Plaignant
Habitat urbain de l’Outaouais inc.
(Luc Duval, président)
Mis en cause
Mathieu Bélanger, journaliste
Patrick Duquette, chroniqueur
Le Droit
Résumé de la plainte
L’organisme Habitat Urbain de l’Outaouais, qui regroupe des coopératives d’habitation de l’Outaouais, dépose une plainte le 29 juillet 2019 contre le journaliste Mathieu Bélanger concernant les articles « Une résidente de la coop du Faubourg expulsée pour du “gna-gna” » et « La Société d’habitation du Québec pressée d’intervenir », publiés les 11 et 12 juillet 2019. La plainte vise également le chroniqueur Patrick Duquette concernant la chronique « Intimidation dans les coops : des leçons à tirer », publiée le 12 juillet 2019. Le plaignant, qui fait l’objet de ces articles, déplore des informations inexactes, de la partialité, des informations incomplètes, un manque d’équilibre, de l’atteinte à la réputation et un refus de correctif.
CONTEXTE
Le premier article, de Mathieu Bélanger, présente la situation d’une résidente de la coopérative d’habitation du Faubourg, Pauline Lobe, qui aurait été expulsée de son logement pour avoir voulu convoquer une assemblée générale afin de discuter des problèmes de gestion dans la coopérative. Le conseil d’administration aurait reproché à Mme Lobe de ne pas participer aux tâches de la coopérative, de faire du bruit et de créer la discorde entre les membres. Présenté comme gestionnaire de la coopérative par l’intermédiaire de l’organisme Habitat urbain de l’Outaouais (HUO), Robert Gratton indique que cette expulsion était justifiée. Le directeur général de la Fédération intercoopérative en habitation de l’Outaouais (FIHAB) et avocat spécialisé dans le droit des coopératives d’habitation, Raphaël Déry, estime plutôt que l’expulsion contrevient à plusieurs éléments de la loi.
La coopérative du Faubourg est membre d’HUO, dont le rôle est d’offrir des services aux coopératives pour qu’elles assurent une saine gestion de leurs immeubles et des conditions de logement.
Le plaignant dans le présent dossier est le président d’Habitat urbain de l’Outaouais (HUO), Luc Duval, qui porte plainte au Conseil au nom de son organisme.
Dans le deuxième texte, le chroniqueur Patrick Duquette réfère au travail de son collègue Mathieu Bélanger et estime que seules deux solutions s’offrent à Mme Lobe afin de contester son expulsion : faire appel auprès du conseil d’administration ou l’option « tout aussi peu réjouissante » de porter sa cause en Cour supérieure. Le chroniqueur suggère d’examiner la possibilité de mettre en place une procédure souple, indépendante et peu coûteuse pour régler les litiges entre les résidents et les administrateurs des coopératives d’habitation.
Le troisième article, écrit par M. Bélanger, rapporte que la FIHAB demande à la Société d’habitation du Québec (SHQ) d’intervenir dans la coopérative HUO afin de contrer le « régime autoritaire » de gestion instauré par Robert Gratton. On y apprend que la Régie du logement du Québec a déjà reproché à ce dernier de recourir à l’intimidation et au harcèlement dans les coopératives, en 1997.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Dans le présent dossier, le principe du journalisme d’opinion s’applique uniquement au chroniqueur Patrick Duquette concernant la chronique « Intimidation dans les coops : des leçons à tirer », publiée le 12 juillet 2019.
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité » (article 9 a) du Guide)
1.1 Perte d’une subvention gouvernementale
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Mathieu Bélanger a produit de l’information inexacte en écrivant que Pauline Lobe avait perdu la subvention au loyer qu’elle recevait du gouvernement.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Le plaignant, président de l’organisme HUO, soutient que le journaliste a produit une inexactitude en « laiss[ant] entendre que la coopérative du Faubourg a fait perdre une subvention gouvernementale à une résidente ». Rappelons que la coopérative du Faubourg est membre de l’organisme HUO. Le plaignant affirme que Pauline Lobe « n’a jamais demandé ou reçu de subvention d’aide assujettie au calcul du revenu (AACR) pendant toute la durée de son séjour à la coopérative ».
Pourtant, les mis en cause répliquent avoir eu accès à de la correspondance officielle entre Pauline Lobe et la coopérative, confirmant que Mme Lobe avait perdu cette subvention. Ils ont expliqué au Conseil que Mme Lobe avait apporté un dossier qui comportait cette correspondance avec elle lors de l’entrevue.
Comme l’a souligné le Conseil dans la décision D2004-07-006, “il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule”. Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, parce qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. Dans le cas présent, le Conseil se trouvant devant deux versions contradictoires, dont il ne peut trancher l’exactitude, il donne le bénéfice du doute au journaliste, comme il l’a fait dans ses décisions antérieures, par exemple la décision D2018-04-037. »
Pareillement, dans le présent dossier, considérant qu’il ne détient pas la preuve que la résidente expulsée de la coopérative du Faubourg recevait une subvention au loyer de la part du gouvernement, le Conseil ne peut conclure à un manquement déontologique de la part du journaliste.
1.2 Affiliation à une fédération
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur Patrick Duquette a produit de l’information inexacte relativement à l’affiliation de la coopérative à une fédération en écrivant que « la dame habitait une coopérative d’habitation indépendante. Si sa coopérative avait été affiliée à une fédération, elle aurait disposé de recours supplémentaires ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Le plaignant indique qu’il était inexact d’écrire que la dame habitait dans une coopérative d’habitation indépendante, spécifiant que la coopérative du Faubourg est membre de la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM). Bien que la coopérative du Faubourg soit membre de la FECHIMM à ce jour, le Conseil ne dispose pas de la preuve nécessaire pour établir qu’au moment de la publication de la chronique de Patrick Duquette, il était faux pour le chroniqueur d’écrire que « si [l]a coopérative [de Pauline Lobe] avait été affiliée à une fédération, elle aurait disposé de recours supplémentaires ».
Considérant que le plaignant n’a pas fourni au Conseil la date d’adhésion de la coopérative du Faubourg à la FECHIMM, le comité des plaintes manque de preuve pour trancher sur l’inexactitude alléguée et doit donner le bénéfice du doute au journaliste.
Grief 2 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Mathieu Bélanger a pris parti en faveur de la FIHAB dans ses deux articles, titrés « Une résidente de la coop du Faubourg expulsée pour du “gna-gna” » et « La Société d’habitation du Québec pressée d’intervenir ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de partialité.
Analyse
Le plaignant voit les articles comme des « attaques », « un parti pris par les journalistes du journal Le Droit » pour la FIHAB, rivale de la FECHIMM en Outaouais. Ils déplorent la « tribune » « donnée » au directeur général de la FIHAB et avocat spécialisé dans le droit des coopératives d’habitation, Raphaël Déry, pour déclarer : « Une coopérative ne peut pas brimer la liberté d’expression de ses membres en menaçant d’expulser les gens de leur logement ou de couper leur subvention d’aide au logement. »
Cette citation du directeur général de la FIHAB n’engage que lui et représente son opinion. Le journaliste rapporte cette opinion sans la commenter. Le Conseil ne constate pas de terme ou d’affirmation permettant de conclure à un parti pris de la part du journaliste dans le passage visé par la plainte.
Dans un dossier similaire, le D2017-10-118, le Conseil a fait valoir que pour établir qu’un journaliste a fait preuve de partialité, il faut « montrer qu’il a commenté les faits, en émettant une opinion, par exemple » et il a jugé que « le fait de diffuser les propos de quelqu’un n’équivaut pas à les appuyer ».
De la même façon, dans le cas présent, le fait de donner la parole au directeur général de la FIHAB ne signifie pas que le journaliste prend parti en faveur de son point de vue.
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
3.1 Absence à l’assemblée générale
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Mathieu Bélanger a omis un élément essentiel à la bonne compréhension du sujet en n’indiquant pas que Robert Gratton était absent à l’assemblée générale mentionnée dans l’article « Une résidente de la coop du Faubourg expulsée pour du “gna-gna” ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Bien que le plaignant soutienne que le journaliste a produit de l’information incomplète en ne mentionnant pas que Robert Gratton, présenté comme gestionnaire de la coopérative par l’intermédiaire de l’organisme HUO, « était absent à l’assemblée générale citée dans l’article », le Conseil estime que cet élément n’était pas essentiel à la compréhension du sujet de l’article, l’expulsion de Pauline Lobe de la coopérative d’habitation du Faubourg.
La déontologie n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par les lecteurs.
3.2 Secrétaire du conseil d’administration
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Mathieu Bélanger a omis un élément essentiel à la bonne compréhension du sujet en n’indiquant pas que « Raphaël Déry, directeur général de la FIHAB, est également secrétaire du conseil d’administration de la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides (CDROL ) » dans l’article « La Société d’habitation du Québec pressée d’intervenir ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant déplore que l’article mentionne que « la CDROL affirme pour sa part être “très préoccupée par le climat de peur” qui est instauré comme mode de gestion dans certaines coopératives d’habitation sans pour autant mentionner que Raphaël Déry, directeur général de la FIHAB, est également secrétaire du conseil d’administration du CDROL ». Cependant, il n’explique pas en quoi le journaliste aurait produit de l’information incomplète en ne mentionnant pas la position de Me Déry à la CDROL. Le Conseil estime que cette information n’était pas essentielle à la compréhension du sujet.
Grief 4 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence » (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Mathieu Bélanger a omis de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence dans le traitement du sujet en ne contactant pas le président de la coopérative d’habitation de la Haute-Rive-d’Aylmer, Jean-Philippe Scott, et la présidente de la coopérative du Faubourg, Madeleine Séguin, ou un des membres du conseil d’administration.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Analyse
Le plaignant déplore que les journalistes aient « refusé » de leur « accorder les mêmes égards que les plaignants qui, pour la plupart […] ont pu exposer leur version des faits ».
Cependant, le Conseil constate que les principales parties en présence dans cette controverse ont présenté leur point de vue. Les propos de Robert Gratton, qui avait des responsabilités dans les coopératives du Faubourg et de la Haute-Rive-d’Aylmer, à travers l’organisme HUO que représente le plaignant, ont été publiés dans plusieurs textes.
De plus, tel que l’ont indiqué les mis en cause, une lettre ouverte de Jean-Philippe Scott a été publiée dans les pages Opinions du Droit le 24 juillet 2019 et les propos de Luc Duval, qui défend Robert Gratton, ont été présentés dans l’article « Je n’ai rien à lui reprocher », le 10 juillet 2019.
Le principe d’équilibre exige une juste pondération des points de vue des parties en présence dans un litige. Il n’impose pas aux journalistes d’interviewer toutes les personnes qui pourraient avoir un parti pris ou quelque chose à dire sur le sujet. Par ailleurs, la liberté éditoriale accordée aux médias et aux journalistes leur permet de choisir l’angle de traitement de leur sujet. La déontologie ne leur impose pas de présenter tous les points de vue souhaités par les différentes parties en présence.
Grief 5 : refus de publier un correctif
Principe déontologique applicable
Corrections des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir de correction.
Décision
Le Conseil rejette le grief de refus de publier un correctif.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique aux griefs précédents, le grief de refus de correction est rejeté.
Grief non traité : atteinte à la réputation
Le plaignant considère que l’article porte atteinte à la réputation d’HUO, un grief que le Conseil ne traite pas, car l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Griefs non traités : partialité dans la chronique de Patrick Duquette
Le plaignant considère que Patrick Duquette est partial dans son traitement de l’information. Le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique spécifique au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Habitat Urbain de l’Outaouais inc. contre le journaliste Mathieu Bélanger, le chroniqueur Patrick Duquette et Le Droit concernant les griefs d’informations inexactes, de partialité, d’informations incomplètes, de manque d’équilibre et de refus de publier un correctif.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentant des entreprises de presse :
Éric Trottier