Plaignant
Tong Li, propriétaire du bar Chez Françoise
Mis en cause
Michael Nguyen, journaliste
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
La plaignante, qui est la propriétaire du bar Chez Françoise, Tong Li, dépose une plainte le 28 février 2020 contre le journaliste Michael Nguyen et Le Journal de Montréal concernant l’article « Un bar surveillé depuis la Chine conteste une suspension de permis », publié le 28 novembre 2019. La plaignante vise de l’information inexacte, un titre sensationnaliste, du sensationnalisme et de l’atteinte à la réputation (non traitée).
CONTEXTE
L’article mis en cause est un suivi du texte « Sexe, drogue et violence dans un bar de HoMa », qui fait l’objet de la décision D2019-11-157. Dans ce premier article, Michael Nguyen rapporte des événements survenus dans le bar Chez Françoise, situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, qui s’est vu suspendre sa licence d’exploitation pendant 40 jours à la suite d’une enquête policière.
Dans ce deuxième article, le journaliste relate que le bar Chez Françoise conteste la suspension de sa licence. On y apprend également que la surveillance de l’établissement se fait parfois à distance par les propriétaires lorsqu’ils sont en Chine.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a produit de l’information inexacte en écrivant que la Régie des alcools, des courses et des jeux a suspendu la licence du bar dans l’extrait suivant : « Tong Li, la propriétaire, digère mal une décision de la Régie des alcools, qui a suspendu sa licence en août dernier pour une série d’événements survenus dans son bar de la rue Sainte-Catherine, dans le quartier Hochelaga »?
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante indique, sans en apporter la preuve, que la suspension de la licence de son bar ne provient pas de la Régie, mais plutôt d’une décision indépendante de la Société des établissements de jeu du Québec (SEJQ).
Or, la décision de la Régie visant le bar Chez Françoise indique précisément qu’elle « suspend pour une période de quarante (40) jours le permis de bar […] et, conséquemment, la licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo ». Par ailleurs, le Conseil constate que la Régie « a la responsabilité, en tout ou en partie, de l’encadrement, de la surveillance et du contrôle » du secteur de l’alcool et des appareils de loterie vidéo. L’information rapportée par le journaliste était donc exacte.
Grief 2 : titre sensationnaliste
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits en titrant « Un bar surveillé depuis la Chine conteste une suspension de permis ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre sensationnaliste.
Analyse
La plaignante déplore que le titre de l’article « suggère que le gouvernement chinois contrôle le bar, un fait qui ne correspond pas à la réalité ». Tong Li soutient que la surveillance du bar depuis la Chine n’est que mentionnée « brièvement à la toute fin de l’article », alors que le titre « semble suggérer que la surveillance “depuis la Chine” est un point central au cas ».
Contrairement à ce que soutient la plaignante, le Conseil constate que le chapeau de l’article (court texte qui introduit un article et qui en résume le contenu, présenté dans ce cas en caractères gras) aborde cet aspect en indiquant que « les propriétaires assurent la surveillance parfois depuis la Chine ». D’écrire « à partir de la Chine » ou « depuis la Chine » ne laisse pas sous-entendre que le gouvernement chinois surveille le bar Chez Françoise, comme l’interprète la plaignante, mais plutôt que la surveillance du bar s’effectue de là-bas, parfois, lorsque les propriétaires se trouvent dans ce pays.
La dernière section de l’article, intitulée « Surveillance de la Chine », explique que le mari de Tong Li surveillait le bar alors qu’il était en voyage en Chine : « “Elle [Tong Li] surveille les images en direct de son téléphone cellulaire”, peut-on lire dans le document de cour. Le mari de Tong Li assure la surveillance du bar, assure-t-elle. Le hic, c’est que des témoignages avaient permis de découvrir un fait particulier : alors que le mari jurait qu’il surveillait le bar, il était… en voyage en Chine. »
Dans un dossier antérieur au sujet du sensationnalisme similaire, le D2018-01-004, le Conseil a souligné qu’il est « important de distinguer un titre accrocheur d’un titre sensationnaliste, en termes de déontologie journalistique. Un titre rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. Le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité ». Dans le cas présent, le Conseil fait aussi cette distinction en convenant que le titre est accrocheur, mais qu’il ne contrevient pas à la déontologie journalistique pour autant. Le titre ne déformait pas la réalité.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits dans l’extrait suivant : « Un bar d’Hochelaga où le sexe, la drogue et la violence sont monnaie courante […] »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
La plaignante soutient que « le journaliste interprète abusivement les documents parvenus à la cour pour peindre un portrait déformé de la situation du bar » en décrivant son établissement comme un endroit où « le sexe, la drogue et la violence sont monnaie courante ».
Considérant que la décision de la Régie relate plusieurs épisodes qui impliquaient drogues, sexe et violence, le Conseil estime que les termes employés par le journaliste ne déforment pas la réalité.
Notamment, la décision révèle qu’au « moment de l’intervention, une activité sexuelle était en cours dans les toilettes des femmes de l’établissement. C’est d’ailleurs ce qui a mené les deux policiers à se présenter au bar. Une douzaine de clients du bar est alors hostile à la présence des policiers et nécessite l’appel de renfort. Au cours de l’altercation, des voies de fait sont commises sur deux policiers ». Cet extrait témoigne d’un épisode impliquant à la fois sexe et violence dans le bar, sans compter que la décision comporte une section complète titrée « Actes de violence ». En ce qui concerne la présence de drogue dans le bar Chez Françoise, la section « Drogue et autres substances » de la décision énumère plusieurs incidents liés à la drogue, tels que les commandes téléphoniques de drogue par deux serveuses ainsi que l’achat et la consommation de cocaïne par les clients du bar. Ainsi, les termes « sexe », « drogue » et « violence » sont factuels et ne déforment pas la réalité.
De plus, la décision de la Régie indique que le bar Chez Françoise n’en était pas à sa première condamnation en matière d’actes de violence : « Quant aux autres événements, soit les actes de violence et de nature sexuelle, une suspension additionnelle de dix jours est de mise. Les soussignés prennent en considération le fait que la titulaire n’en est pas à sa première convocation. En effet, le 16 octobre 2018, son permis avait été suspendu cinq jours en raison d’actes de violence et d’événements de bruit à l’établissement. »
À la lumière de ces détails dévoilés dans la décision de la Régie, le journaliste qualifie de « monnaie courante » ce genre d’événements dans ce bar. Telle que définie par le Larousse, l’expression « monnaie courante » signifie qu’une situation se produit fréquemment. En ce qui concerne l’utilisation de termes et d’expressions, le Conseil a statué dans plusieurs dossiers antérieurs, par exemple le D2017-03-051, qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur discrétion rédactionnelle. Dans le cas présent, le journaliste a employé l’expression « monnaie courante » afin de parler d’une situation qui n’était pas un cas isolé, ce qui relève de sa liberté éditoriale et ne déforme pas la réalité.
Grief non traité : atteinte à la réputation
Les plaignants considèrent que l’article porte atteinte à la réputation du bar Chez Françoise, un grief que le Conseil ne traite pas, car l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Tong Li contre le journaliste Michael Nguyen et Le Journal de Montréal concernant les griefs d’information inexacte, de titre sensationnaliste et de sensationnalisme.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost