Plaignant
Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec), représenté par Diane Guilbault puis par Lyne Jubinville
Mis en cause
Isabelle Hachey, chroniqueuse
La Presse
Résumé de la plainte
L’organisme Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec), représenté initialement par sa présidente Diane Guilbault (décédée depuis) puis par sa présidente par intérim Lyne Jubinville, dépose une plainte le 4 septembre 2019 contre la chroniqueuse Isabelle Hachey, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant l’article intitulé « La femme qui dérange », publié le 12 juin 2019. L’organisme reproche de la confusion dans l’identification des genres journalistiques, des informations inexactes et des informations incomplètes, ainsi qu’une atteinte à la réputation et un manque d’équilibre (griefs non traités).
CONTEXTE
À la suite d’un message tweet diffusé par la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Gabrielle Bouchard – « On devrait discuter de la vasectomie obligatoire à 18 ans » -, la chroniqueuse Isabelle Hachey dresse le portrait de cette dernière en évoquant l’évolution de la FFQ et les remous qu’a pu, et que peut, susciter son identité de femme trans au sein du mouvement féministe québécois. La journaliste évoque à ce sujet l’organisme Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec) dont elle qualifie les membres de TERF (acronyme anglais « trans-exclusionary radical feminists »), affirmantqu’elles « s’inquiètent des avancées de la communauté transgenre » en matière de droits civils.
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec)
Analyse
Grief 1 : confusion dans l’identification des genres journalistiques
Principe déontologique applicable
Genres journalistiques – « (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur. » (article 10 du Guide)
Le Conseil de presse doit déterminer si le genre journalistique de l’article en cause est facilement identifiable.
Décision
Le Conseil de presse juge que ce grief n’est pas recevable, car PDF Québec n’argumente pas une confusion des genres journalistiques.
Analyse
L’organisme qui a déposé la plainte signale plutôt la section dans laquelle la chronique s’affiche sur le site Internet lapresse.ca en indiquant que l’article est « classé dans la section Actualités du journal ». La section « Actualité » de La Presse comporte des articles factuels et des chroniques rédigées par des journalistes d’opinion qui écrivent au sujet de l’actualité. Dans le cas présent, le texte en cause a été initialement publié sur La Presse +. On peut y voir la précision « Chronique » au-dessus de la photo d’Isabelle Hachey dans la vignette ainsi que directement au-dessus du titre. L’article a ensuite été repris sur lapresse.ca. L’article mis en cause est donc une chronique d’opinion publiée dans la section « Actualité ».
Grief 2 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a du Guide)
2.1 Les fondatrices de PDF Québec sont des TERF
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey rapporte une information inexacte quand elle qualifie les fondatrices de PDF Québec de « TERF ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
La représentante de PDF Québec estime qu’Isabelle Hachey manque à son devoir d’exactitude quand elle affirme que le groupe PDF Québec a été créé par des TERF. Elle précise que « la création de PDF Québec par des ex-membres de la FFQ n’avait rien à voir avec l’identité de genre et la question des personnes qui s’identifient comme transgenres, mais était née d’une rupture philosophique liée aux enjeux concernant la laïcité, la prostitution et l’approche dite de l’intersectionnalité telle que véhiculée par la FFQ. C’est donc une affirmation mensongère de dire que le groupe PDF Québec a été créé par des TERF. »
À l’issue de plusieurs paragraphes (reproduits ci-dessous) consacrés au mouvement TERF – acronyme anglais pour « trans-exclusionary radical feminists » – dans le monde, la chroniqueuse écrit effectivement que « ici, les TERF ont fondé PDF Québec » (soulignements du Conseil) :
« Fait étonnant, celles qui luttent avec le plus de véhémence contre les droits des transgenres ne sont pas des machos frustrés, mais… des féministes de gauche. Elles ont même un nom : les TERF, acronyme anglais pour “trans-exclusionary radical feminists”.
Aux États-Unis, elles forment le WoLF, pour Women’s Liberation Front, et parlent des transgenres comme d’une “épidémie sociale”. Certaines d’entre elles se sont même alliées à la droite chrétienne pour lutter contre ce “fléau”.
Au Royaume-Uni, les TERF s’opposent avec férocité à l’assouplissement du Gender Recognition Act, qui permettrait aux gens d’autodéclarer leur genre, comme cela se fait déjà au Québec.
Ici, les TERF ont fondé le groupe Pour les droits des femmes du Québec, après avoir claqué la porte de la FFQ en 2013. »
Plus loin, on peut également lire : « Ici comme ailleurs, les TERF s’inquiètent des avancées de la communauté transgenre, comme si les droits civils étaient une ressource limitée qu’il fallait ménager – et accorder en priorité aux femmes non trans. »
Il n’existe pas de définition « officielle » de l’acronyme TERF. Selon Wikipédia, « il est appliqué par des militantes trans à des féministes qui estiment que les luttes trans invisibilisent les luttes pour les droits des femmes, et adhèrent à des positionnements considérés par certaines comme essentialistes et transphobes. Initialement inventé avec la volonté d’être un terme neutre, il a acquis une connotation péjorative. Certaines féministes perçoivent même le terme comme une insulte et préfèrent se décrire comme “critiques du genre”; d’autres féministes, des universitaires et des personnes trans ont rejeté ce point de vue. » Autrement dit, les TERF sont des féministes qui ne reconnaissent pas les femmes trans comme des femmes et qui, de fait, les excluent des combats féministes.
Selon le représentant de La Presse, Patrick Bourbeau, « cette description correspond parfaitement aux membres de PDF Québec, qui militent depuis au moins cinq ans contre les droits des personnes transgenres. » Il souligne que le groupe PDF Québec a été lancé le 14 novembre 2013, qu’il a d’abord été présidé par Michèle Sirois et que Diane Guilbault (la plaignante initiale) en était la secrétaire. « Au fil des ans, ces deux femmes se sont prononcées à maintes reprises dans les médias contre les droits des femmes trans », affirme-t-il.
Mmes Sirois et Guilbault, en leurs noms personnels ou au nom de PDF, ont plusieurs fois pris position contre les droits de personnes transgenres, et des femmes transgenres en particulier. PDF Québec a par exemple remis au printemps 2015 un mémoire au ministère de la Justice du Québec co-écrit par Mme Sirois, dans lequel le groupe s’opposait à un projet de règlement prévoyant qu’une « personne puisse changer d’identité sexuelle sans avoir à recourir à une chirurgie de réassignation sexuelle, ni à un traitement médical ». On peut notamment lire dans ce mémoire que si ce règlement était adopté en l’état, il aurait de nombreux impacts sur les femmes : « En réalité, il ne faut pas prendre à la légère le fait qu’avec ces changements, s’ils entrent en vigueur, il y aura des hommes, ayant gardé leurs organes sexuels masculins, qui se présenteront avec des papiers d’identité de femmes dans toutes sortes de lieux. Il s’agit de modifications qui auront des conséquences réelles et sérieuses sur la sécurité des femmes, sur les organisations de femmes qui sont non mixtes, comme les maisons d’hébergement pour femmes violentées, les associations de femmes, les centres de femmes, les refuges pour femmes itinérantes, les institutions dédiées aux femmes comme les prisons, etc. » Une position que Mme Sirois a par la suite défendue dans un texte d’opinion publié par Le Huffington Post Québec en soulignant des « inquiétudes légitimes quant à la sécurité des femmes ». Plus largement, PDF Québec et ses membres s’opposent au concept d’identité de genre – sur lequel s’appuient notamment les défenseurs des droits des personnes transsexuelles ou transgenres -, qu’elles dénoncent sur leur site Internet, dans les médias, dans des conférences ainsi que dans des mémoires déposés à l’Assemblée nationale sur des projets de loi visant de près ou de loin les personnes transgenres.
Au regard des positions portées par le mouvement TERF et celles défendues par PDF Québec et ses représentantes, Isabelle Hachey pouvait raisonnablement affirmer que les personnes ayant fondé PDF Québec ainsi que ses représentantes actuelles sont, selon elle, des TERF. Même si la plaignante ne s’identifie pas à ce mouvement et qu’elle considère inexact de la qualifier, elle et les membres de PDF Québec, de TERF, il n’en demeure pas moins que la chroniqueuse était en droit de les qualifier ainsi.
Dans le dossier D2019-01-013, le plaignant reprochait à la chroniqueuse d’avoir manqué à son devoir d’exactitude en qualifiant le combat des opposants au registre des armes à feu de « macho » et de « angry white male ». Bien que le plaignant déplorait que la chroniqueuse « qualifie un groupe de macho ou angry white male quand plus de 25 % […] de ses membres sont des femmes », le Conseil a estimé que « la chroniqueuse avait toute la latitude d’employer le terme “macho” pour qualifier une attitude, même si le groupe dont elle parle est aussi composé de femmes. » Le Conseil a également considéré qu’elle « pouvait faire référence au “angry white male” pour faire un parallèle avec un phénomène qu’elle juge comparable au Québec. »
Par ailleurs, « le Conseil a statué à plusieurs reprises qu’il n’avait pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter. Dans le dossier D2016-12-072, le plaignant estimait que l’expression “un climat de guerre civile” dans la chronique était inexacte puisqu’il n’y avait pas d’attaques “envers des personnes physiques”. Le Conseil a jugé que l’utilisation qu’avait faite le chroniqueur des termes “guerre civile” n’était pas inexacte et a ajouté que “le rôle du journaliste d’opinion est d’exprimer son point de vue et de prendre position, ce que fait le chroniqueur dans les limites que lui impose la déontologie journalistique”.
De la même façon, dans l’article mis en cause, la chroniqueuse a partagé son opinion concernant le débat entourant les armes à feu. Son choix des mots “macho” et “angry white male” lui revenait et le Conseil n’y voit pas d’information inexacte. » Pareillement, dans le cas présent, Isabelle Hachey était dans son rôle de journaliste d’opinion quand elle a écrit que « les TERF ont fondé le groupe Pour les droits des femmes du Québec ». Ce faisant, la chroniqueuse n’a pas franchi les barrières fixées par la déontologie journalistique puisque le qualificatif de TERF décrit les positions défendues par PDF Québec.
2.2 PDF Québec fondé par des TERF
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey rapporte une information inexacte dans le passage suivant :
« Fait étonnant, celles qui luttent avec le plus de véhémence contre les droits des transgenres ne sont pas des machos frustrés, mais… des féministes de gauche. Elles ont même un nom : les TERF, acronyme anglais pour “trans-exclusionary radical feminists”.
Aux États-Unis, elles forment le WoLF, pour Women’s Liberation Front, et parlent des transgenres comme d’une “épidémie sociale”. Certaines d’entre elles se sont même alliées à la droite chrétienne pour lutter contre ce “fléau”.
Au Royaume-Uni, les TERF s’opposent avec férocité à l’assouplissement du Gender Recognition Act, qui permettrait aux gens d’autodéclarer leur genre, comme cela se fait déjà au Québec.
Ici, les TERF ont fondé le groupe Pour les droits des femmes du Québec, après avoir claqué la porte de la FFQ en 2013. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Selon PDF Québec, « la journaliste affirme […] que les TERF ont créé PDF Québec pour faire la guerre aux droits des personnes transgenres. C’est une affirmation mensongère ». L’organisme explique que « la création de PDF Québec par des ex-membres de la FFQ n’avait rien à voir avec l’identité de genre et la question des personnes qui s’identifient comme transgenres, mais était née d’une rupture philosophique liée aux enjeux concernant la laïcité, la prostitution et l’approche dite de l’intersectionnalité telle que véhiculée par la FFQ. »
Dans l’article en cause, il n’est toutefois pas écrit que « les TERF ont créé PDF Québec pour faire la guerre aux droits des personnes transgenres », comme l’affirme la plainte initiale. Il est en effet écrit : « Ici, les TERF ont fondé le groupe Pour les droits des femmes du Québec, après avoir claqué la porte de la FFQ en 2013. »
Dans le dossier D2019-04-060, le Conseil devait déterminer si la journaliste avait rapporté une information inexacte en laissant entendre que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. Le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte parce qu’il a constaté « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas. Nulle part il n’est en effet écrit que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. »
Pareillement, dans le cas présent, PDF Québec interprète le texte en reprochant à Isabelle Hachey une inexactitude que la journaliste n’a pas pu commettre puisqu’elle n’a pas rapporté l’information reprochée.
2.3 Virage imposé à la FFQ
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey rapporte une information inexacte dans le passage suivant :
« Surtout, elles [les TERF ayant fondé PDF Québec] n’acceptent pas le virage imposé à la FFQ, elles qui y ont milité toute leur vie, soupçonne Gabrielle Bouchard. “Le mouvement féministe a été bâti autour de l’utérus. Alors, arrêter de voir les femmes comme des objets reproducteurs et parler de la pluralité de leurs expériences, pour elles, c’est difficile” ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
La représentante de PDF Québec estime que « ces propos rapportés sans nuances par la journaliste ne sont pas basés sur des faits. » Elle souligne que « les membres de PDF Québec ne participent à aucune prise de décision à la FFQ, et donc n’ont pas à accepter les décisions qui sont prises par un organisme dont elles ne font pas partie.
Comme le signale le représentant des mis en cause, la citation visée est clairement attribuée, à l’aide de guillemets, à la présidente de la FFQ Gabrielle Bouchard.
La plaignante est ici en désaccord avec les propos tenus par une personne interviewée par la journaliste. Dans le dossier D2018-09-090, le Conseil avait rejeté le grief d’information inexacte en faisant valoir que « les propos reprochés sont tenus par le maire de Gaspé dans une entrevue audio que l’on retrouve dans l’article. Le Conseil constate que la journaliste rapporte la réaction du maire qu’elle a recueillie lors de la conférence de presse et que l’information inexacte alléguée par le plaignant est en fait l’opinion du maire. Le Conseil juge que la journaliste ne saurait être tenue responsable de l’interprétation que le maire a faite de la position des militants. »
Pareillement, dans le cas présent, Isabelle Hachey rapporte l’opinion de Mme Bouchard au sujet des conséquences des positions prises par la FFQ depuis son arrivée à la présidence de l’organisation féministe. La journaliste ne saurait donc être tenue responsable des propos de cette dernière qui exprimait là son opinion personnelle.
2.4 Enquête proposée
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey rapporte une information inexacte dans le passage suivant : « Leurs représentantes m’ont écrit en février pour me proposer d’enquêter sur “la supercherie de l’identité de genre” ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
La plaignante soutient qu’affirmer que « PDF Québec a demandé une enquête alors que c’est faux est une dénaturation outrancière de la vérité au profit de la cause défendue par Gabrielle Bouchard et, manifestement, par la journaliste de La Presse. De simplement faire valoir quelques mots extraits de notre courriel (la supercherie de l’identité de genre) hors contexte, est de l’ordre de la désinformation et de la mauvaise foi. »
Le courriel en question a été adressé par Diane Guilbault à Isabelle Hachey après que celle-ci a publié un article intitulé « Au pays des Métis autoproclamés ». On peut lire dans ce courriel que Mme Guilbault espère que la journaliste sera « en mesure de nous expliquer ce “deux poids deux mesures” : Pourquoi serait-il inacceptable de se faire passer pour un Métis quand on ne l’est pas (et de se prévaloir des droits réservés aux Métis et aux Autochtones), d’une part, et d’autre part, pourquoi serait-il acceptable que des hommes se réclament de l’identité de femmes et demandent le droit d’envahir les espaces réservés aux femmes comme les maisons d’hébergement, les refuges de femmes itinérantes, les compétitions sportives réservées aux femmes, les prisons pour femmes (incluant les délinquants sexuels), etc.? » Plus loin, Mme Guilbault écrit également : « J’espère que vous irez au-delà de l’accusation de transphobie et que vous vous pencherez concrètement sur les effets que ces changements législatifs au sujet de l’autodétermination de son genre ont sur les droits des femmes. » Au regard de ces deux passages du courriel, Isabelle Hachey pouvait raisonnablement interpréter les propos de Mme Guilbault comme une demande d’enquête sur « la supercherie de l’identité de genre » et la journaliste pouvait dans son article les présenter comme tel.
Selon le dictionnaire Larousse, le verbe « enquêter » signifie : « Faire une enquête sur quelque chose. » Selon le même dictionnaire, le terme « enquête », lorsqu’il est appliqué à la presse, définit un « article ou [une] série d’articles d’information sur un sujet donné, à partir d’une documentation et d’interviews recueillies sur le terrain. » Lorsque la représentante d’un organisme comme PDF Québec prend la peine d’écrire à une journaliste pour lui demander de se pencher concrètement sur un sujet, celle-ci avait des motifs légitimes d’y voir une demande d’enquête journalistique, d’autant plus qu’à l’époque où ce courriel lui a été envoyé, Isabelle Hachey était connue et reconnue comme une journaliste d’investigation (elle a été nommée journaliste d’opinion deux jours avant la publication de l’article en cause).
Par ailleurs, dans ce même courriel, Diane Guilbault a adapté l’article d’Isabelle Hachey intitulé « Au pays des Métis autoproclamés » en y remplaçant notamment le terme « Autochtones » par « femmes » et les « hommes blancs » par « hommes ». Le premier paragraphe de cette adaptation se lit ainsi (soulignement du Conseil) : « Depuis plusieurs années, un mouvement a explosé au Québec : celui d’hommes qui se proclament femmes – et revendiquent des droits des femmes. La Presse n’a jamais enquêté sur le phénomène. » Dans la version originale de l’article, ce paragraphe se lisait ainsi (soulignement du Conseil) : « Depuis une douzaine d’années, un mouvement a explosé au Québec : celui de Blancs qui se proclament Métis – et revendiquent des droits ancestraux. La Presse a enquêté sur le phénomène. » Comme le souligne le représentant des mis en cause, il est évident que Mme Guilbault, en jouant sur les mots, reprochait à Isabelle Hachey, ainsi qu’à La Presse, de ne pas « enquêter » sur l’enjeu qu’elle percevait. Par là même, la journaliste pouvait percevoir ce courriel comme une demande d’enquête sur « la supercherie de l’identité de genre ».
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 alinéa e du Guide)
3.1 PDF Québec n’a rien à voir avec le tweet polémique
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey a manqué à son devoir de complétude en ne mentionnant pas que PDF Québec n’avait aucun lien avec la polémique lancée par Gabrielle Bouchard sur la « vasectomie obligatoire à 18 ans » et n’avait émis aucun commentaire à ce sujet.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Diane Guilbault considère que « l’exigence de complétude, si elle avait été respectée par la journaliste, aurait permis au public d’apprendre que PDF Québec n’avait aucun lien avec la polémique lancée par Gabrielle Bouchard sur la “vasectomie obligatoire à 18 ans” et n’avait même pas commenté quoi ce soit sur ce sujet. »
L’article en cause est divisé en trois parties distinctes, clairement séparées par les symboles « *** ». Dans la première, Isabelle Hachey aborde avec Gabrielle Bouchard la polémique qui a entouré son tweet provocateur déclarant : « On devrait discuter de la vasectomie obligatoire à 18 ans ». Dans la deuxième partie de son texte, la chroniqueuse revient sur les mutations qu’a connues la FFQ ces dernières années. Enfin, dans la dernière partie, il est question de l’identité de genre de Mme Bouchard et du fait que les TERF qui ont fondé PDF Québec n’apprécient guère la présidente de la FFQ et les nouvelles orientations de l’organisme. À aucun moment, Isabelle Hachey n’établit un quelconque lien entre le tweet de Mme Bouchard et PDF Québec; il s’agit là de l’interprétation de la plaignante. Dans ces conditions, il est impossible de reprocher à la journaliste d’avoir été incomplète relativement à une information – le lien entre le tweet de Mme Bouchard et PDF Québec – qui ne figure pas dans son article.
3.2 Aucun lien entre PDF Québec et la FFQ
Le Conseil de presse doit déterminer si Isabelle Hachey a manqué à son devoir de complétude dans le passage suivant en n’indiquant pas que PDF Québec a été créé avant l’arrivée de Mme Bouchard à la présidence de la FFQ : « Surtout, elles [les TERF de PDF Québec] n’acceptent pas le virage imposé à la FFQ, elles qui y ont milité toute leur vie, soupçonne Gabrielle Bouchard. “Le mouvement féministe a été bâti autour de l’utérus. Alors, arrêter de voir les femmes comme des objets reproducteurs et parler de la pluralité de leurs expériences, pour elles, c’est difficile.” »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Selon la plaignante, « il aurait été important que le public sache que PDF Québec a été créé bien avant l’arrivée de Gabrielle Bouchard à la tête de la FFQ. » Or, comme le souligne le représentant des mis en cause, le fait que PDF Québec ait été fondé avant la présidence de Mme Bouchard ne change en rien le point de vue de cette dernière selon lequel les membres de PDF Québec n’acceptent pas le virage imposé à la FFQ. Cette information n’était donc pas essentielle à la bonne compréhension du sujet traité par Isabelle Hachey.
En outre, non seulement la journaliste n’était pas tenue de mentionner cette information, mais elle le fait implicitement. Elle écrit d’abord que « les TERF ont fondé le groupe Pour les droits des femmes du Québec, après avoir claqué la porte de la FFQ en 2013 »; puis quelques lignes plus loin, on peut lire au sujet des attaques reçues par Gabrielle Bouchard sur les réseaux sociaux : « Comme c’est le cas depuis son élection à la tête de la FFQ, en 2017. » Le lecteur peut donc comprendre que PDF Québec a été créé en 2013, soit quatre ans avant la nomination de Gabrielle Bouchard à la tête de la FFQ en 2017.
Griefs non traités
Atteinte à la réputation
L’organisme PDF Québec estime que l’article d’Isabelle Hachey a « porté atteinte à [sa] réputation ».
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation, et plus largement la diffamation, ne sont pas du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire, comme le précise l’article 13.03 du Règlement No 2.
Manque d’équilibre
Diane Guilbault estime qu’Isabelle Hachey a manqué d’équilibre dans son traitement de l’information en ne vérifiant pas auprès de PDF Québec les allégations selon lesquelles « PDF Québec a été créé par des TERF, contre les droits des personnes trans. » Cependant, le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique spécifique au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de l’organisme Pour le droit des femmes Québec (PDF Québec) contre la chroniqueuse Isabelle Hachey, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant les griefs d’informations inexactes et d’informations incomplètes et il juge irrecevable le grief de confusion dans l’identification des genres journalistiques.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier