Plaignant
Tong Li, propriétaire du bar Chez Françoise
Mis en cause
Michael Nguyen, journaliste
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
La propriétaire du bar Chez Françoise, Tong Li, dépose une plainte le 22 novembre 2019 contre le journaliste Michael Nguyen et Le Journal de Montréal concernant l’article « Sexe, drogue et violence dans un bar de HoMa », publié le 23 août 2019, qui concerne son bar. La plaignante vise de l’information inexacte, du manque de rigueur de raisonnement, de la partialité, des informations incomplètes et une atteinte à la réputation (non traitée).
CONTEXTE
L’article mis en cause rapporte les raisons pour lesquelles la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a suspendu la licence d’un bar du quartier Hochelaga-Maisonneuve (HoMa) pour une période de 40 jours, après qu’une enquête policière a révélé des épisodes de violence, de sexe et de trafic de drogue à l’intérieur de cet établissement.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a produit une information inexacte au sujet de la consommation d’alcool après les heures permises dans l’extrait suivant : « C’est que l’établissement du quartier Hochelaga-Maisonneuve cumule les problèmes depuis quelques mois. Coups de feu, vente de drogue, consommation d’alcool après les heures permises […] »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante affirme qu’il est inexact d’écrire « consommation d’alcool après les heures permises ». Elle indique qu’il n’y avait « aucune mention de consommation après les heures permises dans la décision de la RACJ ». Cependant, le journaliste n’écrit pas dans son article que l’information provient de la décision de la Régie. Dans sa plainte, la propriétaire du bar ne nie d’ailleurs pas qu’il y ait eu consommation d’alcool après les heures de fermeture, elle spécifie seulement que cela n’était pas écrit dans la décision de la Régie.
Dans sa réplique au Conseil, Michael Nguyen explique qu’il a basé son article sur la décision de la Régie et sur une entrevue réalisée avec Tong Li qui lui a « confirmé des informations contenues dans l’article ». Le Conseil n’a pas eu accès au contenu de cette entrevue.
Ne disposant pas de la preuve pour établir s’il y avait ou non consommation d’alcool après les heures permises, le Conseil se trouve devant des versions contradictoires et ne peut conclure à un manquement déontologique de la part du journaliste.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement ». (article 9 b) du Guide)
2.1 Trafic de drogue
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a fait preuve de manque de rigueur de raisonnement dans l’extrait suivant : « Et il semble que clients et employés ne se cachaient pas pour faire leur trafic ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement sur ce point.
Analyse
La plaignante soutient que l’article « décrit le bar comme un endroit où toutes les serveuses trafiquent la drogue au lieu d’un cas isolé » et déplore une « généralisation abusive ». Cependant, le Conseil constate que le journaliste n’écrit pas que tous les employés vendent de la drogue.
De plus, la description des événements relatifs au trafic de drogue qui figurent dans l’article correspond aux faits détaillés dans la décision de la Régie. Cette décision rapporte des incidents liés à deux serveuses, confirmant que le problème de drogue va au-delà d’un cas isolé, comme le prétend la plaignante :
- le 7 décembre 2018, un agent banalisé « est témoin de deux commandes téléphoniques de cocaïne effectuées par [la serveuse] à la demande de deux clients » ;
- ce même agent voit « un des acheteurs consommer la substance commandée dans les toilettes, à la vue des autres clients présents » ;
- les 22 et 29 janvier 2019, « l’agent d’infiltration effectue deux achats de cocaïne auprès [d’une autre serveuse] ».
Considérant que le journaliste rapporte les constats de la décision de la Régie sans en tirer de conclusions fallacieuses, le Conseil estime qu’il n’y a pas de manque de rigueur de raisonnement.
2.2 Absence de contrôle et manque de surveillance
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a fait preuve de manque de rigueur de raisonnement dans l’extrait suivant : « La preuve a démontré une absence de contrôle de l’établissement […] ainsi qu’un manque sérieux de surveillance »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement sur ce point.
Analyse
La plaignante indique que « l’inclusion [du passage ci-haut] après la description des altercations semble suggérer que des événements violents surviennent quotidiennement, ce qui engendre la décision de la Régie. Or, cet article ne présente aucunement un raisonnement rigoureux; dans ladite décision, la violence conjoncturelle n’eut une influence sur leur décision ». Elle soutient qu’ayant « lu la décision, quiconque doté d’un raisonnement rigoureux dépourvu de biais saurait qu’il soit impossible que ces événements soient d’une nature quotidienne ».
De la même manière qu’au grief 2.1, le journaliste demeure fidèle à la décision de la Régie en écrivant que « la preuve a démontré une absence de contrôle de l’établissement […] ainsi qu’un manque sérieux de surveillance ». La décision indique notamment que « l’efficacité des mesures mises en place pour empêcher les infractions commises est également un élément à considérer dans l’évaluation de la sanction. Dans le cas qui nous occupe, celles-ci se sont avérées inefficaces et insuffisantes. Au surplus, la preuve a démontré une absence de contrôle à l’établissement de la part de la titulaire ainsi qu’un manque sérieux de surveillance ».
Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la plaignante, le journaliste ne laisse pas entendre que des événements violents surviennent quotidiennement au bar Chez Françoise. Le Conseil relève qu’il s’agit de l’interprétation de la plaignante et qu’on ne peut y voir de manquement déontologique.
Grief 3 : partialité
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ». (article 9 c) du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans le titre « Sexe, drogue et violence dans un bar de HoMa ».
3.1 Titre partial
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Bien que la plaignante déplore que le titre soit « racoleur » et « n’offre aucune impartialité », le Conseil estime qu’il reflète le contenu de l’article en présentant des informations conformes aux faits décrits dans la décision de la Régie et qu’il ne contient pas de terme connoté.
Le média n’a pas fait preuve de parti pris en faveur d’un point de vue particulier avec le titre « Sexe, drogue et violence dans un bar de HoMa », puisque la décision de la Régie rapporte des événements en lien avec les trois éléments du titre.
D’abord, la décision révèle qu’au « moment de l’intervention, une activité sexuelle était en cours dans les toilettes des femmes de l’établissement. C’est d’ailleurs ce qui a mené les deux policiers à se présenter au bar. Une douzaine de clients du bar est alors hostile à la présence des policiers et nécessite l’appel de renfort. Au cours de l’altercation, des voies de fait sont commises sur deux policiers ». Cet extrait témoigne d’un épisode impliquant à la fois sexe et violence dans l’établissement, sans compter que la décision comporte une section complète titrée « Actes de violence ».
En ce qui concerne la présence de drogue dans le bar Chez Françoise, la section « Drogue et autres substances » de la décision de la Régie énumère plusieurs incidents liés à la drogue, tels que les commandes téléphoniques de drogue par deux serveuses ainsi que l’achat et la consommation de cocaïne par les clients du bar.
Ainsi, les termes « sexe », « drogue » et « violence » sont factuels et ne témoignent d’aucun parti pris de la part du média.
3.2 Trafic
Décision
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans l’extrait suivant : « Et il semble que clients et employés ne se cachaient pas pour faire leur trafic. »
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
La plaignante soutient que l’extrait ci-haut a une « connotation négative et biaisée de la situation qui n’offre nullement une vue impartiale sur l’affaire ». Le Conseil ne constate aucun parti pris ni terme connoté dans cette phrase.
En écrivant « il semble que », le journaliste dresse un portrait de ce qu’il a découvert dans la décision de la Régie. Tel que mentionné ci-haut (au point 2.1), le 7 décembre 2018, l’agent banalisé « est témoin de deux commandes téléphoniques de cocaïne effectuées par [la serveuse] à la demande de deux clients et les 22 et 29 janvier 2019, « l’agent d’infiltration effectue deux achats de cocaïne auprès [d’une autre serveuse] ». On peut également lire dans la décision que « lors de l’opération planifiée par l’agent d’infiltration de novembre 2018 à janvier 2019, des clients achètent et consomment de la cocaïne dans les toilettes durant le jour. La vente de stupéfiants est orchestrée par la serveuse du bar ». L’analyse du journaliste voulant que « clients et employés ne se cachaient pas pour faire leur trafic » repose donc sur des faits. Il ne s’agit pas de son opinion.
Grief 4 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a omis des éléments essentiels à la compréhension du sujet en ne mentionnant pas « qu’aucun vol qualifié ou tentative de meurtre ne soit survenu », comme le soutient la plaignante, et en ne traitant pas de la « preuve » évoquée dans la décision de la Régie, comme l’aurait souhaité la plaignante.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’informations incomplètes.
Analyse
La plaignante déplore qu’il n’y ait « aucune mention de la constatation [de la Régie] », qui stipule que « les images, les témoignages et les enregistrements ne permettent pas de conclure qu’un vol qualifié a été commis sur la serveuse ». La plaignante aurait également souhaité que le journaliste indique qu’aucune tentative de meurtre ne soit survenue.
Elle réfère aux passages suivants de la décision :
- « L’enquête policière a débuté en novembre dernier quand une personne a contacté le 911 pour un vol dans le bar et deux coups de feu tirés à l’extérieur de l’établissement. À leur arrivée, les policiers ont trouvé deux douilles, mais la serveuse a juré n’avoir rien entendu. En analysant des bandes de vidéosurveillance, il a été possible de voir l’ami de cœur de la serveuse en train de servir des clients derrière le bar, tout en tenant une arme à feu. »
- Un bref enregistrement vidéo de la caméra de surveillance extérieure du bar est déposé par Tong Li à l’audience. On y voit un homme se diriger vers [la serveuse] qui fume alors à l’extérieur devant l’entrée du bar. Plusieurs secondes s’écoulent avant que celui-ci la bouscule et reparte en marchant. On ne peut percevoir s’il porte une arme sur lui. Les images ne permettent pas de conclure qu’un vol qualifié a été commis sur la serveuse. »
- « Les désignations “tentative de meurtre” et “vol qualifié” ne seront pas retenues par le Tribunal pour qualifier les actes ainsi commis. Toutefois, les soussignés considèrent que la preuve établit qu’un homme armé se trouvait derrière le bar et que des coups de feu ont vraisemblablement été tirés devant l’établissement. »
Le Conseil constate que la question de l’absence de vol qualifié et de tentative de meurtre n’était pas essentielle à la compréhension du sujet, puisque l’article traite des raisons pour lesquelles ce bar a temporairement perdu sa licence.
Tong Li soutient également que le journaliste omet d’aborder la « preuve » mentionnée dans la décision du tribunal et dénonce un « manque de contextualisation ». Elle réfère au segment suivant : « “La preuve a démontré une absence de contrôle de l’établissement […] ainsi qu’un manque sérieux de surveillance”, ont conclu les régisseurs ». Toutefois, la plaignante ne précise pas quels éléments de la preuve auraient été essentiels à une « bonne contextualisation ».
De la même manière que dans plusieurs décisions antérieures, par exemple la D2018-07-078, le Conseil rappelle que la déontologie « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur ».
Dans le cas présent, les informations souhaitées par la plaignante n’étaient pas essentielles à la compréhension du reportage. Le journaliste n’avait donc pas l’obligation déontologique d’en faire état.
Grief non traité : atteinte à la réputation
Les plaignants considèrent que l’article porte atteinte à la réputation du bar Chez Françoise, un grief que le Conseil ne traite pas, car l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Tong Li contre le journaliste Michael Nguyen et Le Journal de Montréal concernant les griefs d’information inexacte, de sensationnalisme, de partialité et d’informations incomplètes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost