Plaignant
Jean-Philippe Chaussé
Mis en cause
Michel Langevin, animateur
104,7 Outaouais
Cogeco Média
Résumé de la plainte
Jean Philippe Chaussé dépose une plainte le 5 juillet 2019 contre l’animateur Michel Langevin, la station de radio 104,7 Outaouais ainsi que Cogeco Média concernant un segment de l’émission « Que l’Outaouais se lève » diffusée le 25 juin 2019. Le plaignant reproche un manque d’équilibre, des informations inexactes, de l’incomplétude, un manque de courtoisie, une absence de corrections des erreurs et de l’atteinte à la réputation. L’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire; cette partie est donc écartée de la plainte.
CONTEXTE
L’animateur de l’émission « Que l’Outaouais se lève », Michel Langevin, s’entretient avec la locataire d’un logement à Hull qui est infesté de coquerelles. La femme, dont le nom de famille n’est pas mentionné, raconte les difficultés qu’elle rencontre pour régler la situation avec le propriétaire de son logement contre qui elle a déposé une plainte devant la Régie du logement. L’animateur rapporte également que la locataire a été victime d’intimidation de la part d’une personne proche de son propriétaire, sans la nommer. Cette personne est le plaignant dans le présent dossier.
Analyse
STATUT DE MICHEL LANGEVIN
Principe déontologique applicable
Genres journalistiques : « (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur.
10.1 Journalisme factuel
(1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte.
(2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide.
10.2 Journalisme d’opinion
(1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte.
(2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie.
(3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse, article 10)
Afin de déterminer s’il doit traiter le grief de manque d’équilibre de cette plainte, le Conseil doit d’abord définir le genre journalistique pratiqué par Michel Langevin. En déontologie, les journalistes d’opinion suivent les mêmes principes que ceux qui pratiquent le journalisme factuel, hormis l’impartialité et l’équilibre, puisque la nature de leur travail est de prendre position.
Décision
Le Conseil de presse juge que, dans l’émission en cause, Michel Langevin pratique le journalisme d’opinion.
Analyse
Après analyse de l’émission « Que l’Outaouais se lève », le Conseil constate que Michel Langevin commente l’actualité et qu’il livre aux auditeurs son opinion sur les faits qu’il relate. L’animateur pratique ainsi le journalisme d’opinion.
Dans l’extrait en cause, Michel Langevin épice ses interventions avec des remarques et des commentaires comme « Me semble que t’as pas le choix » ou « Lâche-moi l’intimidation », des propos dans lesquels l’animateur exprime clairement son point de vue.
Nonobstant le fait que Michel Langevin rapporte des informations comme le ferait un journaliste factuel, il les commente ensuite en donnant son avis personnel, ce qui lui confère le statut de journaliste d’opinion. Le public doit donc s’attendre à ce que cette information soit présentée à travers le prisme de l’opinion de l’animateur.
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (Guide, article 9 alinéa a)
1.1 Un intimidateur?
Le plaignant reproche à l’animateur d’avoir faussement affirmé qu’il avait intimidé la locataire. Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin rapporte une information inexacte au sujet de l’intimidation alléguée.
Dans l’extrait en cause, la personne interviewée par Michel Langevin (nommée Marie) rapporte qu’elle se « fait intimider par des personnes haut placées pour [qu’elle] enlève sa plainte à la Régie du logement, en essayant de [lui] trouver des squelettes dans le placard. Oui, je peux en avoir des squelettes dans le placard. Mais tout le monde peut en avoir aussi. » Michel Langevin lui demande alors : « La personne qui vous intimide, c’est-tu celle, le nom que vous m’avez fourni hier madame? » Elle lui répond « oui ». L’animateur poursuit : « Je lui ai laissé un message. C’est un candidat aux dernières élections provinciales pour le Parti conservateur du Québec. Il a été battu, évidemment, à plates coutures (…) Je l’ai invité à venir à l’émission pour s’expliquer parce que, semble-t-il, il vous intimide ».
Après avoir terminé l’entrevue avec Marie, Michel Langevin conclut l’extrait ainsi : « Lâche-moi l’intimidation, les pseudos candidats, ami de l’ami du propriétaire… Je comprends que c’est pas le fun quand tu reçois une mise en demeure de 78 000 piastres. Raison de plus pour s’occuper du problème avant ça aille trop loin. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il manque de preuve pour se prononcer.
Analyse
L’animateur pose une question factuelle à la locataire, dont on ne connaît pas le nom complet, au sujet de l’intimidation qu’elle dit subir de la part d’une personne que ni elle ni l’animateur ne nomment à l’antenne. Il relance ensuite son invitée sur la base de ce qu’elle avance, en reprenant ses propos et les informations qu’elle fournit. Michel Langevin ne présente pas explicitement le plaignant, même s’il semble s’être reconnu, comme la personne qui intimiderait la locataire pour qu’elle retire sa plainte à la Régie du logement et son identité n’est d’ailleurs pas dévoilée aux auditeurs.
Faute de preuve, le Conseil n’est donc pas en mesure d’évaluer s’il y a eu de l’intimidation de la part de la personne évoquée par la locataire interviewée par Michel Langevin.
1.2 Un « pseudo-candidat »?
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin rapporte une information inexacte en présentant le plaignant comme un « pseudo-candidat ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Au début de l’extrait en cause, Michel Langevin présente la personne censée « intimider » la locataire comme un « candidat aux dernières élections provinciales pour le Parti conservateur du Québec » battu « à plates coutures ». Après la conclusion de l’entrevue avec la locataire, l’animateur partage son point de vue sur ce candidat : il tourne en ridicule son échec électoral et le dénigre en le qualifiant de « pseudo-candidat ». Il s’agit là d’un commentaire exprimé par Michel Langevin qui, en tant que journaliste d’opinion, dispose d’une grande liberté dans le ton et le choix des mots qu’il utilise.
Le terme « pseudo », dans le cas présent, ne doit pas être perçu dans son acception littérale : « qui est faux, qui tente de passer pour » (Office québécois de la langue française). Il pouvait être utilisé comme une figure de style pour exprimer une opinion selon laquelle ce candidat n’avait aucune chance d’être élu.
1.3 Un « ami du proprio »?
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin rapporte une information inexacte en présentant le plaignant comme un « ami du proprio ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il manque de preuve pour se prononcer.
Analyse
Jean-Philippe Chaussé, qui n’est pas nommé à l’antenne, prétend qu’il est faux de le présenter comme un « ami du proprio » de la locataire interviewée par Michel Langevin. Cependant, le plaignant n’apporte pas la preuve pour soutenir son argumentation. Devant ces versions contradictoires, le Conseil n’est pas en mesure de se prononcer.
1.4 Des antécédents criminels?
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin rapporte une information inexacte en qualifiant le plaignant de « personne avec des antécédents criminels », comme le prétend ce dernier.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Le plaignant prétend que l’animateur affirme en ondes qu’il a des antécédents criminels. À l’écoute de l’extrait en cause, le Conseil constate que ce n’est pas le cas.
Dans l’extrait en cause, Michel Langevin déclare : « Cette personne-là, pour avoir fait des recherches sur cette personne (…) Il semblerait qu’il y a déjà eu une plainte en matière de menace qui a déjà été déposée contre lui en rapport avec le dossier de la légalisation des armes à feu. Faque, je fais juste vous dire ça. » L’animateur évoque ici des démêlés de Jean-Michel Chaussé avec la justice, sans jamais le nommer, mais il ne dit pas ni ne laisse entendre que celui-ci a des « antécédents criminels ».
Cette partie de la plainte relève donc d’une interprétation erronée de plaignant. Dans le dossier D2019-04-060, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte, car il a constaté « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas. » Similairement dans le cas présent, l’animateur ne prononce pas les mots que le plaignant lui reproche.
Grief 2 : incomplétudes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (Guide, article 9 alinéa e)
2.1 Faits dissimulés
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin a manqué à son devoir de complétude en « dissimulant des faits importants aux auditeurs », comme le prétend le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Dans l’extrait en cause, le sujet principal de l’entretien entre Michel Langevin et la locataire est l’infestation de coquerelles dans son logement. Dans ce cadre-là, les informations que le plaignant aurait aimé entendre n’étaient pas essentielles à la bonne compréhension du sujet présenté.
Jean-Michel Chaussé estime que Michel Langevin « dissimule des faits importants [concernant la locataire], publiquement disponibles, notamment ses antécédents pour non-paiement [de loyer], le fait qu’elle fasse l’objet d’une demande de recouvrement-expulsion qui est postérieure à sa propre plainte [à la Régie du logement] pour insalubrité. » Cependant, compte tenu de l’angle de traitement choisi par l’animateur, l’infestation de coquerelles subie par son invitée, ces informations n’étaient pas primordiales à rapporter.
Les décisions antérieures du Conseil n’imposent pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le public. Dans le dossier D2014-12-062, le Conseil avait par exemple rejeté un grief d’incomplétude contre un journaliste à qui l’on reprochait d’avoir « escamoté » certains détails alors qu’il s’agissait d’éléments accessoires. Dans le cas présent, le Conseil estime que Michel Langevin, considérant l’angle qu’il a choisi, n’était pas tenu de rapporter les éléments avancés par le plaignant.
2.2 Confronter la locataire
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin a manqué à son devoir de complétude en ne confrontant pas son interlocutrice sur le fait qu’elle avait antérieurement déclaré à l’antenne de TVA que son propriétaire avait fait appel à un exterminateur pour éradiquer les coquerelles.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Durant l’entrevue, Michel Langevin donne la parole à la locataire pour qu’elle présente son point de vue au sujet de l’infestation de coquerelles qu’elle subit dans son logement. Étant donné cet angle de traitement choisi par l’animateur et considérant que l’entretien se déroule en direct, l’animateur n’était pas tenu de valider avec son interlocutrice le fait allégué par le plaignant.
La décision D2015-10-052 rappelle que les médias peuvent choisir de privilégier un angle de traitement particulier, à condition qu’ils n’omettent pas d’informations essentielles à la compréhension du sujet. Le Conseil y précise qu’un journaliste est toujours libre d’exclure certaines informations, pour peu que ce choix ne prive pas le public d’informations essentielles, considérant l’angle de traitement choisi. Dans le cas présent, le fait que la locataire n’ait pas précisé qui avait fait appel à un exterminateur n’était pas une information essentielle à la compréhension du sujet discuté à l’antenne et le choix d’en parler, ou pas, relevait de la liberté éditoriale du journaliste et du média.
2.3 « Aucun antécédent criminel »
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin a manqué à son devoir de complétude en n’indiquant pas que le plaignant n’avait pas d’antécédents criminels.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Bien que le plaignant se soit reconnu, alors qu’il n’est pas nommé à l’antenne, qu’il se soit senti heurté par les propos de Michel Langevin et qu’il eût aimé que l’animateur mentionne qu’il n’a pas d’antécédents criminels, l’entrevue ne porte pas sur lui, mais sur l’infestation de coquerelles vécue par la locataire. Cette précision sur la virginité de son casier judiciaire n’était donc pas nécessaire à la compréhension du sujet discuté entre l’animateur et la locataire.
Grief 3 : manque de courtoisie
Principe déontologique applicable
Interactions avec le public : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de courtoisie dans leurs rapports avec le public. » (Guide, article 27)
Le Conseil doit déterminer si Michel Langevin a manqué de courtoisie dans ses échanges avec le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de courtoisie, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 27 du Guide.
Analyse
Plusieurs décisions antérieures du Conseil (D2017-01-013, D2016-08-024 et D2016-10-042), qui traitent de plaintes du public pour manque de courtoisie de membres des médias, illustrent que les propos directs, le langage coloré ou les manifestations d’impatience – comme « Vous pouvez créer votre propre Pravda contre les marchands de la rue Monkland » ou « C’t’un peu long, j’ai même pas fini d’le lire » – ne constituent pas nécessairement une faute déontologique.
Dans le cas présent, l’échange entre le plaignant et Michel Langevin a lieu sur Facebook Messenger. Au plaignant qui lui reproche de le diffamer et lui demande de présenter des excuses en retirant ses propos, l’animateur répond : « Non certainement pas, je suis désolé. Ce sera notre dernière correspondance. La police sera informée si vous me proférez d’autres menaces du genre. »
Facebook Messenger est un médium qui invite aux messages courts, sans grandes formules de politesse. Les propos de l’animateur vont certes droit au but, mais ils restent dans les limites du raisonnable et ne manquent pas de respect au plaignant.
Grief 4 : correction des erreurs
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont diligemment corrigé leurs erreurs.
Décision
Le Conseil n’ayant pas constaté de manquement déontologique, il rejette le grief d’absence de correction des erreurs.
Grief non traité : diffamation
« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement No 2, article 13.04)
Le plaignant déplore une atteinte à sa réputation, un grief que le Conseil ne traite pas, car la diffamation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Grief non traité : manque d’équilibre
Le plaignant considère que Michel Langevin manque d’équilibre dans son traitement de l’information. Le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique spécifique au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Jean-Michel Chaussé contre Michel Langevin, la station de radio 104,7 Outaouais ainsi que Cogeco Média concernant les griefs d’informations inexactes, d’incomplétude, de manque de courtoisie et d’absence de corrections des erreurs.
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision:
Représentants du public:
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes:
Simon Chabot-Blain
Martin Francœur
Représentants des entreprises de presse:
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost