Plaignant
Alain Chouinard
Mis en cause
Richard Latendresse, chroniqueur
L’émission « La Joute »
LCN – Groupe TVA
Résumé de la plainte
Alain Chouinard dépose une plainte le 9 décembre 2019 contre le journaliste Richard Latendresse, LCN – Groupe TVA et un segment de l’émission « La Joute » diffusé le 3 décembre 2019. Le plaignant déplore de la partialité.
CONTEXTE
Dans le cadre du sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 2019, Donald Trump, président des États-Unis à l’époque, et le président français Emmanuel Macron abordent plusieurs sujets devant la presse mondiale, notamment le retrait des troupes américaines en Syrie.
Lors de l’émission « La Joute », Richard Latendresse, correspondant de TVA Nouvelles à Washington, s’intéresse à la dynamique entre les deux présidents, soulignant que Donald Trump, que le journaliste qualifie d’« intimidateur en chef », se fait rabrouer par Emmanuel Macron. Pour illustrer ses propos, il diffuse des extraits de la rencontre entre les deux présidents.
Analyse
PLAINTE JUGÉE NON RECEVABLE
Les membres du comité des plaintes ont jugé la plainte non recevable à la majorité (4 contre 2), estimant que Richard Latendresse exerce du journalisme d’opinion. Les journalistes qui pratiquent ce genre journalistique sont exemptés du principe déontologique d’impartialité, comme le stipule l’article 10.2 (3) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec.
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU GENRE JOURNALISTIQUE
ET AU JOURNALISME D’OPINION
Genres journalistiques : (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur. (article 10 du Guide)
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide)
Analyse
Le plaignant considère que Richard Latendresse émet son opinion lorsqu’il dit que « Donald Trump face à Emmanuel Macron fait “ti-chien piteux […] avec sa face de boeuf” » lors du sommet de l’OTAN en 2019. Le Conseil doit donc se pencher sur le statut du journaliste.
Voici l’extrait complet auquel le plaignant fait référence:
« Moi je pense que c’est le début de quelque chose parce que Donald Trump depuis qu’il est arrivé au sein de ce groupe-là, de leader de l’OTAN, auquel fait partie bien sûr Justin Trudeau, il était l’intimidateur en chef. Et là, devant nous, avec Macron qui prenait sa place, il a reculé, il faisait ti-chien piteux, moi c’est l’impression que j’avais, avec sa face de bœuf, alors puisqu’on est dans le monde des animaux. Regarde bien donc l’intervention du président, la réponse de Macron, ça vaut 100 piasses. »
Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable, afin de ne pas induire le public en erreur. En presse écrite, par exemple, on trouvera en surtitre la mention « Opinion » ou « Chronique » qui prévient le lecteur qu’il s’agit de journalisme d’opinion. À la radio et à la télévision, le genre journalistique pratiqué n’est pas toujours aussi facilement identifiable pour le public. Le Conseil s’est donc d’abord penché sur la nature de l’émission « La Joute » avant d’étudier le rôle qu’y exerce Richard Latendresse.
Sur le site de l’émission « La Joute », celle-ci est décrite ainsi : « Débats, entrevues, analyses et opinions sur la scène politique provinciale, fédérale, américaine et municipale, en compagnie de Paul Larocque et de ses collaborateurs de renom ». Le nom de l’émission donne le ton au contenu proposé, puisque le mot « joute », employé au sens figuré, signifie « combat verbal », selon Le Robert. L’animateur effectue des entretiens un à un avec des collaborateurs et fait aussi débattre les panélistes qui échangent en partageant leur point de vue.
En s’exprimant avec des termes qui relèvent du journalisme d’opinion, comme « moi, je te lance ça », « moi, je pense », « moi, c’est l’impression que j’avais », Richard Latendresse ne laisse planer aucun doute quant au genre journalistique qu’il pratique à « La Joute ». De plus, depuis plusieurs années, il rédige des chroniques dans Le Journal de Montréal, classées dans la section « Opinions ». Il a d’ailleurs écrit une chronique intitulée « L’alliance de la mésentente », qui porte sur le même sujet que le segment faisant l’objet de la plainte, et ce, deux jours avant son intervention à « La Joute ».
Les membres dissidents estiment que le statut de Richard Latendresse n’apparaît pas aussi clairement aux yeux du public. Le genre journalistique qu’il pratique à « La Joute » n’est pas évident, surtout parce qu’il y est présenté comme correspondant à Washington et non comme journaliste d’opinion, ce qui peut laisser croire qu’il exerce du journalisme factuel.
La décision des membres majoritaires se base sur la nature de l’émission et le rôle qu’y joue Richard Latendresse et non sur son titre de correspondant à Washington. Dans la décision D2005-02-056, le Conseil s’est basé sur la nature de l’émission pour déterminer que le journaliste Benoît Dutrizac exerçait du journalisme d’opinion. On y lit : « Dans ses commentaires, le représentant des mis en cause précise le contexte de l’émission visée par la plainte en expliquant que le magazine de société “Les Francs-Tireurs” relève du genre journalistique de la chronique et du commentaire, ce que confirme d’ailleurs le Conseil. » De la même façon, dans le cas présent, il est évident que « La Joute » est une émission de débats et elle est présentée comme telle.
Il relève de la liberté éditoriale du média de nommer un journaliste à Washington qui pratique le journalisme d’opinion. L’important est que le public puisse comprendre que Richard Latendresse présente un point de vue.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de LCN – Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Les membres du comité des plaintes ont jugé à la majorité (4 contre 2) que la plainte de partialité déposée par Alain Chouinard contre Richard Latendresse, LCN – Groupe TVA et l’émission « La Joute » est irrecevable, car M Latendresse pratique le journalisme d’opinion.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier