Plaignant
Stéphane Boucher
Mis en cause
Mayssa Ferah, journaliste
La Presse
Résumé de la plainte
Stéphane Boucher dépose une plainte le 11 décembre 2019 contre la journaliste Mayssa Ferah, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant l’article intitulé « Six armes à feu illégales saisies par le SPVM », publié le 10 décembre 2019. Le plaignant reproche un titre inexact, de l’information inexacte et de l’information incomplète.
CONTEXTE
Mayssa Ferah rapporte dans un court article que des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont saisi des armes lors de l’inspection d’un appartement survenue après un appel pour une entrée par effraction. La journaliste indique que « les trois suspects localisés dans l’appartement devront répondre à de nombreuses accusations liées à la possession d’armes prohibées et de stupéfiants. Deux des suspects se trouvaient en libération conditionnelle et s’étaient engagés à ne pas avoir d’arme à feu en leur possession. »
Analyse
Grief 1 : titre inexact
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte dans le titre de l’article : « Six armes à feu illégales saisies par le SPVM ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre inexact, car il juge que le média n’a pas contrevenu aux articles 9 alinéa a et 14.3 du Guide.
Analyse
Stéphane Boucher indique que « le titre parle d’armes illégales », alors que celui-ci « devrait parler de possession illégale d’armes ou de possession sans permis. Au Canada, les armes à feu sont de trois catégories : 1) non restreinte, 2) restreinte, 3) prohibée. Il est légal de posséder des armes dans une ou plusieurs catégories à condition de détenir le permis approprié », précise-t-il.
Malgré les précisions qu’avance le plaignant, l’article en cause traite bien d’une situation d’illégalité puisqu’il y est question d’individus appréhendés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) parce qu’ils possédaient des armes à feu de manière illégale. Le rôle du titre est de résumer l’article de manière compréhensible. Ici, le terme « illégales » est employé à des fins de vulgarisation et de simplification, sans que cet emploi ne soit inexact.
Les mis en cause soulignent pour leur part que le texte de Mme Ferah était basé (sur) un communiqué de presse diffusé le 10 décembre 2019 par le Service de police de la Ville de Montréal et que celui-ci était intitulé : « Six armes à feu illégales saisies lors d’une intervention pour entrée par effraction ». Ils ajoutent qu’à « des fins de vulgarisation pour le lecteur moyen et d’allègement du texte dans un reportage de nature journalistique et non d’un traité juridique, il est approprié de décrire ces armes comme étant des “armes à feu illégales”. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les autorités policières elles-mêmes. » Le Conseil conclut que, même si le titre aurait pu être plus précis au sujet de l’illégalité de la possession d’armes, il n’était pas pour autant inexact et il reflétait, par ailleurs, le contenu de l’article.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Mayssa Ferah rapporte une information inexacte dans la phrase suivante : « Deux des suspects se trouvaient en libération conditionnelle et s’étaient engagés à ne pas avoir d’arme à feu en leur possession. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Selon Stéphane Boucher, les suspects en question « n’avaient pas à s’engager » à ne pas posséder d’arme à feu et « cette façon d’expliquer pourrait laisser croire aux lecteurs que n’importe qui peut avoir des armes au Canada, ce qui n’est pas le cas. Il faut un Permis de Possession et d’Acquisition (PPA). Ces individus n’ont pas à s’engager. Sans un PPA, il est criminel d’être en possession d’armes à feu au Canada. Il est certain que des individus arrêtés et remis en liberté conditionnelle n’ont pas de PPA. De ce fait, être en possession de n’importe quelle arme à feu est un crime. »
Du point de vue de la déontologie journalistique, la question qui se pose ici est la suivante : la journaliste pouvait-elle employer l’expression « s’engager à » dans un contexte où les accusés doivent accepter des conditions pour leur libération conditionnelle?
Selon le dictionnaire Larousse, « s’engager » signifie, entre autres, « contracter un engagement ». Dans le fait divers qui nous concerne, les deux suspects ont bien passé un contrat avec la Justice : en contrepartie de leur remise en liberté, ils ont consenti à ne pas posséder d’arme à feu, conformément aux dispositions de l’article 515 du Code criminel. L’utilisation de l’expression « s’engager à » dans le passage en cause était donc parfaitement adéquate.
Tel qu’il l’a mentionné dans sa décision D2017-03-051, « le Conseil a maintes fois statué qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les journalistes doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. » Dans le cas présent, l’emploi de l’expression « s’engager à » est conforme aux faits relatés et n’altère pas la vraie nature de la situation rapportée.
Grief 3 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Mayssa Ferah a failli à son devoir de complétude en ne mentionnant pas, comme l’aurait souhaité le plaignant, que « les individus n’avaient pas de permis leur permettant d’être en possession de ces armes ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Stéphane Boucher considère que « l’article, pour être clair et factuel, aurait dû mentionner que les individus n’avaient pas de permis leur permettant d’être en possession de ces armes. » Cependant, il n’apporte pas la preuve que « les trois suspects » en question dans l’article n’avaient pas de PPA et il ne démontre pas non plus que cette information-là était essentielle à la compréhension du sujet de l’article. Or, le Conseil a rappelé à maintes reprises qu’« il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule », tel que mentionné dans la décision D2004-07-006. En l’absence de preuve apportée par M. Boucher, le Conseil n’est donc pas en mesure de trancher l’incomplétude alléguée et il rejette le grief.
Au demeurant, cette information, eût-elle été validée, n’était pas nécessaire à la compréhension du sujet en question. Le public est informé que des accusations ont été portées contre les suspects concernant la possession d’armes prohibées, peu importe que les accusations aient été portées en raison d’une absence de PPA, d’un défaut de certificat d’enregistrement ou d’un achat frauduleux.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Stéphane Boucher contre la journaliste Mayssa Ferah, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant les griefs de titre inexact, d’information inexacte et d’information incomplète.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Jed Kahane