Plaignant
Ghislaine Gendron
Mis en cause
La Presse+
La Presse
Résumé de la plainte
Ghislaine Gendron dépose une plainte le 25 septembre 2019 contre La Presse et La Presse+ au sujet d’un article publié par La Presse+ le 23 septembre 2019 et intitulé « C’est quoi la laïcité? » La plaignante reproche plusieurs inexactitudes et incomplétudes.
CONTEXTE
L’article mis en cause publié dans La Presse+ provient du webmagazine québécois d’actualité pour enfants de 8 à 12 ans Le Curieux. L’objectif de l’article est d’expliquer aux enfants en quoi consiste le principe de la laïcité et ce, au moment où celui-ci fait beaucoup parler de lui puisque la Loi sur la laïcité de l’État a été votée en juin 2019 et qu’elle suscite des contestations de la part de citoyens.
Patrick Bourbeau répond au nom de La Presse. Bien que l’article soit signé par Le Curieux, le Conseil n’a pas retenu le webmagazine pour enfants dans les mis en cause, dans la mesure où il a jugé que la version publiée par La Presse+ comporte des modifications significatives par rapport à ce qui avait été initialement publié sur le site Internet du Curieux. Il s’agissait donc de juger cette présente publication, et non la version publiée sur le site d’origine.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 « Droit de croire en ce qu’il veut »
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « la laïcité signifie que : – chacun a le droit de croire en ce qu’il veut […] »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante estime que «[c]’est la Charte canadienne des droits et libertés qui assure cette protection [le droit de chacun de croire en ce qu’il veut]. Pas la laïcité. L’auteur de l’article confond […] (et induit en erreur de jeunes lecteurs) les chartes (les droits des citoyens canadiens) et la laïcité (un principe qui ne concerne que les rapports entre l’État et ses citoyens). Elle précise que « la laïcité est un principe (ce n’est pas une loi) ».
Les mis en cause répliquent que « tel qu’indiqué en chapeau de celui-ci, le texte a été rédigé par le webmagazine Curieux et a pour but d’expliquer un sujet d’actualité aux enfants. Il s’agit donc d’un texte de vulgarisation qui s’adresse à des lecteurs de 8 à 12 ans. Une notion complexe telle que, en l’occurrence, la laïcité y est donc mise à la portée d’un jeune public. »
Ils justifient la formulation de la phrase mise en cause en se référant à l’Observatoire de la laïcité, un organisme du gouvernement français, qui explique que « la laïcité garantit la liberté de conscience. De celle-ci découle la liberté de manifester ses croyances ou convictions dans les limites du respect de l’ordre public […] La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs croyances ou convictions. Elle assure aussi bien le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, d’en changer ou de ne plus en avoir. »
Contrairement à la plaignante, le Conseil juge que la définition donnée dans l’article mis en cause n’est pas inexacte, dans la mesure où, ne reconnaissant aucune religion, celle-ci permet à chacun de vivre dans la croyance de son choix ou dans l’absence de croyance. Cet aspect de la laïcité est d’ailleurs inclus dans la Loi sur la laïcité (L-0.3) adoptée le 16 juin 2019 par le gouvernement du Québec. On peut en effet y lire, à l’article 2 du chapitre 1 (« Affirmation de la laïcité de l’État ») : « La laïcité de l’État repose sur les principes suivants : […] 4° la liberté de conscience et la liberté de religion. »
1.2 Traitement différent
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « [l]a laïcité signifie que : – personne n’a le droit de traiter quelqu’un différemment à cause de sa religion »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante estime que « la laïcité ne signifie pas ceci [le fait que personne n’a le droit de traiter quelqu’un différemment à cause de sa religion]. C’est la Charte des droits et libertés du Québec qui assure cette protection. Pas la laïcité. » Elle illustre son argument en affirmant que « [l]es principes de laïcité ne concerneraient pas, par exemple, le cas d’un boulanger “croyant” qui refuserait d’engager un employé “athée” ou pratiquant une autre religion que la sienne, tel qu’énoncé dans La Presse+ puisqu’elle [la laïcité] se limite aux affaires de l’État dans son rapport avec les citoyens. »
À l’instar des mis en cause, qui expliquent qu’« [e]n vertu du principe de la laïcité, l’État se trouve donc à garantir que personne n’ait le droit de traiter quelqu’un différemment à cause de sa religion », le Conseil juge que « dans un État laïc, où est mis de l’avant le concept de laïcité, l’État garantit la liberté de conscience de chacun de ses citoyens, un principe en vertu duquel personne n’a le droit de traiter quelqu’un différemment à cause de sa religion. Donc, il n’est pas inexact de dire que la laïcité au sens large signifie que personne n’a le droit de traiter quelqu’un différemment à cause de sa religion. »
Le Conseil souligne que l’article vise à vulgariser le concept de laïcité auprès d’un jeune lectorat, ce qui explique que les propos soient rédigés de manière adaptée à l’objectif de l’article, qui est d’en faciliter la compréhension par des enfants âgés de 8 à 12 ans.
1.3 Neutralité
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant qu’« au Québec et au Canada, l’État et tous ses services (l’école, l’hôpital, la justice, etc.) sont neutres aujourd’hui, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas marqués par une religion et ne favorisent pas les personnes d’une religion par rapport aux autres »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante juge que cette affirmation est inexacte puisque, selon elle, « l’État n’est toujours pas neutre aujourd’hui ». Elle en donne plusieurs exemples, dont le cas des « congés de taxes ou déductions d’impôt accordés aux organismes religieux », dans la mesure où ceux-ci sont considérés comme des organismes de bienfaisance. La plaignante estime donc que ces exceptions auraient dû être mentionnées dans l’article.
Les mis en cause concèdent que « bien sûr, ce principe [de neutralité] peut souffrir de certaines exceptions sans pour autant qu’il soit moins vrai que de manière générale, l’État et tous ses services sont neutres. »
Dans la phrase mise en cause, le journaliste avance une vérité générale, à savoir qu’il est exact d’affirmer que le principe de la laïcité prévaut dans la prestation de service. Dans cet article visant à vulgariser ce qu’est la laïcité, le média n’avait pas à faire part d’exceptions qui auraient pu être autant d’obstacles, pour un enfant qui découvre le concept de laïcité, à sa bonne compréhension d’une notion déjà complexe pour son âge.
En outre, le Conseil considère qu’il n’a pas à juger si le Québec et le Canada respectent bien ce principe de neutralité comme l’aimerait la plaignante, mais doit plutôt se prononcer sur l’exactitude de l’affirmation. Or, en dépit de ce qu’affirme la plaignante, la Loi sur la laïcité de l’État adoptée le 16 juin 2019 inclut le principe de la neutralité de l’État. L’article 2 stipule que la laïcité de l’État repose notamment sur le principe de la neutralité religieuse de l’État. Il n’est donc pas inexact d’écrire, dans un texte de vulgarisation, qu’« au Québec et au Canada, l’État et tous ses services sont neutres aujourd’hui ».
1.4 Une loi pour interdire les signes religieux
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « si on parle autant de laïcité, c’est parce que tout le monde n’en a pas la même conception. Le Québec a d’ailleurs adopté en juin dernier une nouvelle loi pour interdire à certains travailleurs de l’État, comme les enseignants ou les policiers, de porter des signes religieux sur leur lieu de travail »? (La plaignante souligne)
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante considère que « cette loi n’a pas pour objectif d’interdire le port de signes religieux ». Elle précise que « l’interdiction est un moyen pour atteindre l’objectif de la loi ».
Comme les mis en cause le relèvent, « les notes explicatives de [la] loi, rédigées par l’Assemblée nationale du Québec, énoncent que : “La loi propose d’interdire le port d’un signe religieux à certaines personnes dans l’exercice de leurs fonctions.” Cette interdiction est d’ailleurs édictée à l’article 6 de la loi ». Cet article stipule :
Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II. Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :
1° soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;
2° soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.
Par conséquent, le Conseil conclut qu’il n’y a pas d’inexactitude dans la phrase mise en cause par la plaignante. C’est justement cet aspect de la loi qui a fait le plus parler au Québec, provoquant un débat de société justement parce qu’il constituait un des quatre volets de cette loi.
D’ailleurs, lorsque l’article évoque « une loi pour interdire les signes religieux », il reflète la réalité puisque, tel que le font remarquer les mis en cause, « selon le dictionnaire Larousse, le mot “pour” peut servir à exprimer une conséquence ou un résultat. Or, la Loi sur la laïcité de l’État a comme conséquence d’interdire à certains travailleurs de porter des signes religieux sur leur lieu de travail. »
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
2.1 Absence d’explication
Le Conseil doit déterminer si le média a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet en affirmant que « si on parle autant de laïcité, c’est parce que tout le monde n’en a pas la même conception. Le Québec a d’ailleurs adopté en juin dernier une nouvelle loi pour interdire à certains travailleurs de l’État, comme les enseignants ou les policiers, de porter des signes religieux sur leur lieu de travail »? (La plaignante souligne.)
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 e) du Guide.
Analyse
La plaignante reproche ceci : « C’est inimaginable que l’objectif de la loi 21 ne soit même pas présenté aux enfants dans un article sur la laïcité ».
Elle déplore qu’il n’y ait « pas un seul mot sur les services à visage découvert ni sur les encadrements des accommodements religieux… Encore moins sur l’objectif de la loi et ses motivations […] Pas un seul mot sur les principes qui motivent cette “coercition” [l’interdiction des signes religieux pour certains employés de l’État]. Pas un seul mot pour inscrire la loi dans un contexte historique québécois non plus. »
Pour la plaignante, « il s’agit d’une information incomplète qu’on identifie communément par le terme “des demi-vérités’’, c’est-à-dire des informations incomplètes et sélectionnées pour influencer un lecteur à adhérer à son point de vue ».
À l’inverse, les mis en cause font valoir que « le texte n’avait pas pour objectif de décrire tous les tenants et aboutissants de cette loi, mais bien […] de vulgariser le concept de laïcité pour des lecteurs âgés de 8 à 12 ans. »
Le Conseil a plusieurs fois rappelé, dans ses décisions, notamment dans la décision D2018-07-078, tout comme dans la décision D2016-07-013, que « la déontologie “n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur”.
Dans le présent dossier, il ne manque rien d’essentiel à la compréhension de l’article, qui ne porte pas à proprement parler sur la Loi sur la laïcité de l’État, mais, plus généralement, sur la notion de laïcité.
Le Conseil relève aussi que l’accroche de l’article précise d’emblée : « Une fois par mois, retrouvez une nouvelle vulgarisée dans nos pages et poursuivez votre lecture du dossier sur le site Internet du Curieux. » À la fin de l’article, les jeunes lecteurs sont invités à en apprendre plus sur la laïcité, notamment avec des éléments portant sur sur la loi, en consultant « le dossier intégral du Curieux : une carte de la laïcité dans le monde, les enjeux de la laïcité ici et dans le monde, les arguments “pour” et “contre” le projet de loi 21, adopté en juin. »
2.2 Partisans et adversaires
Le Conseil doit déterminer si le média a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet en ne précisant pas, à la suite de « cette loi a ses partisans et ses adversaires », que c’est le cas pour « l’ensemble des lois »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 e) du Guide.
Analyse
La plaignante estime que l’article aurait dû préciser que « comme l’ensemble des lois votées par le législateur, celle-ci [la Loi sur la laïcité de l’État] a ses partisans et ses adversaires ».
Les mis en cause rétorquent que « contrairement à ce qu’affirme la plaignante, il est de la nature même du reportage politique que les médias rapportent couramment que les lois ont leurs partisans et leurs adversaires et traitent des arguments soulevés par chacun. »
Les mis en cause arguent que «[l]a laïcité de l’État et, plus particulièrement, la Loi sur la laïcité de l’État, ont suscité de très vifs débats qui ont divisé la société québécoise. Il était donc tout à fait approprié d’en faire état dans le cadre du texte en faisant part de tous les points de vue. »
Certes, toutes les lois ont des partisans et des opposants, mais pas au point d’être contestées devant les tribunaux, comme c’est le cas de la Loi sur la laïcité de l’État. Le Conseil juge qu’il ne manque pas d’élément essentiel à la compréhension du sujet. Il n’était pas nécessaire de préciser, dans l’article, comme l’aurait souhaité la plaignante, que toutes les lois font l’objet de débats.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Ghislaine Gendron contre La Presse+ concernant les griefs d’informations inexactes et d’informations incomplètes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Jed Kahane