Plaignant
Luc Poirier, promoteur
Mis en cause
Éric-Pierre Champagne, journaliste
Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Le promoteur Luc Poirier dépose une plainte le 4 janvier 2020 contre le journaliste Éric-Pierre Champagne et La Presse concernant les articles « Travaux illégaux à La Prairie : le pouvoir d’intervention de la ville contesté par un promoteur », « Travaux illégaux à La Prairie : le ministre de l’Environnement invité à trancher », « Travaux illégaux à La Prairie : le promoteur pressé, la ville et la MRC un peu moins » et « Remblayage d’une ancienne carrière : des “omissions” importantes dans le rapport fourni par le promoteur », publiés respectivement les 24 et 31 octobre, 6 novembre et 9 décembre 2019. Le plaignant déplore du sensationnalisme, une atteinte à la présomption d’innocence, un manque d’équilibre et un manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
CONTEXTE
La plainte vise une série d’articles traitant d’un différend opposant le promoteur Luc Poirier (plaignant dans le présent dossier) à la Ville de La Prairie et la MRC de Roussillon à propos de l’interprétation juridique à donner au Règlement de contrôle intérimaire (RCI) de la MRC. Selon le promoteur, les travaux de remblai qu’il effectuait dans une ancienne briqueterie respectent la Loi sur la qualité de l’Environnement puisque des avis juridiques lui auraient confirmé que le règlement provincial sur les carrières et les sablières avait préséance sur le Règlement de contrôle intérimaire régional. La municipalité n’est pas de cet avis et a remis des avis d’infraction au promoteur.
L’article « Travaux illégaux à La Prairie : le pouvoir d’intervention de la ville contesté par un promoteur », publié le 24 octobre 2019, présente la chronologie des événements survenus depuis l’achat du terrain de l’ancienne briqueterie par M. Poirier en janvier 2019 jusqu’au différend sur l’interprétation du règlement provincial sur les carrières et sablières (octobre 2019). Il est également question de la mobilisation de citoyens qui s’opposent aux travaux de remblai.
Le deuxième article, « Travaux illégaux à La Prairie : le ministre de l’Environnement invité à trancher » publié le 31 octobre 2019, rapporte que le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques pourrait avoir à trancher le litige qui oppose le promoteur et la municipalité. L’article cite la porte-parole du promoteur qui affirme que « tout règlement pris en vertu de la présente loi prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre, auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre ». Une citoyenne qui milite pour l’organisme Carrière vivante a demandé au ministre d’approuver le Règlement intérimaire régional.
L’article « Travaux illégaux à La Prairie : le promoteur pressé, la ville et la MRC un peu moins » du 6 novembre 2019 résume le litige opposant le promoteur à la municipalité et à la MRC. On y indique que les parties devraient se rencontrer prochainement. Le journaliste cite des passages d’une publication Facebook du promoteur qui dit souhaiter une approbation rapide afin que le projet domiciliaire soit moins dense.
Les titres de ces trois articles ont été modifiés en décembre 2019 afin de retirer le qualificatif « illégaux ».
Le dernier article visé par la plainte (« Remblayage d’une ancienne carrière : des “omissions” importantes dans le rapport fourni par le promoteur »), paru le 9 décembre 2019, fait état d’un rapport d’étude biologique présenté au ministère de l’Environnement par le promoteur. Ce rapport est critiqué par un couple de biologistes qui considère que ce rapport omet de mentionner la présence de milieux humides et d’une espèce en péril. Au moment du dépôt de la plainte, cet article était précédé d’un rectificatif indiquant que le couple de biologistes cité dans l’article original milite contre le projet du promoteur. Le média ajoute qu’il aurait dû solliciter la version des faits des rédacteurs de ce rapport d’étude biologique. Le rectificatif précise que le rapport mentionnait bien la présence de milieux humides et de rainette faux-grillon, une espèce en péril, à proximité du site.
Analyse
Grief 1 : atteinte à la présomption d’innocence
Principe déontologique applicable
Droit à un procès juste et équitable et présomption d’innocence : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit de toute personne à la présomption d’innocence et à un procès juste et équitable. (2) Les journalistes et les médias d’information font preuve de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles. » (article 20.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont fait preuve de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles, en utilisant le terme « illégaux » dans les titres et les articles.
Décision
Le Conseil retient le grief d’atteinte à la présomption d’innocence.
Analyse
Le plaignant considère qu’il était « présomptueux » de la part du mis en cause « de s’ériger en tribunal et déclarer en gros titre que les travaux entrepris étaient “illégaux” ». Il souligne que « des déclarations de non-culpabilité sur l’ensemble des constats ont été envoyées à la Ville de La Prairie » et que « le fait de recevoir un constat d’infraction ne rend pas coupable sur réception de celui-ci. » Selon lui, « tant qu’il n’y a pas de jugement sur la culpabilité, on ne pouvait pas affirmer que les travaux étaient illégaux ».
D’entrée de jeu, La Presse reconnaît que « ce texte ne rencontrait pas les normes journalistiques élevées qu’elle s’astreint à respecter. Il n’aurait pas dû être publié dans cet état. » Le journaliste précise que les titres ont été corrigés. Il fait valoir que « des avis d’infraction avaient été délivrés en vertu d’un règlement de contrôle intérimaire. M. Poirier disait avoir une interprétation juridique différente en vertu d’avis juridiques qu’il avait demandés ».
Au moment de la publication des trois articles visés par ce grief, il existait une divergence d’interprétation entre le promoteur et la Ville de La Prairie concernant la réglementation s’appliquant aux travaux de remblai effectués par le promoteur. Dans un communiqué publié le 23 octobre 2019, le maire de La Prairie indique que « des constats d’infraction seront émis sur une base régulière jusqu’à cessation des activités jugées illégales par la Ville ». De son côté, le promoteur a rapidement fait connaître son intention de contester les avis d’infraction. Au moment de la parution des articles, la question juridique n’était pas encore tranchée puisque le 2 décembre 2019, soit plus de trois semaines après la publication du troisième article, la Ville de La Prairie a publié un communiqué indiquant que le promoteur « a déposé une demande en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure la semaine dernière ». À ce moment, aucune cour n’avait déclaré si les travaux étaient ou non illégaux.
L’article du Guide souligne que les médias doivent faire preuve « de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles ». Dans le cas présent, le fait d’avoir reçu un constat d’infraction ne signifiait pas nécessairement que le promoteur était coupable d’avoir réalisé des travaux illégaux.
Dans la décision antérieure D2015-11-064 (2), le grief a été rejeté parce que le Conseil a jugé que les mis en cause avaient fait preuve de prudence, notamment parce que la journaliste avait abondamment utilisé le conditionnel et l’expression « présumée » pour qualifier la fraude dont il était question dans l’article. Dans le cas du sous-titre « Enquête sur une fraude de 800 000 $ », le Conseil a considéré qu’il était implicite qu’il s’agissait d’allégations puisque ces faits faisaient l’objet d’une enquête.
On n’observe pas la même prudence dans le présent dossier alors que les mis en cause ont qualifié les travaux d’illégaux dans les trois titres et dans le corps des articles. Les mis en cause ont retiré le qualificatif « illégaux », mais les modifications sont intervenues tardivement. Le terme a été utilisé dans trois articles alors que, le jour de la parution du premier article, la porte-parole du plaignant avait spécifié par courriel au journaliste que le promoteur n’était pas dans l’illégalité. Les mis en cause n’ont pas été en mesure de retrouver la date exacte de la correction, mais elles auraient été faites après la réception d’une mise en demeure du promoteur datée du 17 décembre, soit plus d’une semaine après la publication du quatrième et dernier article mis en cause. Les modifications n’ont donc pas été apportées avec la diligence requise.
Grief 2 : sensationnalisme
Principes déontologiques applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustration, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’utilisation du terme « illégaux » dans les titres suivants déforme la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits :
1) « Travaux illégaux à La Prairie : le pouvoir d’intervention de la ville contesté par un promoteur »
2) « Travaux illégaux à La Prairie : le ministre de l’Environnement invité à trancher »
3) « Travaux illégaux à La Prairie : le promoteur pressé, la ville et la MRC un peu moins »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
Le plaignant déplore que les travaux aient été qualifiés d’« illégaux » dans les trois titres ci-dessus. Il considère que le fait de « marteler en gros titres une terminologie accusatrice, non confirmée, et ce, à répétition constitue […] du sensationnalisme ».
De son côté, le représentant du média reconnaît que l’expression « travaux illégaux » est inexacte, mais il fait valoir que « cette inexactitude ne saurait être qualifiée de “sensationnaliste” puisqu’elle n’avait [pas] pour but de déformer la réalité de manière intentionnelle ».
Dans le contexte d’un grief de sensationnalisme, il faut déterminer si le terme visé déforme la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. Lorsqu’il s’agit d’un titre, il est également nécessaire d’évaluer s’il reflète l’information contenue dans l’article qu’il coiffe.
Dans ses décisions antérieures, notamment la décision D2018-01-004, le Conseil a plusieurs fois rappelé qu’un titre accrocheur n’est pas nécessairement sensationnaliste. « Un titre rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. Le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité. »
Dans le cas présent, en qualifiant les travaux d’illégaux dans les trois titres visés par la plainte, le média n’a pas respecté le principe de la présomption d’innocence, mais il ne déforme pas la réalité qui est rapportée dans les articles. En effet, chacun des articles rapporte que la Ville de La Prairie a remis des avis d’infraction au promoteur puisqu’elle considère que les travaux sont en contravention avec le règlement en vigueur dans la MRC de Roussillon.
Étant donné que le promoteur avait indiqué qu’il contestait ces avis d’infraction et que la divergence d’interprétation de la réglementation n’avait pas été tranchée par la Cour supérieure au moment de la parution des articles, il était prématuré de qualifier les travaux d’illégaux. Cependant, bien que le terme ne soit pas le plus précis, le titre n’était pas sensationnaliste puisqu’il ne déformait pas la réalité. En effet, l’article rapporte bien que les travaux étaient illégaux, selon la municipalité.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
3.1 Article des 24 et 31 octobre et du 6 novembre 2019
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a commis un manquement à son devoir déontologique de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence dans les articles publiés les 24 et 31 octobre et le 6 novembre 2019.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre sur ce point.
Analyse
Le plaignant déplore que le journaliste n’ait pas utilisé dans ses articles toutes les informations fournies par courriel par sa porte-parole. Il indique que le journaliste a envoyé une série de questions « pour lesquelles il demandait des réponses. Toutefois, aucune des réponses fournies n’a semblé lui convenir puisqu’il ne les a pas utilisées à part la “préséance” du Règlement sur les carrières et sablières sur le RCI régional 190. »
De son côté, le représentant de La Presse fait valoir qu’en « vertu du principe de la liberté rédactionnelle, M. Champagne était justifié de résumer la version des faits du plaignant sans nécessairement reproduire le verbatim de ses échanges avec la porte-parole ni même la réponse de celle-ci à chacune de ses questions ».
Alors que le plaignant souhaite que l’équilibre soit évalué en fonction du nombre d’informations utilisées par le journaliste, en termes de déontologie, il s’agit plutôt d’évaluer si le journaliste a présenté son point de vue dans ses articles.
La décision antérieure D2018-04-037 rappelle que l’équilibre ne se mesure pas par le temps ou l’espace accordé à chacune des parties. Le grief a été rejeté en soulignant que le principe d’équilibre était respecté dans le reportage vu la juste pondération des points de vue. Dans cette décision, on en citait une autre (D2015-05-138) qui précisait que « bien que les arguments de la défense soient résumés, ils ont été pris en compte par le journaliste ».
Ainsi, dans le cas présent, il ne s’agit pas de déterminer si le journaliste a présenté tous les arguments transmis par le promoteur, mais plutôt de vérifier s’il a rapporté son point de vue sur les éléments sur lesquels il est interpellé dans les articles. Dans chacun de ces trois articles, on constate que le journaliste a respecté son devoir d’équilibre. Dans le premier article, la porte-parole du promoteur répond aux opposants du projet qui ne partagent pas l’interprétation des règlements faite par le promoteur. Elle indique également quelles suites seront données aux avis d’infraction dont on fait état dans l’article. Dans le deuxième article, en plus de rappeler la position du promoteur concernant l’interprétation du règlement, le journaliste présente la réaction de sa porte-parole au communiqué diffusé par la MRC de Roussillon. Le troisième article présente la réponse du promoteur aux citoyens qui s’opposent à son projet, tout en rappelant une nouvelle fois son point de vue concernant la réglementation en place.
L’évaluation de l’équilibre doit également se faire en tenant compte de l’angle choisi par le journaliste. Dans le dossier D2018-07-078, où le plaignant aurait souhaité que le journaliste aborde certaines questions, le Conseil avait jugé que les mis en cause avaient respecté « le principe d’équilibre en présentant la perspective des parties en présence dans son reportage, c’est-à-dire les commerçants mécontents et des itinérants du quartier. » Dans une autre décision antérieure (D2017-10-118), le Conseil avait jugé que la liberté éditoriale accordée aux médias et aux journalistes leur permet de choisir l’angle de traitement de leur sujet. Dans le cas présent, « l’angle choisi par le journaliste est d’exposer les problèmes liés à l’itinérance auxquels sont confrontés certains commerçants du Plateau Mont-Royal. Dans le cadre de cet angle précis, le journaliste présente une juste pondération des points de vue » a jugé le Conseil.
Dans le cas présent, les articles abordent l’interprétation que les différentes parties donnent au règlement municipal et la possibilité que le ministre de l’Environnement ait à trancher cette question. Les informations transmises par la porte-parole du promoteur non utilisées par le journaliste concernent des éléments qu’il n’a finalement pas abordés dans ses articles.
3.2 Article du 9 décembre 2019
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a commis un manquement à son devoir déontologique de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence dans l’article publié le 9 décembre 2019.
Décision
Le Conseil retient le grief de manque d’équilibre sur ce point.
Analyse
Cet élément de la plainte vise l’article « Remblayage d’une ancienne carrière : des “omissions” importantes dans le rapport fourni par le promoteur » qui rapporte les critiques de deux biologistes envers un rapport d’études biologiques commandé par le promoteur.
Le plaignant déplore que le journaliste ne lui ait demandé « aucune contrepartie […] ni à l’auteur du rapport d’études biologiques, Jonathan Roy, ni à la firme collaboratrice du rapport d’études biologiques, LCL Environnement » dans le cadre de l’élaboration de cet article. « Les seules sources de l’article sont deux biologistes, cofondateurs de Projet Carrière vivante, très critiques de tout projet de réhabilitation et d’aménagement sur le site de l’ancienne carrière de la briqueterie de La Prairie », dit-il en précisant que ces deux biologistes habitent en bordure du site.
Le représentant des mis en cause souligne que cet article « a déjà fait l’objet d’un rectificatif détaillé […] dans lequel La Presse reconnaissait, entre autres, que celui-ci contenait “certaines informations incomplètes ainsi que des inexactitudes importantes”. La Presse admet que ce texte ne rencontrait pas les normes journalistiques élevées qu’elle s’astreint à respecter. Il n’aurait pas dû être publié dans cet état. »
À la lecture de l’article original, on constate que les biologistes Andrée Gendron et Alain Branchaud sont très critiques du rapport d’études biologiques préparé par Jonathan Roy pour le promoteur. Dès le deuxième paragraphe, on lit : « Le rapport affirme notamment qu’il n’y a pas de milieux humides, pas de plantes aquatiques et aucun poisson sur le site. Il omet également de signaler la présence d’une espèce en péril, la rainette faux-grillon. Deux biologistes consultés par La Presse sont catégoriques : ce document est truffé d’erreurs. » Plus loin dans l’article, les biologistes font notamment état de divergences entre leurs propres observations réalisées sur le site et celles présentées dans le rapport. L’article cite Mme Gendron qui affirme : « “Je pense qu’on peut parler ici d’aveuglement volontaire […] Ça ressemble à un inventaire qui dit au promoteur ce qu’il veut entendre.” » De son côté, M. Branchaud affirme dans l’article : « “Si on exclut d’emblée la corruption, il reste l’incompétence ou l’aveuglement complice pour expliquer une telle aberration scientifique.” »
Cette situation, où un rapport d’expert est remis en question alors que le journaliste n’a pas donné à l’auteur du rapport l’occasion de se défendre, s’apparente à celle décrite dans la décision D2020-01-008. L’article visé rapportait que des chercheurs mettaient en doute une découverte archéologique à laquelle le plaignant avait participé. Le Conseil a jugé que le journaliste avait « le devoir de présenter une juste pondération des parties en présence. Or Jean-Yves Pintal [le plaignant] est l’une de ces parties puisqu’il est décrit dans l’article comme responsable du chantier qui fait l’objet de la controverse et que ces critiques le visent personnellement. » Le Conseil, qui a retenu le grief de manque d’équilibre, ajoute : « Au fil de ces paragraphes, le travail de Jean-Yves Pintal est explicitement remis en question par les personnes citées […] Dans ces circonstances, le journaliste aurait dû contacter M. Pintal afin de recueillir son point de vue et de lui permettre de répondre aux critiques dont il fait l’objet, comme le lui imposait la déontologie journalistique. »
Pareillement dans le cas présent, le journaliste de La Presse aurait dû contacter Jonathan Roy et la firme LCL Environnement qui ont préparé ce rapport afin qu’ils puissent répondre aux critiques formulées par Andrée Gendron et Alain Branchaud. Leurs critiques s’en prenaient à la qualité du travail de M. Roy ainsi qu’à sa compétence et son professionnalisme. L’expert et la firme étant identifiés dans l’article, il était nécessaire de leur permettre de se défendre, voire de remettre certaines critiques en contexte.
Le rectificatif qui précède maintenant l’article original indique :
« Or, il s’avère que le rapport faisait mention de trois milieux humides et de la présence de plantes de milieux humides. Puisque selon les balises du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (“MELCC”) le plan d’eau, situé au fond de la carrière, devrait être considéré comme un bassin artificiel, l’inventaire des poissons ne faisait pas partie du mandat puisque la possibilité d’y recenser une espèce de poissons à statut précaire était nulle. D’ailleurs, le plan d’eau était complètement sec en octobre 2016.
Il aurait également fallu indiquer que bien qu’aucun n’inventaire de rainette faux-grillon n’avait été réalisé lors de l’étude biologique, le rapport faisait mention, sur la base des données du Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec, de la présence de la rainette faux-grillon, une espèce en péril, à proximité du site. Il formulait même la recommandation d’effectuer un inventaire de cette espèce dans les milieux humides d’une partie du terrain sur laquelle le promoteur n’a pas, pour le moment, l’intention d’effectuer des travaux. »
Ce rectificatif publié à la suite de la mise en demeure de la firme LCL Environnement montre que le fait d’obtenir le point de vue de l’entreprise et du biologiste en cause aurait permis de présenter un article équilibré. Bien que ce rectificatif permette de corriger le manque d’équilibre, les mis en cause ont manqué de diligence étant donné qu’il a été ajouté plusieurs jours après la réception de la mise en demeure.
Grief 4 : manque de fiabilité des informations transmises par une source
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par ses sources, Andrée Gendron et Alain Branchaud, deux biologistes cités dans l’article « Remblayage d’une ancienne carrière : des “omissions” importantes dans le rapport fourni par le promoteur ».
Décision
Le Conseil retient le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source.
Analyse
Le plaignant considère que les deux biologistes cités dans l’article ne constituaient pas des sources fiables puisqu’ils sont « très critiques de tout projet de réhabilitation et d’aménagement sur le site de l’ancienne carrière de la briqueterie de La Prairie ». Selon lui, le fait que Mme Gendron et M. Branchaud résident à proximité du site de l’ancienne briqueterie « prête à penser que leur opinion pourrait être partiale ».
Le représentant des mis en cause souligne que cet article « a déjà fait l’objet d’un rectificatif détaillé […] dans lequel La Presse reconnaissait, entre autres, que celui-ci contenait “certaines informations incomplètes ainsi que des inexactitudes importantes”. La Presse admet que ce texte ne rencontrait pas les normes journalistiques élevées qu’elle s’astreint à respecter. Il n’aurait pas dû être publié dans cet état. »
De son côté, le journaliste précise : « Je ne me prononce pas sur la partialité ou non de mes sources. J’indique cependant que M. Branchaud et Mme Gendron ont aussi été identifiés comme représentants de l’organisme Carrière vivante dans mes textes du 24 octobre, du 31 octobre, et du 6 novembre. Je ne l’ai pas mentionné dans mon texte du 9 décembre, une erreur de ma part, qui a été corrigée par une précision de La Presse. »
Dans l’application de ce principe déontologique, il ne s’agit pas de déterminer si une personne est « fiable » de façon générale; il faut plutôt évaluer, comme l’indique le Guide, la fiabilité des informations fournies par cette personne. La question est donc de déterminer si le journaliste pouvait se fier aux informations que les biologistes Andrée Gendron et Alain Branchaud lui ont transmises dans le cadre de l’article publié le 9 décembre 2019.
Plusieurs raisons peuvent expliquer que les informations d’une source ne sont pas fiables. Dans la décision antérieure D2017-12-150, par exemple, le Conseil a jugé que l’information transmise par un homme n’était pas fiable puisqu’il n’avait pas été témoin de ce qu’il avançait. L’homme affirmait que les dirigeants de deux mosquées avaient exercé des pressions afin qu’aucune femme ne travaille sur le chantier situé à proximité de leur lieu de culte, cependant, il rapportait de l’information indirecte avec des termes tels que « on m’a averti que vendredi je ne devais pas envoyer une femme », « on m’a dit via ma signaleuse directement », « à ce qu’on m’a dit ». Le Conseil a jugé que dans ce contexte, la journaliste devait obtenir les informations à la source afin de contre-vérifier les faits rapportés par la seule personne interviewée dans son reportage.
Dans le cas présent, le fait qu’Andrée Gendron et Alain Branchaud militent contre le projet du promoteur pouvait laisser croire que leur analyse du rapport d’études biologiques commandé par le promoteur était biaisée. Le journaliste devait prendre les moyens raisonnables pour vérifier ces informations. Il devait confirmer si ce que ses sources avançaient correspondait aux documents, notamment en ce qui concerne la présence ou pas d’une zone humide. Dans l’article, on mentionne uniquement que « La Presse a pu consulter le rapport obtenu par la biologiste Andrée Gendron en vertu d’une demande d’accès à l’information », ce qui n’indique pas que la fiabilité de ces informations ait été évaluée.
De plus, l’article ne mentionne pas que les deux biologistes militent pour l’organisme Carrière vivante. Un lecteur ne peut donc pas évaluer la valeur de leur propos à la lumière de leur affiliation.
Le rectificatif qui précède l’article original précise qu’« il aurait fallu préciser que les deux biologistes en question étaient les cofondateurs du regroupement “Projet Carrière Vivante” qui milite contre ce projet de développement. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Luc Poirier et blâme Éric-Pierre Champagne et La Presse concernant le grief d’atteinte à la présomption d’innocence dans les articles publiés les 24 et 31 octobre 2019 ainsi que dans celui paru le 6 novembre 2019. Le Conseil blâme également les mis en cause en ce qui concerne des manquements aux principes liés à la fiabilité des informations transmises par les sources et le manque d’équilibre qui visaient l’article du 9 décembre 2019. Bien que les mis en cause aient apporté des corrections et publié un rectificatif, le Conseil a jugé qu’ils ont manqué de diligence dans les correctifs qu’ils ont apportés aux articles, tel qu’expliqué aux griefs 1 et 3 ci-dessus.
Le grief de manque d’équilibre visant les trois premiers articles mis en cause dans ce dossier ainsi que le grief de sensationnalisme sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier