Plaignant
Monique Richard, alpiniste
Mis en cause
Marie Tison, journaliste
La Presse
Résumé de la plainte
NOTE: LA DÉCISION DE LA COMMISSION D’APPEL SE TROUVE À LA SUITE DE LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE.
Monique Richard dépose une plainte le 12 février 2020 contre la journaliste Marie Tison, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant l’article intitulé « Le mont Logan en solo, c’est fini », publié le 13 janvier 2020. La plaignante reproche de l’information inexacte, de l’information incomplète, un manque d’équilibre, un manque de fiabilité des informations transmises par une source, une absence de correction des erreurs, ainsi qu’une atteinte à la réputation (non traitée: voir paragraphe 33).
CONTEXTE
La journaliste Marie Tison rapporte dans son article que Parcs Canada vient d’instaurer un moratoire sur les expéditions hivernales et en solitaire au mont Logan, le plus haut sommet du Canada situé dans le parc national Kluane, au Yukon. La journaliste indique en introduction que cette « nouvelle a une résonance particulière au Québec » en raison du sauvetage, en juin 2018, de l’alpiniste Monique Richard (la plaignante dans ce dossier) qui, après son ascension en solo du mont Logan, a dû être secourue à la redescente. Elle donne ensuite la parole à un responsable de Parcs Canada, qui explique pourquoi cette décision a été prise, puis au premier Canadien ayant atteint le pôle Sud à ski en solitaire, Sébastien Lapierre, qui estime que « les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre [ce] moratoire ». La journaliste rapporte également les propos de Monique Richard au sujet de son ascension du mont Logan et de la nouvelle politique de Parcs Canada.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste Marie Tison rapporte une information inexacte en « remettant en question », comme le prétend la plaignante, la « préparation » et les « compétences » de cette dernière lors de son ascension du mont Logan en 2018.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Monique Richard déplore que l’article comporte « un chapitre sur la remise en question de ma préparation, de mes compétences et de mes décisions sur Logan en 2018 », alors que l’alpiniste affirme n’avoir « aucun doute sur la qualité de [s]a préparation pour cette expédition. » Cependant, à la lecture de l’article, on constate que la journaliste n’écrit nulle part que Mme Richard était mal préparée et incompétente lors de son ascension du mont Logan en 2018.
Monique Richard établit des liens entre des informations rapportées dans l’article, sauf que ces liaisons relèvent de son interprétation. Elle se réfère par exemple à cette citation de l’aventurier Sébastien Lapierre : « Les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre un moratoire sur les expéditions en solo (…) Voilà une autre conséquence de nos actions en expédition. » Cependant, comme le soulignent les mis en cause dans leur réponse au Conseil, ces propos « sont de nature générale et ne visent pas spécifiquement la plaignante ».
Dans le dossier D2019-04-060, le Conseil devait déterminer si la journaliste avait rapporté une information inexacte en laissant entendre que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. Le Conseil a constaté « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas. Nulle part il n’est en effet écrit que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. » Le grief d’information inexacte a été rejeté. Pareillement, dans le cas présent, la plaignante allègue une information inexacte qui n’y figure pas.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les éléments que la plaignante aurait voulu voir dans l’article étaient essentiels à la bonne compréhension du sujet traité.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Monique Richard « ne croi(t) pas que tous les éléments essentiels soient présentés au lecteur pour la bonne compréhension du sujet; que ce soit au sujet des nouvelles politiques en vigueur, ni sur la complexité d’une expédition ou sur le contexte de mon évacuation en 2018. » Elle considère que l’article présente une « couverture superficielle de la nouvelle (en explorant très peu les tenants et aboutissants des nouvelles politiques de Parcs Canada, qui sont nombreux) ». De leur côté, les mis en cause s’appuient sur le principe de la liberté rédactionnelle pour expliquer que la journaliste a choisi de traiter le sujet de la manière qu’elle jugeait la plus appropriée, « en insistant sur les raisons ayant mené à l’adoption de ces politiques par Parcs Canada. »
L’article en cause traite du moratoire décrété par Parcs Canada sur les expéditions hivernales et en solitaire dans le mont Logan. La journaliste a choisi comme angle d’expliquer les raisons du moratoire de Parcs Canada et de récolter des réactions. Pour ce faire, elle rapporte les commentaires de trois personnes au sujet de cette nouvelle : le directeur de l’expérience des visiteurs chez Parcs Canada, Ed Jager, Sébastien Lapierre, premier Canadien ayant atteint le pôle Sud à ski et en solitaire, et Monique Richard qui est l’une des dernières à avoir tenté l’ascension du mont Logan en solitaire. Ce choix relève de la liberté éditoriale de la journaliste et compte tenu de cet angle ainsi que du fait que l’article est publié dans un journal grand public et non dans une revue spécialisée en alpinisme, la journaliste n’avait pas à traiter le sujet plus en profondeur. Les informations souhaitées par la plaignante – comme la mention de son expédition en 2018, ses actions sur la montagne ou encore sa préparation et le permis d’ascension qu’elle avait obtenu – n’étaient pas essentielles à la compréhension du sujet.
Dans la décision D2016-07-013, le Conseil a rappelé que « la déontologie “n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur”. Dans le cas présent, compte tenu de l’angle choisi par le journaliste [le mécontentement de commerçants concernant la présence d’itinérants dans ce quartier], les informations souhaitées par le plaignant n’étaient pas essentielles à la compréhension du reportage. Le journaliste n’avait donc pas l’obligation déontologique d’en faire état. » En l’occurrence, Marie Tison a mis l’accent sur les raisons ayant mené à l’adoption du moratoire par Parcs Canada en présentant les éléments essentiels à la compréhension du sujet; éléments parmi lesquels ne figuraient pas les aspects du dossier soulevés par la plaignante.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Marie Tison a présenté une juste pondération des parties en présence.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa d du Guide.
Analyse
Monique Richard indique qu’elle avait été « contactée par Mme Tison pour commenter les politiques de Parcs Canada et le moratoire sur les solos et les hivernales. De toute évidence, il appert qu’il s’agissait aussi de répondre aux propos de monsieur Lapierre! Jamais cela ne m’a été signifié! (…) Du point de vue de l’équilibre, au niveau déontologique, cette façon de procéder n’a pas permis une “juste pondération des parties en présence”. »
Les points de vue des parties en présence – M. Jager, M. Lapierre et Mme Richard – font pourtant l’objet d’une juste pondération, et ce, même si la plaignante a préféré répondre par courriel plutôt que parler de vive voix avec la journaliste comme il lui a été proposé. Dans l’article en cause, Marie Tison rapporte d’abord les explications du responsable de Parcs Canada au sujet du moratoire puis elle donne la parole à Sébastien Lapierre. Celui-ci évoque la responsabilité des aventuriers et les risques que quelques-uns peuvent prendre, puis il déclare : « Les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre un moratoire sur les expéditions en solo et les expéditions hivernales dans ce parc national, affirme Sébastien Lapierre. Voilà une autre conséquence de nos actions en expédition. » La journaliste rapporte ensuite des extraits de la déclaration écrite que l’alpiniste lui a fait parvenir :
« Dans une déclaration écrite, Monique Richard défend sa préparation et la pertinence de ses décisions tout au long de son expédition, mais reconnaît que son évacuation aura été une “occasion d’apprentissage pour [elle]” et qu’elle a pu identifier “des éléments pouvant être améliorés”.
Elle maintient que son ascension est historique puisque, avant elle, “aucune femme n’avait été aussi loin en solo sur Logan”. Elle reconnaît toutefois qu’une première n’a toujours pas été réalisée, soit une ascension en solo avec descente complète.
Elle espère que Parcs Canada lèvera son moratoire pour permettre à nouveau les expéditions en solo et les expéditions hivernales. »
De plus, bien que la plaignante puisse penser le contraire, les propos de M. Lapierre rapportés dans l’article sont de nature générale et ne la visent pas spécifiquement, comme le soulignent les mis en cause. La journaliste n’avait donc pas à faire réagir Monique Richard spécifiquement à la citation de M. Lapierre.
Grief 4 : manque de fiabilité des informations transmises par une source
Principe déontologique
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Marie Tison a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par Sébastien Lapierre, une de ses sources.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 11 du Guide.
Analyse
Monique Richard considère que le choix de la source de la journaliste (Sébastien Lapierre) est « très questionnable », car elle lui reproche de faire appel « à une source qui, non seulement n’a pas l’expertise requise pour se prononcer sur le sujet de la nouvelle (n’ayant lui-même aucune expérience de l’alpinisme, malgré ses trois expéditions en kayak et en ski), et surtout, ayant dans le passé mené publiquement une campagne de dénigrement à mon égard et ayant exprimé à maintes reprises des critiques gratuites, infondées et diffamatoires à mon sujet et sur mon expédition de 2018. Ce manque d’expertise le disqualifie à mon avis pour commenter sur ce sujet ».
Les mis en cause indiquent que « l’opinion de M. Lapierre était sollicitée à titre d’aventurier et non en tant qu’alpiniste. Ses propos ne portent donc pas sur l’alpinisme en particulier, mais plutôt sur le niveau de préparation nécessaire à toute expédition d’aventure, dont les expéditions d’alpinisme constituent une sous-catégorie. » Ils ajoutent que « M. Lapierre était bien placé pour se prononcer à ce sujet ayant participé à de nombreuses expéditions, dont l’une en solo au pôle Sud » et rappellent que « ses propos ne visent pas spécifiquement la plaignante. Son opinion préalable au sujet de cette dernière ne venait donc en rien atteindre à la pertinence de ses propos. »
Le choix d’une source reste la prérogative du journaliste qui doit cependant vérifier la fiabilité des informations transmises par sa source. Cependant, dans le cas présent, la journaliste rapporte l’opinion de sa source plutôt que des faits. Au regard de l’article 11 du Guide invoqué par la plaignante, Sébastien Lapierre ne délivre pas une information dont la journaliste aurait dû évaluer la fiabilité. Celle-ci rapporte en effet l’opinion de M. Lapierre sur le moratoire décrété par Parcs Canada et non un fait, et bien que la plaignante se sente visée par ses propos, la journaliste n’a commis aucune faute en les citant.
Grief 5 : absence de correction des erreurs
Principe déontologique
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont corrigé avec diligence leurs manquements et erreurs.
Décision
Le Conseil de presse n’ayant pas constaté de manquement déontologique, il rejette le grief d’absence de correction des erreurs.
Analyse
Monique Richard estime que « des excuses peu convaincantes ont été publiées (3 lignes, non signées, incluses dans une longue liste de nouvelles) dans La Presse, mais sont insuffisantes, incomplètes et ne portent que sur la question du manque de préparation. Je ne considère pas que ces excuses sont suffisantes à la lumière de la très piètre qualité journalistique de cet article, notamment le choix de la source, les motivations de la journaliste et de m’avoir induite en erreur sur la nature de l’article lorsqu’elle m’a contactée. »
Un correctif ou des excuses de la part d’un média ne signifient pas nécessairement qu’il y avait faute au départ, du point de vue du Conseil. Il a ainsi déjà rejeté des griefs dans le cas où le média avait fait des modifications ou publié un correctif, comme dans la décision D2019-04-059 : « Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique au grief précédent, le média n’avait pas à effectuer de correctif à l’article publié. » Pareillement dans le cas présent, aucun grief n’ayant été retenu précédemment, La Presse n’était pas tenue de corriger des erreurs qui n’ont pas été commises et elle a fait preuve de délicatesse en publiant des excuses qui indiquent que l’article en cause « a pu laisser entendre que l’alpiniste Monique Richard n’était pas bien préparée pour son ascension en solo du mont Logan en 2018. Or, ce n’était pas le cas. »
Grief non traité : atteinte à la réputation
Monique Richard estime que la citation de Sébastien Lapierre « présente (son) expédition de 2018 comme un exemple de négligence, de mauvaise préparation, d’erreurs, et j’en passe, ce qui porte atteinte sérieusement à ma réputation, ma dignité, et mon honneur. »
Toutefois, « la plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision », stipule l’article 13.04 du Règlement No 2 du Conseil de presse. L’atteinte à la réputation et la diffamation ne relèvent donc pas de la déontologie journalistique, mais sont plutôt du ressort de la justice.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Monique Richard contre la journaliste Marie Tison, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant les griefs d’information inexacte, d’information incomplète, de manque d’équilibre, de manque de fiabilité des informations transmises par une source et d’absence de correction des erreurs.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier
Date de l’appel
17 January 2022
Appelant
Monique Richard, alpiniste
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
L’appelante conteste la décision de première instance dans son ensemble, à savoir les cinq griefs allégués. Dans son appel, elle avance les mêmes arguments que ceux soumis au comité des plaintes, estimant que celui-ci les a mal analysés ou n’en a pas tenu compte.
Dans l’article en cause, la journaliste Marie Tison rapporte que Parcs Canada vient d’instaurer un moratoire sur les expéditions hivernales et en solitaire au mont Logan, le plus haut sommet du Canada situé dans le parc national Kluane, au Yukon. La journaliste indique en introduction que cette « nouvelle a une résonance particulière au Québec » en raison du sauvetage, en juin 2018, de l’alpiniste Monique Richard (l’appelante dans ce dossier) après son ascension en solo du mont Logan.
Elle donne ensuite la parole à un responsable de Parcs Canada, qui explique pourquoi cette décision a été prise, puis à l’aventurier, Sébastien Lapierre, premier Canadien ayant atteint le pôle Sud à ski et en solitaire, qui estime que « les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre [ce] moratoire ».
La journaliste rapporte enfin un commentaire écrit de Monique Richard au sujet de son ascension du mont Logan et de la nouvelle politique de Parcs Canada.
MOTIF DE L’APPELANTE
L’appelante conteste la décision de première instance relativement aux griefs d’information inexacte, informations incomplètes, manque d’équilibre, manque de fiabilité des informations transmises par une source, absence de correction des erreurs.
Grief 1 : Information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelante apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief d’information inexacte de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante estime que la décision du Conseil « fondée sur l’affirmation que “la journaliste n’écrit nulle part que Mme Richard était mal préparée et incompétente lors de son ascension du mont Logan en 2018” est “superficielle” ».
Elle ajoute que « l’argument de la lecture stricto sensu et de l’absence des mots précis, ni celui d’une prétendue interprétation erronée de [s]a part, ne sont suffisants pour affirmer que l’article ne donne pas l’impression au lecteur que la journaliste (et sa source) remettent en question [s]a préparation et [s]es compétences. »
Pour elle, « l’article est présenté, structuré et organisé de telle manière que les propos de la source citée donnent clairement aux lecteurs (ou à « certains lecteurs »), l’impression que les commentaires de Lapierre s’appliquent à [s]on cas, ce qui, en fait, est bien le cas. »
Elle vise ce passage : « Les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre un moratoire sur les expéditions en solo et les expéditions hivernales dans ce parc national, affirme Sébastien Lapierre. Voilà une autre conséquence de nos actions en expédition. » Elle souligne que « la version originale de ce passage copié sur le Facebook de la source par Marie Tison indiquait “certain(e)s” et [la] nommait expressément à titre d’exemple. »
Bien que l’appelante estime que les propos de Sébastien Lapierre donnent l’impression qu’elle était mal préparée, il n’est pas écrit une telle chose dans l’article en cause. Il s’agit là de son interprétation de l’article et le Conseil ne juge pas les impressions, mais les faits.
En effet, dans le passage visé, Mme Richard n’est pas citée et dans le reste de l’article, il n’est pas écrit que celle-ci était mal préparée. L’article mentionne que, selon Sébastien Lapierre, premier Canadien à atteindre le pôle Sud en solitaire et en pleine autonomie, « les aventuriers ont une certaine responsabilité : ils doivent être bien préparés pour éviter les situations précaires et les opérations de sauvetage. » Il ne cite pas Mme Richard. Le comité des plaintes a donc bien appliqué le principe d’exactitude puisque ce que Monique Richard avance n’est pas écrit dans l’article, mais relève de son interprétation.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelante apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief d’informations incomplètes de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 e) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante avance : « La décision du Conseil indique que “la journaliste a choisi comme angle d’expliquer les raisons du moratoire de Parcs Canada et de récolter des réactions”. Nous demandons à la commission d’appel d’approfondir son analyse quant à la pertinence d’un chapitre entier sur la (mauvaise) préparation des alpinistes avec mon expérience en guise d’exemple, si l’article porte sur les raisons du moratoire ».
Elle ajoute : « Nulle part dans l’explication des raisons du moratoire par les autorités il n’est question de la préparation des alpinistes, encore moins de ma propre préparation (elles affirment d’ailleurs le contraire), mais découlent d’autres facteurs (tel qu’expliqué dans notre réplique). »
Elle poursuit : « Il est primordial que Mme Tison et La Presse, expliquent à la commission d’appel en quoi la seconde partie de l’article ayant comme sous-titre “Une bonne préparation nécessaire”, agrémentée des opinions de Lapierre à mon sujet, est-elle pertinente dans ce texte devant supposément traiter des raisons des nouvelles politiques de Parcs Canada? » Elle estime que son « propre cas n’est simplement pas une raison ayant mené aux nouvelles politiques, selon les responsables de Parcs Canada eux-mêmes. Ce choix de la part de Marie Tison de l’insinuer (en citant Lapierre) est inacceptable et tendancieux. »
L’appelante conteste la décision de première instance relativement au grief d’incomplétude, mais n’explique pas à la commission d’appel quelles informations auraient été essentielles à la compréhension du sujet. Elle estime plutôt que la deuxième moitié de l’article, qui commence avec l’intertitre « Une bonne préparation nécessaire » n’était pas nécessaire à la compréhension du sujet puisque « la journaliste a choisi comme angle d’expliquer les raisons du moratoire de Parcs Canada et de récolter des réactions ». La commission d’appel n’a pas à se pencher sur ce nouvel élément de plainte.
Toutefois, le comité des plaintes a bien appliqué le principe de complétude en estimant que les informations que Mme Richard aurait voulu voir dans l’article n’étaient pas essentielles à la compréhension du sujet et qu’il relevait de la liberté éditoriale de la journaliste de choisir l’angle de son sujet, qui était, dans ce cas, le moratoire imposé par Parcs Canada. Dans sa plainte originale, Mme Richard estimait qu’il manquait dans l’article des éléments essentiels « sur la complexité d’une expédition ou sur le contexte de [s]on évacuation en 2018. » Des informations qui n’auraient pas changé la compréhension de l’article étant donné qu’il n’est pas écrit dans l’article que la raison du moratoire de Parcs Canada est liée à Mme Richard ou à sa préparation lors de son ascension du mont Logan.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelante apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief de manque d’équilibre de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 d) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante remet en cause « l’argument des propos de nature générale » du comité des plaintes : « La décision du Conseil indique que la juste pondération des parties en présence est bien servie par les soi-disant “propos de nature générale” de Lapierre au sujet de “la responsabilité des aventuriers et les risques que quelques-uns peuvent prendre” ».
Elle ajoute que « Mme Tison a choisi de ne pas me préciser que l’article comporterait des attaques de Lapierre, pour m’en informer par la suite dans cet échange survenu après la parution de l’article. »
Elle estime que le Conseil n’a pas tenu compte de ces éléments dans sa décision de rejeter le grief de manque d’équilibre, car « le choix délibéré d’une source biaisée, la dissimulation des attaques de cette source et le parti pris de la journaliste, ne permettent aucunement de conclure à une juste pondération des partis en cause. »
Pourtant, Mme Richard a eu l’occasion de s’exprimer et ses propos sont repris dans l’article. Le comité des plaintes a bien appliqué le principe d’équilibre, puisque les points de vue des parties en présence dans l’article bénéficient d’une juste pondération.
Mme Richard argue que les propos de M. Lapierre n’étaient pas de nature générale, mais qu’ils la visaient personnellement. Cependant, à la lecture de l’article, on ne constate pas de propos tenus par Sébastien Lapierre à l’encontre de Mme Richard. Le manque d’équilibre invoqué par l’appelante, sur base « du choix délibéré d’une source biaisée » relève de son interprétation.
Grief 4 : manque de fiabilité des informations transmises par une source
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 11 du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante conteste l’argument suivant du comité de plaintes : « M. Lapierre était bien placé pour se prononcer à ce sujet ayant participé à de nombreuses expéditions, dont l’une en solo au pôle Sud ». Le comité a spécifié que « ses propos ne visent pas spécifiquement la plaignante. Son opinion préalable au sujet de cette dernière ne venait donc en rien atteindre à la pertinence de ses propos. »
Mme Richard ne partage pas l’opinion du comité des plaintes sur le fait que M. Lapierre était « bien placé pour se prononcer à ce sujet ayant participé à de nombreuses expéditions, dont l’une en solo au pôle Sud ». Elle explique que M. Lapierre « a mené seulement trois expéditions dignes de mention (dont aucune ne s’est déroulée en haute montagne). »
Elle ajoute : « Pour que des informations transmises par une source soient fiables, il faut d’abord que cette source ait la crédibilité, les qualifications, et l’expertise requises pour que ses propos soient jugés pertinents et fiables ».
L’appelante avance que Sébastien Lapierre n’est pas une source fiable pour parler du moratoire imposé par Parcs Canada; il s’agit là de son opinion. Cependant, elle n’apporte pas de preuves voulant que la journaliste n’ait pas pris les moyens pour évaluer la fiabilité des informations transmises par M. Lapierre ni que les informations qu’il lui a transmises n’étaient pas fiables.
Le comité des plaintes a bien appliqué le principe de fiabilité des informations transmises par les sources, car ce principe vise la fiabilité des informations et non la fiabilité de la source. Dans le cas présent, les informations transmises par la source Sébastien Lapierre relèvent de l’opinion et non d’un fait. Son point de vue était d’ailleurs pertinent dans le contexte de l’imposition d’un moratoire sur les expéditions hivernales en solitaire sur le mont Logan, même si l’appelante ne le partage pas.
Grief 5 : absence de correction des erreurs
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief d’absence de correction des erreurs de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 27.1 du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante se dit « consternée de lire que le comité de plainte estime que le média n’était pas tenu de s’excuser, mais compren[d] la logique puisque celui-ci estime qu’aucune faute déontologique n’a été commise, conclusion que nous contestons d’ailleurs. »
Étant donné que la décision rendue par le comité des plaintes est maintenue pour chacun des griefs présentés ci-dessus, le grief d’absence de correction des erreurs est caduc, puisqu’aucun manquement déontologique n’a été relevé.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes :
Jonathan Trudel
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette