffisant.
Grief non-traité : diffamation
« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement No 2, article 13.03)
Le plaignant déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas, car elle n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Réjean Huot, Sylvie Renaud et trois autres personnes contre Luc Lavoie, l’émission « Drainville PM » et la station 98,5 FM concernant les griefs de manque de rigueur de raisonnement, propos injurieux atteignant à la dignité et correctif insuffisant.
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Éric Trottier