Plaignant
Bernard Roussel
Un plaignant en appui
Mis en cause
Denise Bombardier, chroniqueuse
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Bernard Roussel et un plaignant en appui déposent une plainte le 29 novembre 2019 contre la chroniqueuse Denise Bombardier, Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontral.com concernant l’article intitulé « PLQ : dérapage dramatique », publié le 26 novembre 2019. Les plaignants reprochent de l’information inexacte et un raisonnement non explicité.
CONTEXTE
Le coup d’envoi de la course à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ) a été donné lors du conseil général du parti qui s’est tenu à Sherbrooke, les 23 et 24 novembre 2019. Dans une chronique publiée le mardi suivant, Denise Bombardier critique les prestations des deux candidats qui s’étaient alors déclarés, Alexandre Cusson et Dominique Anglade. Concernant cette dernière, la chroniqueuse déplore notamment qu’elle ait déclaré que « les Québécois sont absolument prêts à élire une femme noire. »
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si Denise Bombardier rapporte une information inexacte dans les passages suivants :
« On ne s’explique pas pourquoi elle a fait une déclaration calamiteuse en avançant l’argument racial : “Les Québécois sont absolument prêts à élire une femme noire.” »
« En introduisant sa négritude dans le débat, Dominique Anglade vient d’ouvrir une boîte de Pandore dont les conséquences d’ici au mois de mai sont imprévisibles. »
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte, car il juge que la chroniqueuse a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Bernard Roussel affirme que « ce n’est pas la candidate politique qui a avancé un argument racial dans sa déclaration et que ce n’est pas elle qui a introduit sa négritude dans le débat, ce sont les journalistes qui ont soulevé cette question à l’égard de sa négritude et qui ont avancé l’argument racial. La candidate ne faisait que répondre à la question qui lui avait été posée en point de presse au conseil général du Parti libéral à Sherbrooke, dimanche. La journaliste d’opinion Denise Bombardier a fait preuve de désinformation en citant une telle déclaration hors de son contexte. »
Il y a effectivement un contexte autour de la déclaration de Dominique Anglade en question dont la chroniqueuse fait abstraction dans les passages en cause. Cette déclaration a été prononcée par la candidate à la chefferie du PLQ lors d’une mêlée de presse, qui s’est déroulée le dimanche 24 novembre 2019, dont le Conseil a pu visionner une captation vidéo. Voici la retranscription du passage concernant la déclaration de Mme Anglade.
Après des questions sur l’élection partielle dans Jean-Talon ou sur la Loi 21 [sur la laïcité de l’État], un journaliste pose spontanément la question suivante à Mme Anglade : « Il y a deux chroniqueurs qui ont écrit en fin de semaine que des membres du Parti [libéral du Québec] se cherchaient un deuxième candidat, car ils ne croyaient pas aux chances d’une femme issue des minorités qui vient de Montréal. Est-ce que vous craignez de souffrir de ça dans votre campagne? » Dominique Anglade lui répond : « Vous savez que d’abord et avant tout, je suis québécoise. Puis, quand on parle des régions du Québec, moi ça fait 20 ans que j’évolue dans le milieu économique, que je fais le tour des régions, comme ministre de l’Économie, mais avant ça je faisais le tour des régions. J’ai des réseaux d’entreprise dans toutes les régions du Québec. Alors je pense être à même de bien représenter ça et si vous voyez des gens ici, il y a un député qui est ici avec nous, ça fait 13 ans, il a été 13 ans député dans sa région, il connaît sa région, il défend sa région; si les gens viennent avec nous, c’est qu’ils pensent que je vais avoir toutes les capacités pour défendre les régions. Le journaliste la relance : « Ça vous fait quoi quand vous entendez ça? » Mme Anglade lui demande alors : « Quand j’entends…? » Réponse du journaliste : « Qu’il y a des gens qui se cherchent un candidat finalement qui est blanc. » Mme Anglade lui répond : « Écoutez, honnêtement, moi je pense que l’on est ailleurs. C’est pour ça qu’on veut avoir un débat d’idées pis quand je rencontre les Québécoises et les Québécois sur le terrain, ce qu’ils nous disent, c’est qu’ils veulent avoir des leaders qui écoutent, mais surtout des leaders qui agissent parce que c’est facile de dire “J’écoute les régions”, concrètement parlant comment ça va se traduire, je pense que c’est ça qu’ils ont envie d’avoir au-delà de l’apparence de la personne. » Une autre journaliste lui demande : « Est-ce que votre parti est prêt, pis est-ce que les Québécois sont prêts, selon vous, à voter ou à élire une femme de couleur, disons, ou une femme qui n’est pas une personne… parce que c’est de ça dont on parle, c’est ce qui est écrit dans les chroniques en fin de semaine. » Réponse de Mme Anglade : « Écoutez, moi, personnellement lorsque je vais sur le terrain, je crois que les Québécois sont absolument prêts à ça. » La journaliste la relance : « Est-ce que ça vous décourage qu’on ait encore ces discussions-là au sein de votre propre parti? » Réponse de Mme Anglade : « Écoutez, ben…, c’est un peu la nature de la bête que des gens aient peut-être certaines réticences, mais je crois pertinemment que les Québécois sont ailleurs. Je le crois, parce que sur le terrain, depuis des années, quand je me promène, ça va au-delà de ça, ça va au-delà de ça. » Un autre journaliste lui demande alors : « Est-ce que vous sentez qu’il y a des réticences à votre endroit? » « Pardon », lui répond Mme Anglade. Le journaliste enchaîne : « Vous dites c’est la nature de la bête… » Réponse de Mme Anglade : « Ben, les commentaires, vous les entendez, vous les rapportez. Donc je réagis aux commentaires que vous faites. Ce que je peux vous dire si vous me demandez si je pense que les Québécois sont prêts : les Québécois veulent avoir des gens qui les écoutent, qui agissent et quand je suis sur le terrain, je sens qu’il y a l’ouverture nécessaire et que oui, le Québec est prêt et je vois pas pourquoi le Québec ne serait pas prêt. »
À la lecture et à l’écoute de ces extraits, on constate que, contrairement à ce qu’affirme Denise Bombardier dans les extraits visés, Mme Anglade n’a pas avancé « l’argument racial » ni introduit « sa négritude dans le débat ». L’aspirante cheffe du PLQ n’a fait que répondre à des questions posées par des journalistes.
Par ailleurs, la veille de cette mêlée de presse, deux chroniqueurs – Michel David dans Le Devoir et Denis Lessard dans La Presse – ont publié des articles dans lesquels étaient évoquées les réticences de certains membres du PLQ à l’idée de voter pour une cheffe issue d’une minorité visible. La question de la couleur de peau de Mme Anglade était donc déjà « dans le débat » avant même que celle-ci ne doive répondre aux questions répétées des journalistes à ce sujet.
En présentant la réponse de Mme Anglade aux questions des journalistes comme si elle avait, de sa propre initiative, abordé le sujet de sa couleur de peau lors du Conseil du PLQ, Mme Bombardier induit le public en erreur. Les passages « On ne s’explique pas pourquoi elle a fait une déclaration calamiteuse en avançant l’argument racial : “Les Québécois sont absolument prêts à élire une femme noire” » et, plus loin, « En introduisant sa négritude dans le débat, Dominique Anglade vient d’ouvrir une boîte de Pandore » ne sont pas fidèles à la réalité, conclut le Conseil.
Grief 2 : raisonnement non explicité
Principe déontologique applicable
Journalisme d’opinion : « (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. » (article 10.2 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Denise Bombardier explicite le raisonnement justifiant son opinion quand elle affirme : « On ne s’explique pas pourquoi elle a fait une déclaration calamiteuse en avançant l’argument racial ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de raisonnement non explicité, car il juge que la chroniqueuse n’a pas contrevenu à l’article 10.2 (2) du Guide.
Analyse
Bernard Roussel affirme que Denise Bombardier « qualifie cette déclaration de “calamiteuse” sans toutefois apporter d’argument rigoureux ou pertinent qui puisse permettre de la qualifier ainsi. En quoi est-ce calamiteux que les Québécois soient prêts à élire une femme noire? » Cependant, le Conseil constate que la chroniqueuse argumente son point de vue et explique ce qu’elle qualifie de calamiteux, même si sa prémisse au sujet de qui a avancé l’argument racial est inexacte, comme expliqué au grief précédent.
À la suite du passage en cause, Denise Bombardier écrit : « Dominique Anglade vient d’ouvrir une boîte de Pandore dont les conséquences d’ici au mois de mai sont imprévisibles. » Plus loin, elle affirme que « l’ex-ministre de l’Économie se victimise. Car si elle est battue dans la course à la chefferie, nombre de militants racisés pourront prétendre que sa défaite s’explique par la couleur de sa peau. » Enfin, elle se demande : « Dominique Anglade a-t-elle réfléchi avant de lâcher cette bombe que les militants antiracistes radicaux useront pour éclabousser encore une fois la société québécoise ? » La chroniqueuse détaille donc bien le raisonnement sur lequel s’appuie son opinion voulant que Mme Anglade ait prononcé une « déclaration calamiteuse ».
Bien que le plaignant affirme que Denise Bombardier « n’apporte aucune justification valide à ce qu’elle la qualifie comme telle », le Conseil souligne qu’il n’a pas à juger de la justesse de l’opinion de la chroniqueuse. La question ici est de savoir si cette dernière a explicité son point de vue, ce qu’elle a effectivement fait.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Bernard Roussel et du plaignant en appui et blâme Denise Bombardier, Le Journal de Montréal ainsi que le site Internet journaldemontreal.com pour avoir rapporté et publié une information inexacte. Il rejette cependant le grief de raisonnement non explicité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost