Plaignant
Antoine Beaupré
Mis en cause
Mylène Crête, journaliste
Le Devoir
Résumé de la plainte
Antoine Beaupré dépose une plainte le 13 décembre 2019 contre la journaliste Mylène Crête et Le Devoir concernant l’article « Québec entend blinder ses registres d’identité numériques », publié le 12 décembre 2019. Le plaignant déplore des informations inexactes, un refus de publier une contribution du public et une absence de correctif.
CONTEXTE
L’article rapporte que le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire, envisage d’utiliser la technologie derrière les cryptomonnaies pour protéger les données biométriques des Québécois, en vue de créer une identité numérique qui remplacerait notamment les informations du permis de conduire et de la carte d’assurance maladie. Les données biométriques, telles que les empreintes digitales, permettent notamment d’identifier une personne de façon infaillible, mais sont irremplaçables en cas de vol.
La journaliste cite le président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique, Jean-François Gauthier, qui est en faveur de l’utilisation d’une technologie de stockage et de transmission d’informations appelée « blockchains ou « chaîne de blocs » afin d’éviter une fuite massive de données. L’article indique que cette technologie « consiste essentiellement à décentraliser les bases de données ».
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Technologie jamais piratée depuis 2008
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « Cette technologie-là n’a jamais été piratée depuis 2008 […] » Ces propos proviennent d’une citation de Jean-François Gauthier, président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La phrase visée par le plaignant est une citation du président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique, Jean-François Gauthier. Lorsque cet intervenant parle de « la technologie », il réfère à la technologie de stockage d’informations connue sous le nom de « chaîne de blocs » ou « blockchains ». M. Gauthier juge qu’elle peut éviter une fuite massive de données : « On se rend compte que c’est probablement la technologie qui a le plus grand potentiel de sécuriser la donnée, a-t-il ajouté. Cette technologie-là n’a jamais été piratée depuis 2008. »
Le plaignant soutient que les propos tenus par Jean-François Gauthier et cités par la journaliste sont inexacts, puisque la technologie derrière les cryptomonnaies aurait été piratée depuis 2008, selon lui. Antoine Beaupré affirme qu’il « est arrivé plusieurs fois par le passé qu’un groupe de mineurs ait eu le contrôle sur 50% ou plus des transactions », donnant l’exemple de « la principale cryptomonnaie, Bitcoin, [qui aurait] été elle-même dupliquée en 2017 suite à une dispute sur sa conception ».
La question du piratage d’une technologie est complexe et nous avons dans ce dossier deux personnes qui ont des perspectives qui divergent sur le sujet. Le président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique, Jean-François Gauthier, cité dans l’article, estime que la technologie à laquelle il fait référence n’a « jamais été piratée depuis 2008 », alors que notre plaignant estime que la technologie derrière les cryptomonnaies a bel et bien été piratée. La journaliste a présenté l’avis de l’expert qui s’exprimait sur le sujet dans le cadre de l’annonce du gouvernement. Elle n’a pas commis d’inexactitude en citant les propos d’un spécialiste, à la suite d’une annonce du ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire. Il s’agit d’un expert en ce qui concerne l’identité numérique et la protection des données. Bien que les journalistes soient responsables de l’information qu’ils rapportent, Mylène Crête a fait preuve de prudence en plaçant les propos de Jean-François Gauthier entre guillemets, présentant ainsi clairement la perspective de cet expert qui s’exprime sur un sujet pointu, et ce, dans un article généraliste.
Le Conseil a déjà dû se pencher sur des propos d’experts repris par des journalistes. Par exemple, la décision D2019-01-005 indique que le Conseil ne peut conclure à une inexactitude de la part de la journaliste, puisqu’elle rapporte l’opinion d’un expert. Dans ce dossier, le plaignant était en désaccord avec les projections démographiques du professeur Kaufmann repris par la journaliste. Cependant, la journaliste avait clairement identifié dans son texte qu’elle reprenait l’hypothèse de l’auteur dont l’essai constituait le sujet de la chronique. De la même manière, dans le cas présent, Mylène Crête a clairement présenté l’information en indiquant que la citation provenait de Jean-François Gauthier et a ainsi rapporté une information fidèle à la réalité, c’est-à-dire l’opinion de M. Gauthier.
1.2 Pirater les composantes de la chaîne
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « T’es obligé de pirater toutes les composantes de la chaîne, ça devient comme impossible. » Ces propos proviennent d’une citation de Jean-François Gauthier, président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La phrase visée par le plaignant concernant l’impossibilité de pirater la technologie en question provient d’un extrait du texte dans lequel Jean-François Gauthier met de l’avant la sécurité de cette technologie : « D’où l’idée de se servir de registres distribués (blockchains) pour éviter une fuite massive de données. Cette technologie consiste essentiellement à décentraliser les bases de données. “Il faut que tu voies ça comme une base de données distribuée, dont les informations sont stockées à plusieurs endroits en même temps, a détaillé M. Caire. Ce sont des niveaux de cryptage hallucinants. C’est ce qui rend cette technologie-là si énergivore, parce que ce sont des machines de guerre pour être capable de créer le cryptage et le code de cryptage.” “T’es obligé de pirater toutes les composantes de la chaîne, ça devient comme impossible”, a souligné le président-directeur général de l’Institut de la gouvernance numérique, Jean-François Gauthier, qui pressait le gouvernement du Québec d’adopter cette technologie dans un livre blanc dévoilé en novembre. »
Le plaignant indique que les propos tenus par Jean-François Gauthier et cités par la journaliste sont inexacts, puisqu’il est possible de pirater les registres distribués, selon le plaignant. Il soutient que « tout blockchain est sous contrôle des “mineurs”, les opérateurs qui “créent” les “blocks”. Seule la nature distribuée du système assure l’intégrité de la chaîne, mais si les mineurs sont tous sous le contrôle d’une seule entité, il est possible pour une majorité de mineurs de pirater la chaîne en créant de fausses transactions ».
Le plaignant ajoute qu’il est « arrivé plusieurs fois par le passé qu’un groupe de mineurs ait eu le contrôle sur 50 % ou plus des transactions. La principale cryptomonnaie, Bitcoin, a été elle-même dupliquée en 2017 suite à une dispute sur sa conception ».
De la même manière qu’au point 1.1., la journaliste produit de l’information fidèle à la réalité en rapportant les propos de Jean-François Gauthier entre guillemets. De plus, après avoir présenté la perspective de cet intervenant en ce qui concerne le piratage des composantes de la chaîne, Mylène Crête identifie certaines limites de la technologie : « […] elle a ses limites si un employé malveillant voulait procéder à un vol de données, comme c’est arrivé chez Desjardins […] » Ainsi, puisque la journaliste rapporte l’opinion d’un expert sur un sujet complexe et attribue la citation au spécialiste en question, il n’y a pas ici de manquement déontologique.
Grief 2 : refus de publier une contribution du public
Principe déontologique applicable
Refus de publication : « Les médias d’information peuvent refuser de publier ou de diffuser une contribution reçue du public, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris ou le désir de taire une information d’intérêt public. » (article 16.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont refusé de publier la contribution du plaignant en raison d’un parti pris ou d’un désir de taire une information d’intérêt public.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de refus de publier une contribution du public.
Analyse
Le plaignant indique avoir fait suivre le texte de sa plainte au média afin qu’il le publie et déplore qu’il ne l’ait pas fait. Dans leur réplique les mis en cause indiquent que « comme tout journal, [ils doivent] faire une sélection des nombreux textes qui [leur] parviennent, selon la pertinence, la qualité de l’écriture et de l’argumentation notamment – facteurs, il est vrai, parfaitement subjectifs. En résumé, si tout lecteur peut aspirer à voir son texte dans un journal, aucune publication ne peut le lui garantir ».
Le Conseil rappelle que les médias sont libres de publier ou non les contributions du public, pour peu que le refus de publication ne soit pas motivé par un parti pris ou un désir de taire une information d’intérêt public. Le plaignant n’avance pas que le média a refusé de publier cette contribution du public en raison d’un parti pris ou d’un désir de taire une information d’intérêt public.
Grief 3 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont corrigé avec diligence leurs manquements et erreurs de manière à les réparer pleinement et rapidement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif.
Analyse
Puisqu’il n’y avait pas de manquement déontologique concernant le grief d’information inexacte, le média n’avait pas à diffuser de correctif.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Antoine Beaupré contre la journaliste Mylène Crête et Le Devoir concernant les griefs d’informations inexactes, de refus de publier une contribution du public et d’absence de correctif.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Marie-Andrée Prévost