Plaignant
Julian Andrey Mazuera
Mis en cause
Frédéric Marcoux, journaliste
L’Express de Drummondville
Résumé de la plainte
Julian Andrey Mazuera dépose une plainte le 24 septembre 2019 contre le journaliste Frédéric Marcoux, le journal L’Express de Drummondville et le site Internet www.journalexpress.ca concernant les articles intitulés « Réponses laconiques de William Morales et des libéraux » et « Affaire Morales : l’ex-trafiquant de drogue supporterait activement sa campagne », publiés les 19 et 23 septembre 2019. Le plaignant reproche des informations inexactes, une atteinte à la vie privée et de la diffamation (grief non traité).
CONTEXTE
Journaliste affecté à la couverture judiciaire, Frédéric Marcoux publie le 17 septembre 2019 dans L’Express de Drummondville un article sur la soirée d’investiture de William Morales comme candidat du Parti libéral du Canada aux prochaines élections fédérales (cet article n’est pas visé par la plainte). Il rapporte la présence lors de cette soirée d’« au moins deux individus qui ont déjà été liés au crime organisé par le passé » : Julian Andrey Mazuera (le plaignant dans ce dossier) et « la conjointe de ce dernier, Ana Milena Padilla Vaquero ». Le journaliste précise qu’il a vu M. Mazuera « enlacer William Morales ».
Deux jours plus tard, Frédéric Marcoux publie un article concernant les liens entre le candidat du PLC et M. Mazuera (le premier article visé par la plainte) dans lequel il rapporte les « réponses laconiques de William Morales et des libéraux » à ce sujet.
Le 23 septembre 2019, Frédéric Marcoux publie un nouvel article sur le même sujet (le second visé par la plainte) dans lequel il révèle, en s’appuyant sur des sources confidentielles, que M. Mazuera « supportait activement » la campagne de M. Morales.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Longueur et répétition des discussions entre MM. Mazuera et Morales
Le Conseil doit déterminer si, dans l’article publié le 19 septembre 2019, Frédéric Marcoux rapporte une information inexacte au sujet de la durée et de la répétition des discussions entre MM. Mazuera et Morales dans le passage suivant : « Les deux hommes d’origine colombienne ont été vus à discuter ensemble pendant de longues minutes, mardi soir, et ce à plusieurs occasions ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Bien que Julian Andrey Mazuera affirme qu’il n’ait pas discuté « longtemps » ni à « plusieurs reprises » avec William Morales ce soir-là, il n’en apporte pas la preuve. Or, le Conseil a rappelé à maintes reprises qu’« il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule », par exemple dans la décision D2004-07-006. En l’absence de preuve de l’inexactitude alléguée par M. Mazuera, le Conseil rejette le grief.
1.2 Soutien de M. Mazuera à la candidature de M. Morales
Le Conseil doit déterminer si, dans l’article publié le 23 septembre 2019, Frédéric Marcoux rapporte une information inexacte concernant le soutien apporté par M. Mazuera à M. Morales dans les passages suivants :
- « Selon nos informations, Mazuera, un homme bien connu de la communauté hispanique drummondvilloise aurait fait au moins deux déclarations pour inciter la communauté colombienne à voter pour William Morales. »
- « Alors qu’il semblait avoir les facultés affaiblies, M. Mazuera aurait monté sur scène pour transmettre un message important en faveur de William Morales devant une centaine de personnes. “Nous devons avoir un candidat colombien aux prochaines élections, il va aider notre communauté”, aurait déclaré Julian Andrey Mazuera. »
- « Par ailleurs, dans le cadre du baptême d’un enfant, en juillet dernier, Julian Andrey Mazuera aurait profité de l’occasion pour marteler son message pour le candidat libéral d’une façon subtile. “Élisons un député et il va aider la communauté colombienne”, aurait affirmé M. Mazuera, selon une source. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Julian Andrey Mazuera affirme qu’il n’a fait « aucune déclaration pour inciter la communauté colombienne à voter pour William. Oui, j’étais présent dans un événement latino (Fiesta) le 3 août, mais je n’étais pas avec des facultés affaiblies et je ne suis jamais monté sur scène pour transmettre aucun message. » Il ajoute que lors du baptême de sa fille, il n’a « jamais profité de l’occasion pour donner un message par rapport à William Morales. » De son côté, le journaliste Frédéric Marcoux explique que les informations au sujet de ces événements proviennent de sources crédibles dont il a conservé l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Ainsi, le Conseil se retrouve devant deux versions contradictoires. En l’absence de preuves, il donne le bénéfice du doute aux mis en cause et rejette le grief, comme il l’a fait dans ses décisions antérieures, notamment dans le dossier D2015-10-051. Dans cette décision, le Conseil avait rejeté le grief d’information inexacte en expliquant que « le fardeau de la preuve incombe au plaignant, et que ce dernier n’a pas été en mesure de démontrer les faits qu’il avançait ». Pareillement dans le cas présent, M. Mazuera ne démontre pas ce qu’il avance. Il faut par ailleurs noter que Frédéric Marcoux a fait preuve de prudence en utilisant le conditionnel dans les passages visés par la plainte, puisqu’il attribue ces affirmations à des sources confidentielles.
1.3 Liens avec Carlos Julian Mazuera
Le Conseil doit déterminer si, dans l’article publié le 23 septembre 2019, Frédéric Marcoux rapporte une information inexacte concernant les liens entre Carlos Julian Mazuera et Julian Andrey Mazuera (le plaignant dans ce dossier) dans le passage suivant :
« D’ailleurs, à cet effet, selon une autre source digne de foi, [Carlos Julian] Mazuera, ce Drummondvillois dans la vingtaine accusé de voies de fait grave en lien avec l’histoire de l’agression à l’arme blanche du 22 février survenue [dans] le stationnement du Bistro de la gare à Drummondville est le cousin de Julian Andrey Mazuera. Cette cause reviendra d’ailleurs devant les tribunaux dans quelques semaines. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Julian Andrey Mazuera affirme que « tout le paragraphe en lien avec [Carlos Julian] Mazuera ne sont pas en lien avec moi. Oui c’est mon cousin, mais nous n’avons pas une relation proche. » Cependant, le journaliste n’écrit pas que Carlos Julian Mazuera et Julian Andrey Mazuera ont une « relation proche » : il indique uniquement leur lien familial.
Dans un dossier similaire (D2019-04-060), le Conseil devait déterminer si la journaliste avait rapporté une information inexacte en laissant entendre que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. Le Conseil a constaté « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas. Nulle part il n’est en effet écrit que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. » Le grief d’information inexacte a été rejeté. Pareillement dans le cas présent, le plaignant interprète les écrits du journaliste en lui reprochant des inexactitudes inexistantes.
1.4 Liens de Julian Andrey Mazuera avec Vanessa Ortiz
Le Conseil doit déterminer si, dans l’article publié le 23 septembre 2019, Frédéric Marcoux rapporte une information inexacte concernant les liens entre Julian Andrey Mazuera et Vanessa Ortiz dans les passages suivants :
« Rappelons que ce n’est pas la première fois que des Colombiens se montrent inquiets face au crime organisé dans la région. Le 19 décembre dernier, Vanessa Ortiz, une esthéticienne qui a été agressée physiquement et qui a perdu son commerce L’Essenciel dans un incendie, quelques mois plus tard, avait fait mention d’une situation particulière.
Lors d’une entrevue accordée à L’Express pour raconter l’histoire de son agression, Vanessa Ortiz disait savoir que plusieurs individus craignaient l’entourage de son assaillante, puisque certaines personnes seraient impliquées dans des histoires de “drogues”, avait-elle laissé entendre. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Julian Andrey Mazuera affirme qu’il « ne comprend pas pourquoi [le journaliste] mentionne l’événement passé avec Vanessa Ortiz, car je ne suis pas impliqué dans cette histoire. Je ne suis même pas son ami ni une personne proche d’elle. » Frédéric Marcoux explique ces paragraphes se voulaient « un complément d’information sur le monde criminalisé drummondvillois, en évoquant l’histoire de Vanessa Ortiz. L’objectif était de faire remarquer aux lecteurs que ce n’était pas la première fois que des Colombiens acceptaient de s’entretenir avec la presse pour, entre autres, dénoncer la présence d’individus au lourd passé criminel dans la région qui semaient l’inquiétude. » Dans cette mise en contexte relative au climat régnant dans la communauté hispanophone de Drummondville, le journaliste n’écrit pas que M. Mazuera est un ami de Mme Ortiz ou qu’il est proche d’elle, contrairement à ce qu’affirme le plaignant. Autrement dit, ce dernier interprète le texte et reproche au journaliste une information inexacte qui n’y figure pas.
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public.» (article 18 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si L’Express de Drummondville a porté atteinte à la vie privée de Julian Andrey Mazuera en publiant une photo de lui ainsi que de sa fille dans l’article publié le 23 septembre 2019.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la vie privée, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Julian Andrey Mazuera reproche aux mis en cause d’avoir publié sa photo ainsi que celle de sa fille sans son autorisation.
En effet, M. Mazuera s’est présenté à cet événement avec sa fille, un bébé. Des photos prises à la soirée coiffent l’article. Comme le souligne la directrice de l’information de L’Express Drummondville, Lise Tremblay, ces photos ont été prises durant un événement public, soit la soirée d’investiture au cours de laquelle des membres du Parti libéral ont choisi le candidat qui allait les représenter aux élections fédérales.
Dans ce contexte, les adultes présents lors de cet événement pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que des photos soient prises pendant la soirée puis publiées dans les médias. En ce sens, il ne saurait y avoir de présomption de vie privée dont M. Mazuera pourrait se prévaloir.
S’agissant de la photo sur laquelle la fille de M. Mazuera apparaît, on y voit un homme en chandail rouge (M. Mazuera) et une femme assis sur des chaises, la femme portant un bébé sur ses genoux. Cette dernière tient dans ses mains un téléphone cellulaire qui masque le visage du bébé. Donc, au-delà du fait qu’il s’agissait d’un événement public où le père (le plaignant) s’est présenté avec son bébé, l’identification du bébé était, en plus, impossible. Dans un autre dossier concernant la photographie d’une personne non identifiable, comme ici le bébé de M. Mazuera, (D2019-04-059), le Conseil devait déterminer si le média avait atteint à la vie privée de la plaignante en publiant une photo d’une taverne où elle s’était reconnue. Le Conseil a constaté que la photo en question est « granuleuse et très sombre (…) On discerne que cinq personnes sont attablées, dans le coin en bas et à gauche de la photo. Le peu de contraste permet à peine de voir ces personnes, mais la plaignante s’est reconnue comme étant l’une d’entre elles (…) Il est possible qu’une personne se reconnaisse elle-même sur une photo, reconnaissant le lieu où elle se trouvait, ou que l’un de ses proches la reconnaisse. Cela n’est pas considéré comme une atteinte à sa vie privée au regard de la déontologie journalistique (…) La plaignante, même si elle s’est reconnue dans cette photo, ne peut être identifiée par le grand public. Sans identification, le Conseil ne peut voir de manquement en matière de respect de la vie privée. » Pareillement dans le cas présent, la fille de M. Mazuera, dont le visage est partiellement caché, ne peut être identifiée par le grand public.
Grief non traité
Julian Andrey Mazuera reproche à Frédéric Marcoux de rapporter des « informations sans fondement » qui sont diffamatoires envers lui et sa famille.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation, et plus largement la diffamation, ne sont pas du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire, comme le précise l’article 13.03 du Règlement No 2.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Julian Andrey Mazuera contre le journaliste Frédéric Marcoux, le journal L’Express de Drummondville et le site Internet www.journalexpress.ca concernant les articles intitulés « Réponses laconiques de William Morales et des libéraux » et « Affaire Morales : l’ex-trafiquant de drogue supporterait activement sa campagne », publiés les 19 et 23 septembre 2019 pour les griefs d’informations inexactes et d’atteinte à la vie privée.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Ericka Alneus, présidente du comité de plaintes
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Jed Kahane