Plaignant
Jean-Simon Voghel Robert
Mis en cause
Éric Duhaime, chroniqueur
Le magazine Urbania
Résumé de la plainte
Jean-Simon Voghel Robert dépose une plainte le 21 octobre 2019 contre le chroniqueur Éric Duhaime et Urbania concernant la chronique « Couper les ponts », publiée le 10 octobre 2019. Le plaignant déplore de la discrimination et de l’information incomplète.
CONTEXTE
Dans cette chronique, Éric Duhaime critique les militants du groupe Extinction Rebellion Québec qui ont escaladé le pont Jacques-Cartier, à Montréal. Il estime que ce « coup d’éclat » a eu davantage de répercussions sur les citoyens qui se sont retrouvés coincés dans des bouchons de circulation en raison de la fermeture du pont que sur la protection de l’environnement, la cause qu’ils défendent. Il remet en question le recours à de telles actions de désobéissance civile.
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Analyse
Grief 1 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a fait preuve de discrimination dans sa chronique.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de discrimination.
Analyse
Le plaignant considère que plusieurs passages de la chronique témoignent de discrimination envers les militants d’Extinction Rebellion « sur les bases de leur conviction politique et de militantisme dans un groupe de revendication sociale ». Selon lui, les termes ou les expressions suivants constituent une incitation soit au mépris, soit à la haine ou à la violence :
- le terme « mépris » dans le sous-titre « Le mépris de la désobéissance civile selon Éric »;
- le terme « mépris » dans la phrase « Quel crime a commis Gabriel et tous ces autres individus pour mériter autant de mépris de la part des activistes de l’urgence climatique »;
- le verbe « écoeurer » dans le passage suivant : « Pourquoi les prétendus écolos tiennent-ils tant à poser des gestes qui ne font qu’écoeurer les citoyens plutôt que d’aller ramasser des vidanges, planter des arbres ou adresser leurs doléances aux instances capables de faire bouger les choses »;
- l’expression « apparatchiks du Politburo » dans le passage « Les sacrifices pour les simples contribuables, mais surtout pas pour les apparatchiks du Politburo »;
- l’utilisation du pronom « on » dans l’extrait « Pour les trois extrémistes arrêtés mardi, j’espère qu’on leur fera payer chèrement leur coup d’éclat »;
- le verbe « croupir » dans la phrase « J’espère qu’on leur fera payer chèrement leur coup d’éclat ou qu’ils croupiront un petit bout en prison ».
Dans un premier temps, le Conseil s’est penché sur l’argument du plaignant voulant que le terme « mépris » dans le sous-titre « Le mépris de la désobéissance civile selon Éric » est discriminatoire et constitue « un appel à mépriser les personnes impliquées dans ce mouvement [Extinction Rebellion], donc sur les bases de leur conviction politique et de militantisme dans un groupe de revendication sociale ». Le Conseil juge que le fait de critiquer les actions de certains militants du mouvement Extinction Rebellion ne constitue pas un motif discriminatoire.
Le plaignant interprète le sous-titre comme « un appel à mépriser » les militants d’Extinction Rebellion, alors que le sous-titre dénonce plutôt le mépris de ceux qui font de la désobéissance civile. Le terme « mépris » est utilisé pour parler des actes de désobéissance civile que dénonce le chroniqueur, et non pour inciter ou attiser le mépris envers les militants qui mènent ces actions.
Les convictions politiques des personnes peuvent, dans certains cas, représenter un motif discriminatoire si les termes ou les représentations utilisés envers ces personnes tendent à susciter la haine, le mépris, la violence ou les préjugés. Par exemple, dans le dossier D2017-10-117, le Conseil a retenu un grief de discrimination parce qu’il a jugé que Luc Lavoie avait tenu des propos discriminatoires suscitant la haine envers les personnes en faveur de la séparation du Québec sur la base de leurs convictions politiques lorsqu’il avait affirmé « On pourrait prendre nos guns comme les Américains, pis on tire des écureuils (…) En fait, moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible ».
Dans le cas présent, cependant, Éric Duhaime critique les gestes de désobéissance civile de certaines personnes ayant des convictions politiques, les militants d’Extinction Rebellion.
Autant dans le cas du sous-titre que des autres extraits visés par le plaignant, Éric Duhaime critique les actions des militants. Il ne s’en prend pas à leurs caractéristiques personnelles. Cela ne constitue pas un motif discriminatoire. Or, pour qu’un grief de discrimination soit retenu, le Conseil doit constater qu’il y a eu discrimination sur la base d’un motif discriminatoire qui peut être, entre autres, l’âge, le sexe, la langue, les convictions politiques, la religion ou l’origine ethnique. En l’absence d’un tel motif, le Conseil rejette le grief comme ce fut le cas dans le dossier D2017-11-139. Dans ce cas, la plaignante déplorait que le chroniqueur insulte « gratuitement les gens » dans le titre « Les cons, c’est par là, à gauche ». Le Conseil a fait valoir que, bien que ces propos puissent paraître insultants, ils ne se basent sur aucun motif discriminatoire et ne suscitent ni la haine ni le mépris.
Pareillement dans le cas présent, la critique porte sur les gestes des militants et ne constitue pas de la discrimination.
Grief 2 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet « en éclips[ant] les revendications et motivations réelles du groupe et [en] ignor[ant] les appuis de plusieurs citoyens », comme le soutient le plaignant.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
Bien que le plaignant considère que le chroniqueur « éclipse les revendications et motivations réelles du groupe et ignore les appuis de plusieurs citoyens », le Conseil juge que ces informations n’étaient pas essentielles à la compréhension de cette chronique dans laquelle Éric Duhaime a choisi de présenter son opinion sur certains gestes de désobéissance civile. Il ne s’agit pas d’un portrait du groupe Extinction Rebellion.
À plusieurs reprises, notamment dans les décisions D2018-07-078 et D2016-07-013, le Conseil a rappelé que la déontologie « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur ».
Dans le cas présent, le chroniqueur s’exprime sur la désobéissance civile dans le contexte d’une action ayant eu pour effet la fermeture du pont Jacques-Cartier et non sur le groupe Extinction Rebellion, ses revendications ou ses motivations. Éric Duhaime n’avait donc pas l’obligation déontologique de faire état des informations avancées par le plaignant concernant ce groupe.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Jean-Simon Voghel Robert contre Éric Duhaime et Urbania concernant les griefs de discrimination et d’information incomplète.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost