Plaignant
François Lamarche
Mis en cause
Claude Villeneuve, chroniqueur
Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
François Lamarche dépose une plainte le 16 décembre 2019 au sujet d’une chronique du Journal de Québec signée du chroniqueur Claude Villeneuve et titrée « Notre petit train de pauvre ». Le plaignant reproche une inexactitude.
CONTEXTE
Le chroniqueur part de son expérience de passager régulier à bord des trains VIA Rail reliant Québec à Montréal pour brosser un portrait de l’état du service fourni aux usagers par VIA Rail, « de piètre qualité », selon lui. Réseau Internet peu fiable, espace très restreint, sandwichs de mauvaise qualité, mais surtout, retards fréquents pouvant aller jusqu’à plusieurs heures. Le chroniqueur impute la responsabilité de ces problèmes aux désinvestissements financiers successifs des gouvernements fédéraux des dernières décennies et affirme que le Canadien National, propriétaire des voies ferrées, mène le jeu face à ces gouvernements. Le chroniqueur conclut l’article en se montrant sceptique quant à une amélioration du service.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, comme défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : Information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualité de l’information : Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « pour l’instant, rien n’est prévu pour améliorer la fiabilité de VIA Rail ou le confort de son matériel roulant ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant estime que l’« article [est] complètement mensonger concernant la vétusté du parc ferroviaire de VIA Rail. La vétusté est réelle, mais il [le journaliste] affirme faussement que rien n’est fait par le gouvernement [pour] améliorer la situation. »
Le plaignant justifie ses propos en indiquant qu’« il y a un an, le gouvernement a signé avec la firme allemande [Siemens] un contrat pour renouveler les trains du corridor […] De plus, un autre projet de voies dédiées pour les passagers entre Toronto, Ottawa, Montréal et Québec est en développement. » En effet, le contrat signé avec Siemens n’est pas mentionné dans la chronique, contrairement au projet de train à grande fréquence prévu sur des voies dédiées entre Windsor et Québec.
Cependant, la phrase « pour l’instant, rien n’est prévu pour améliorer la fiabilité de VIA Rail ou le confort de son matériel roulant » relève de l’opinion. La locution adverbiale « pour l’instant », qui signifie « pour le moment », relève de l’appréciation du chroniqueur, qui estime qu’au moment d’écrire sa chronique, « rien n’est prévu pour améliorer la fiabilité de VIA Rail et le confort de son matériel roulant ». L’adverbe de négation « rien » peut très bien vouloir dire « rien de significatif » ou « rien qui touche les vrais problèmes » selon la perception du chroniqueur, par exemple le fait que le CN contrôle les voies ferroviaires. De ce point de vue, le contrat du gouvernement avec Siemens pour renouveler les trains pouvait être jugé secondaire aux yeux du chroniqueur, même s’il ne l’est pas aux yeux du plaignant. Qui plus est, les deux mots que le chroniqueur emploie, « confort » et « fiabilité », laissent place à l’interprétation : ces deux notions peuvent recouvrir des sens différents selon l’appréciation de chacun, elles relèvent de la subjectivité.
Par ailleurs, il faut prendre cette phrase dans le contexte de la chronique. En effet, cette phrase s’inscrit dans la continuité des paragraphes précédents et en constitue une forme de conclusion. Dans ces paragraphes, qui représentent un peu plus d’un tiers de la chronique, le chroniqueur retrace l’historique de VIA Rail depuis sa création à la fin des années 1970. Il évoque les désengagements financiers de plusieurs gouvernements successifs, hormis celui de Brian Mulroney, et malgré les chocs pétroliers, des coupes budgétaires qu’il qualifie de « travail de sape » des gouvernements à l’égard de VIA Rail. Enfin, il déplore en outre l’impact de la privatisation du Canadien National et de ses voies ferroviaires, le CN ayant, selon lui, trop de pouvoir face au gouvernement et ne se préoccupant aucunement des passagers de VIA Rail. Le chroniqueur résume son propos par le constat qu’« on a donc asphyxié le transport ferroviaire depuis 30 ans, alors que les régions ont de plus en plus besoin de ces liaisons ». La chronologie de la chronique permet de comprendre que le chroniqueur y fait part de son scepticisme, étant donné l’historique de VIA Rail qu’il vient de retracer, quant à la possibilité que le service s’améliore effectivement.
La suite de la chronique vient confirmer le scepticisme formulé dans la phrase mise en cause, puisque le chroniqueur évoque avec autant de pessimisme le projet de train à grande fréquence. On peut lire : « On table plutôt sur un train haute fréquence qui circulerait sur de nouveaux rails réservés, mais les politiciens fédéraux nous en parlent depuis des décennies. On aura même une étude à ce sujet avant la fin de 2020. » Dès la phrase suivante, il expose son scepticisme quant à l’effectivité de sa réalisation : « Ne retenez pas votre souffle. Implanter des rails au XXIe siècle, avec tout ce que ça peut nécessiter comme expropriation, ce n’est pas comme à l’époque de la colonisation. »
En somme, le plaignant reproche au chroniqueur une inexactitude là où celui-ci émet une opinion. Le fait d’être en désaccord avec l’opinion d’un chroniqueur ne permet pas d’invoquer une inexactitude : l’expression d’une opinion repose sur une subjectivité qui, si elle peut susciter une divergence d’opinions, n’en est pas moins légitime pour un chroniqueur, comme indiqué dans le Guide au point 1 de l’article 10.2 rappelé en tête de cette décision. Plusieurs décisions du Conseil portent sur ces confusions entre l’expression d’une opinion et celle de faits.
Ainsi, dans la décision D2016-12-072, le Conseil devait déterminer si le chroniqueur en cause avait commis une inexactitude en évoquant « un climat de guerre civile » alors que le plaignant estimait que les gestes dénoncés dans la chronique « ne sont pas des attaques envers des personnes physiques ». Le Conseil ne partage pas l’analyse du plaignant en ce qui concerne l’emploi du terme « guerre civile » et a jugé que l’utilisation qu’en fait le chroniqueur n’est pas inexacte. « Rappelons que le rôle du journaliste d’opinion est d’exprimer son point de vue et de prendre position, ce que fait le chroniqueur dans les limites que lui impose la déontologie journalistique », a souligné le Conseil en rejetant le grief d’information inexacte.
Les décisions D2020-01-003 et D2019-12-170 relatent le même constat, à savoir que les plaignants, n’étant pas d’accord avec les chroniqueurs, y ont vu une erreur de fait alors qu’il s’agissait en fait d’une divergence d’opinions. »
De la même façon, dans le cas présent, la phrase mise en cause relève de l’opinion du chroniqueur et n’énonce donc pas un fait; le grief d’inexactitude doit donc être rejeté.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de François Lamarche contre Le Journal de Québec et le chroniqueur Claude Villeneuve pour un grief d’inexactitude.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentants des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Simon Chabot-Blain
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau