Plaignant
Nathalie Clermont
Mis en cause
Steve Sauvé, journaliste
L’hebdomadaire La Voix régionale Vaudreuil-Soulanges
Résumé de la plainte
Nathalie Clermont dépose une plainte le 4 décembre 2019 contre le journaliste Steve Sauvé et La Voix régionale Vaudreuil-Soulanges concernant l’article « Congédiée d’une commission scolaire pour avoir envoyé une photo d’elle partiellement nue à un élève, elle siège toujours comme conseillère municipale », publié le 27 novembre 2019. La plaignante déplore une atteinte à la vie privée et à la dignité, l’identification non justifiée d’un mineur, de l’information inexacte, du sensationnalisme et une photo inadéquate.
CONTEXTE
L’article rapporte que Nathalie Clermont, la plaignante dans le présent dossier, a été congédiée de son poste de technicienne en loisirs à la Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands, en Montérégie, pour avoir envoyé une photo la montrant partiellement nue à un élève de l’école secondaire où elle travaillait.
Le journaliste souligne que Mme Clermont siège toujours à titre de conseillère municipale à Coteau-du-Lac et il rapporte la réaction de la mairesse.
Analyse
Grief 1 : atteinte à la vie privée et à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont atteint à la vie privée et à la dignité de la plaignante en dévoilant son nom dans l’article.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’atteinte à la vie privée et à la dignité.
Analyse
La plaignante considère que le journaliste a porté atteinte à sa vie privée et à sa dignité en dévoilant son nom dans l’article. Elle souligne que l’arbitre avait accepté « que le document soit “anonyme” lors de sa publication. » Cet arbitre du Tribunal d’arbitrage a eu à se prononcer sur les griefs déposés par la plaignante et son syndicat pour contester la suspension administrative et le congédiement de Mme Clermont par la commission scolaire.
De son côté, le journaliste fait valoir que la décision était publique et que l’arbitre n’avait pas ordonné d’interdit de publication. Il considère qu’il était d’intérêt public de nommer la plaignante. « Mme Clermont occupe un poste de conseillère municipale et elle siège sur des tables de travail qui impliquent des jeunes. Si pour Mme Clermont son poste de conseillère municipale et sa vie privée sont deux choses distinctes, la réalité est qu’un élu municipal est en poste 365 jours par année et 24 h par jour selon la description du code de déontologie du ministère des Affaires municipales », affirme-t-il.
Comme l’indique le principe visé par ce grief, la réflexion permettant d’évaluer s’il y a eu ou pas un manquement doit se faire en deux temps. D’abord, il faut déterminer s’il y a eu une atteinte à la vie privée et à la dignité de la personne. Si c’est le cas, on doit se demander si l’intérêt public justifiait de publier cette information, car les journalistes peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque cette information est d’intérêt public.
Le caractère public d’une personne influence directement la notion d’intérêt public, tout comme le contexte du sujet. En effet, une personne qui accepte de prendre une charge publique, par exemple, une personne en position d’autorité ou d’influence, une vedette, ou encore une personne qui se retrouve dans l’oeil du public par ses actions, parce qu’elle a commis un crime, par exemple, ne peut pas s’attendre au même degré de vie privée qu’un inconnu. L’intérêt du public à connaître certaines informations considérées comme privées dépend du contexte entourant la personne visée, comme le rappellent plusieurs décisions antérieures du Conseil.
La décision antérieure D2016-04-139 mentionne qu’on « jugera différemment les mêmes propos selon qu’ils visent une personne reconnue coupable de meurtre, un politicien ou un simple citoyen qui mène tranquillement sa vie à l’écart de la sphère publique ». Cet argumentaire s’applique également à un grief d’atteinte à la vie privée dans la décision D2017-06-085 qui concernait une chronique commentant la démission de Frédérick Têtu, candidat aux élections municipales de la Ville de Québec et chroniqueur à CHOI-FM Radio X, au lendemain d’une entrevue où il semblait ivre. Le Conseil a fait valoir que « bien que la plaignante considère que la chronique mise en cause porte atteinte à la vie privée de Frédérick Têtu parce que les faits relatés ne concernaient pas son statut d’enseignant, le Conseil juge que M. Têtu étant une personne publique aspirant à la vie politique et se présentant lui-même comme professeur, il était légitime, et par ailleurs d’intérêt public, de mentionner sa profession afin de cerner le personnage. »
La vie publique d’une personne a aussi été prise en compte pour privilégier le droit du public à l’information dans la décision D2019-09-112. Le Conseil a jugé que le média n’avait pas atteint à la vie privée de Karla Homolka en divulguant son nom d’emprunt, Leanne Teale et le quartier où elle habitait. Cette dernière étant une personnalité publique, dont l’histoire a ébranlé le Québec et le Canada, le Conseil a estimé que son nom n’a pas à être caché du public, que ce soit un nom d’emprunt ou son nom de naissance, et que « le public avait le droit d’être informé au sujet de son nouveau quartier de résidence ».
Dans le cas présent, c’est le fait que la plaignante siège au conseil municipal qui justifie la décision du journaliste de prioriser l’intérêt public, même si les faits reprochés ne sont pas survenus dans le contexte de sa vie publique. L’intérêt du public à connaître ces informations était d’autant plus motivé que la conseillère municipale participait à des tables de travail réunissant des jeunes alors que les gestes qui ont mené à son congédiement de la commission scolaire impliquaient un mineur.
Par conséquent, bien que la publication du nom d’une personne qui s’est fait congédier puisse atteindre à sa vie privée, le fait que la plaignante soit une personnalité publique en position d’autorité permettait au journaliste de privilégier le droit du public à cette information.
Grief 2 : identification non justifiée d’un mineur
Principe déontologique applicable
Identification des personnes mineures impliquées dans un contexte judiciaire : « (2) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention de nature à permettre l’identification d’une personne mineure impliquée dans un contexte judiciaire comme victime ou témoin, sauf s’il existe un intérêt prépondérant pour le faire, que cette personne y consent de façon libre et éclairée et qu’elle est accompagnée par des personnes majeures responsables. » (article 22 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la publication du nom de la plaignante dans l’article permet l’identification d’une personne mineure.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’identification non justifiée d’un mineur.
Analyse
La plaignante allègue qu’en publiant son nom dans l’article, le journaliste « a compromis la protection du mineur » impliqué dans cette affaire.
Le journaliste fait valoir : « Pour compromettre la protection du mineur, il aurait fallu qu’il soit facilement identifiable. Mme Clermont travaillait au moment des faits dans une école secondaire dans laquelle un nombre important de garçons de 17 ans sont présents. Donc, l’identification du mineur n’a pas été compromise. »
À la lecture de l’article, on constate qu’aucune information ne permet d’identifier l’élève impliqué dans cette affaire. La décision antérieure D2019-04-059 qui concernait un grief d’atteinte à la vie privée établit les critères qui permettent de déterminer si une personne a été identifiée ou non : « Pour conclure qu’un média a identifié une personne, elle doit être reconnaissable aux yeux du lecteur de l’article, le grand public ».
Dans le cas présent, l’article ne mentionne ni le nom de l’élève ni l’école secondaire qu’il fréquentait. On n’y trouve pas non plus d’indication concernant un quelconque lien qui aurait pu exister entre la plaignante et l’élève. Il est donc impossible de l’identifier.
Grief 3 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte en écrivant qu’aucune charge n’a été retenue dans l’extrait suivant : « Puisqu’il n’a pas été démontré que Nathalie Clermont était en position d’autorité envers l’étudiant qui était âgé de 17 ans, et que ce dernier n’a pas porté de plainte, aucune charge n’a été retenue par les autorités judiciaires ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
La plaignante déplore : « Le journaliste mentionne que je n’ai eu aucune accusation criminelle en raison du fait que le jeune n’avait pas porté plainte. Or, nous savons très bien que dans ce genre de situation, il y a tout un processus d’enquête qui s’enclenche avec la DPJ et la police. »
Cependant, ce que la plaignante pense avoir lu n’est pas, en fait, écrit dans l’article. Il arrive, comme dans le dossier D2019-04-060, « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas ».
Dans le cas présent, à la lecture de l’article, on constate que le journaliste n’affirme pas qu’aucune enquête n’a eu lieu.
Il écrit plutôt : « Puisqu’il n’a pas été démontré que Nathalie Clermont était en position d’autorité envers l’étudiant qui était âgé de 17 ans, et que ce dernier n’a pas porté de plainte, aucune charge n’a été retenue par les autorités judiciaires. » Les premiers mots de la phrase (« puisqu’il n’a pas été démontré ») indiquent qu’il y a bien eu une enquête.
Grief 4 : photo inadéquate
Principe déontologique applicable
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont publié une photo inadéquate en accompagnant l’article de la photographie officielle de conseillère municipale de la plaignante.
Décision
Le Conseil rejette le grief de photo inadéquate.
Analyse
La plaignante déplore que l’article soit illustré par une photo d’elle apparaissant sur sa page Facebook de conseillère municipale. Elle considère que cette photo « suggère à la population que le comportement décrit dans l’article » mettrait en cause son éthique à titre de conseillère municipale.
L’article mis en cause est illustré de deux photographies. La photo principale montre l’Hôtel de Ville de Coteau-du-Lac et, en mortaise, on retrouve une photo de la plaignante provenant de sa page Facebook de conseillère municipale.
Pour déterminer si la photo mise en cause est adéquate ou pas, il faut se demander si elle reflète l’information contenue dans l’article. En rejetant un grief de photo inadéquate, la décision antérieure D2019-06-088 explique que « la photographie accompagnant l’article fait référence à l’une des informations qui y sont transmises ». La photo visée par la plainte montrait des demandeurs d’asile franchissant la frontière au chemin Roxham. L’article abordait la question des demandeurs d’asile, notamment ceux empruntant le chemin Roxham.
Dans le cas présent, le titre de l’article (« Congédiée d’une commission scolaire pour avoir envoyé une photo d’elle partiellement nue à un élève, elle siège toujours comme conseillère municipale ») porte sur cette conseillère municipale. Le passage suivant de l’article aborde également son rôle politique : « Si la situation est déjà particulière, il est impossible de passer sous silence le fait que Mme Clermont occupe également une fonction publique. Elle est conseillère municipale à la Ville de Coteau-du-Lac. » Le média pouvait donc choisir de publier une photo de la personne en question, qui était par ailleurs déjà publique puisqu’elle est utilisée sur la page Facebook de la plaignante.
Les mis en cause n’ont commis aucun manquement en utilisant la photo d’une élue pour illustrer un article qui fait état d’une affaire impliquant cette personne.
Grief 5 : sensationnalisme
Principe déontologique et règlements applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Conditions concernant l’objet de la plainte : Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. (article 13.01 du Règlement 2)
Conditions concernant l’objet de la plainte : Une plainte ne doit pas constituer simplement un commentaire ou une critique générale. » ( article 13.02 du Règlement 2)
Décision
Le Conseil juge le grief de sensationnalisme non recevable.
Analyse
La plaignante considère que le journaliste divulgue des informations qui n’ont aucun lien avec sa fonction de conseillère municipale, mais elle ne pointe aucun passage ou terme qu’elle considère sensationnalisme, malgré les demandes de précision du Conseil. De plus, elle n’explique pas en quoi le journaliste déforme la réalité.
Comme l’indiquent les articles 13.01 et 13.02 du Règlement 2, une plainte doit porter sur un manquement précis et ne peut constituer une critique générale.
La plaignante ne précisant pas les passages qui constitueraient du sensationnalisme, le grief n’est pas recevable.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Nathalie Clermont contre Steve Sauvé et La Voix régionale Vaudreuil-Soulanges concernant les griefs d’atteinte à la vie privée et à la dignité, identification non justifiée d’un mineur, information inexacte et photo inadéquate. Le grief de sensationnalisme est jugé non recevable.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau