Plaignant
Luc Desjardins
Mis en cause
Emilie Nicolas, chroniqueuse
Le Devoir
Résumé de la plainte
Luc Desjardins dépose une plainte le 6 avril 2019 contre la chroniqueuse Emilie Nicolas et Le Devoir concernant l’article « Ce qui se passe au Québec comme ailleurs est grave », publié le 4 avril 2019. Le plaignant déplore un titre inexact, un manque de rigueur de raisonnement, de la discrimination et de la partialité.
CONTEXTE
Dans sa chronique, Emilie Nicolas dénonce le racisme et la xénophobie envers les populations musulmanes à travers le monde, qui ont en commun, selon elle, leur « indésirabilité » et d’être perçues comme étant « dangereuses » en raison de leur foi. La chroniqueuse soutient qu’il existe, même au Canada, des exceptions dangereuses aux libertés fondamentales et qu’au Québec spécifiquement, le projet de loi 21 (devenu Loi sur la laïcité de l’État), menace la démocratie et « exacerbe la violence et les préjugés ».
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : titre inexact
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le titre « Ce qui se passe ici comme ailleurs est grave » est inexact.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de titre inexact.
Analyse
Le plaignant soutient que le titre de l’article est inexact, car le mot « comme », selon lui, « implique qu’il se passe au Québec les mêmes événements qu’ailleurs ». Or, tel qu’expliqué par les mis en cause dans leur réplique au Conseil, le mot « comme » dans le titre signifie qu’il se passe des événements graves au Québec, comme ailleurs dans le monde ou encore que « les choses qui se passent au Québec et les choses qui se passent ailleurs ont en commun d’être graves ». Le Conseil estime, par ailleurs, que le titre reflète adéquatement l’opinion de la chroniqueuse qui explique pourquoi, selon elle, le projet de loi québécois a le potentiel de porter atteinte aux libertés fondamentales.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement » (article 9 b) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la chroniqueuse a manqué de rigueur de raisonnement en « associ[ant] », comme le prétend le plaignant, « la Loi 21 du gouvernement Legault à l’Holocauste des Juifs, au massacre des Ouïghours en Chine, aux Rohingyas du Myanmar et aux massacres au Yémen » et en évoquant « le “péril jaune” »?
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Analyse
Bien que le plaignant déplore un manque de rigueur de raisonnement de la part de la chroniqueuse qui, selon lui, associe la Loi sur la laïcité de l’État (projet de loi 21) « du gouvernement Legault à l’Holocauste des Juifs, au massacre des Ouïghours en Chine, aux Rohingyas du Myanmar et aux massacres au Yémen » et « au péril jaune », le Conseil ne constate pas d’amalgame dans l’analyse de la chroniqueuse.
Emilie Nicolas énumère d’abord plusieurs situations dans le monde où les populations musulmanes sont victimes de violence et indique qu’en raison de leur foi, elles sont présentées comme « dangereuses, menaçantes pour le tissu national du potentiel pays d’accueil, intégrables qu’au prix d’une rupture totale et absurde avec leurs identités ». Tel que la chroniqueuse l’explique dans sa réplique au Conseil, elle s’en prend par la suite « à la perception que le racisme et la xénophobie ne peuvent mener à des horreurs ici même ». Elle écrit dans sa chronique qu’il existe au Canada des « exceptions légalisées aux libertés fondamentales » et aborde ensuite des événements historiques passés ainsi que des lois qui, selon elle, contreviennent à ces libertés fondamentales, dont le projet de loi 21 au Québec. À la lecture du texte, le Conseil n’y voit donc pas de conclusion fallacieuse et juge que Mme Nicolas explique le raisonnement qui fonde son analyse, bien que le plaignant n’observe pas la situation de la même manière.
Les propos du plaignant relèvent plutôt d’une divergence d’opinions avec Emilie Nicolas sur un sujet controversé. La chroniqueuse soutient d’ailleurs dans sa réplique qu’on « peut ne pas être d’accord que les préjugés contre les musulmans jouent un rôle dans la popularité de la loi 21. Mais je suis loin d’être la seule à le penser — et c’est mon travail de dire ce que je pense ». Comme l’explique l’article 10.2 du Guide, le rôle du journaliste d’opinion est d’exprimer son point de vue tout en explicitant son raisonnement et les faits qui le justifient, ce que la chroniqueuse a fait dans le présent article.
Grief 3 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la chroniqueuse a utilisé des termes qui tendent à encourager la violence et à entretenir les préjugés en se prononçant contre l’incarcération des « « militants » mohawks après la crise d’Oka », comme le soutient le plaignant.
Décision
Le Conseil rejette le grief de discrimination.
Analyse
Pour le plaignant, les propos de la chroniqueuse « déshumanise[nt] […] et exacerbe[nt] la violence et les préjugés ». Il ajoute qu’elle fait « même la promotion de la violence, en se prononçant contre l’incarcération des « militants » mohawks après la crise d’Oka » dans le passage suivant : « La Loi sur les mesures de guerre a permis l’internement systématique des Canadiens d’origines japonaise, allemande et italienne durant la Deuxième Guerre mondiale, l’arrestation arbitraire de souverainistes lors de la crise d’Octobre, et l’incarcération des militants mohawks après la crise d’Oka. »
Même après avoir demandé des précisions au plaignant, le Conseil constate que ce dernier n’identifie pas le motif discriminatoire qu’il a relevé dans les propos d’Emilie Nicolas, n’indique pas comment ils encouragent la violence et ne cible pas le préjugé qui y serait entretenu. Ainsi, le Conseil ne peut analyser ce grief et le rejette.
Grief non traité : partialité
Bien que le plaignant reproche à la chroniqueuse d’être partiale, ce grief n’est pas traité puisque les journalistes d’opinion ne sont pas soumis à cette obligation déontologique réservée au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide. En effet, l’essence même du travail du chroniqueur est de prendre parti et d’exprimer ses opinions.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Luc Desjardins contre Emilie Nicolas et Le Devoir concernant les griefs de titre inexact, de manque de rigueur de raisonnement et de discrimination. Le grief de partialité est irrecevable.
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Martin Francoeur
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Marie-Andrée Prévost