Plaignant
Alexandre Popovic
Mis en cause
Joseph Facal, chroniqueur
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Alexandre Popovic dépose une plainte le 18 octobre 2019 contre le chroniqueur Joseph Facal et contre Le Journal de Montréal concernant la chronique « Quand la gauche devient idiote [2] », publiée le 10 octobre 2019. Le plaignant dénonce une atteinte à la dignité.
CONTEXTE
La chronique de Joseph Facal visée par la plainte s’inscrit dans une série de textes ayant pour thème ce que le chroniqueur nomme « les dérives idiotes du “progressisme’’ en ce début de XXIe siècle ». Dans le texte en cause, Joseph Facal évoque une action du groupe écologiste Extinction Rebellion, le 8 octobre, au cours de laquelle trois militants ont escaladé le pont Jacques-Cartier, forçant sa fermeture et provoquant un embouteillage majeur en pleine heure de pointe matinale.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : Atteinte à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur et le média ont manqué à leur devoir de respect de la dignité des personnes en qualifiant trois militants écologistes d’« imbéciles », de « crétins » et de « connards », dans les passages suivants : « Si vous n’êtes pas dans le coma ou dans le bois sans électricité, vous avez entendu parler des trois imbéciles qui ont, mardi, grimpé sur le pont Jacques-Cartier » ; « Ces trois crétins font partie d’un groupe nommé Extinction Rebellion » ; « Pourquoi ne pas dire que le pont est bloqué et par qui, mais en donnant le moins de visibilité complaisante à des connards qui n’espèrent que cela? »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la dignité, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 18 (1) du Guide.
Analyse
Le plaignant reproche au chroniqueur d’avoir utilisé sa tribune « pour traiter les trois personnes qui ont été arrêtées pour avoir bloqué le pont Jacques-Cartier, “[d’]imbéciles”, de “crétins” et de “connards” ».
Selon lui, le mis en cause « a outrepassé les larges limites de la chronique et du commentaire ». Le plaignant dénonce « des propos faisant preuve de mépris et qui sont à la fois assimilables à une forme d’incitation au dénigrement et à une atteinte à la dignité des personnes visées ».
Le Conseil a maintes fois rappelé que le journaliste d’opinion dispose d’une grande latitude dans le ton et le style qu’il adopte, incluant le choix de mots jugés insultants, vulgaires, disgracieux et de critiques jugées virulentes ou acerbes envers des personnes. Le Guide n’interdit pas les propos insultants et le Conseil se garde bien d’être le défenseur de la rectitude politique.
Dans une décision antérieure, D2016-05-142, le Conseil a précisé qu’« une atteinte à la dignité doit nécessairement s’évaluer à l’aune du contexte dans lequel ont été proférés les propos jugés vexatoires. C’est ce qui fait, par exemple, qu’on jugera différemment les mêmes propos selon qu’ils visent une personne reconnue coupable de meurtres en série, un politicien ou un simple citoyen qui se tient à l’écart de la vie publique. » Rappelant qu’il s’est toujours refusé à jouer le rôle de police de la langue, le Conseil a rejeté le grief d’atteinte à la dignité d’un chroniqueur de Ricochet Média, Marc-André Cyr, qui avait insulté le chroniqueur Richard Martineau. Les propos virulents de M. Martineau à l’endroit de M. Cyr, notamment « Un tabarnak comme ça qui montre mon cadavre à tout bout de champ », « le tabarnak de sacrament d’estie de calice », et « c’est un écoeurant », ont été jugés dans un contexte d’attaques publiques entre les deux hommes.
Pareillement, dans le cas présent, les critiques exercées à l’endroit des trois militants écologistes dans la chronique sont dures, directes et acerbes, mais elles ne franchissent pas les limites de la liberté d’expression du chroniqueur. En posant un geste illégal dans un lieu public pour faire passer leur message, les trois militants s’exposaient à des critiques.
Le Conseil a établi la limite déontologique à certains cas où des personnes ont été traitées comme des objets ou comme des personnes ne méritant pas de vivre, comme dans la décision D2016-04-139, où des propos tenus par les internautes à la suite d’un article, tels que « déchet » et « vidange » ou encore « Ils auraient dû le descendre », « portent atteinte à la dignité de Dany Villanueva et, dans certains cas, incitent à la violence envers lui », ou dans les cas où le mépris exprimé avait un motif discriminatoire (article 19.1 du Guide).
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Alexandre Popovic contre le chroniqueur Joseph Facal et contre Le Journal de Montréal concernant le grief d’atteinte à la dignité.
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Simon Chabot-Blain
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Jed Kahane