Plaignant
Amel Yaddaden
Mis en cause
Richard Martineau
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Amel Yaddaden dépose une plainte le 13 mars 2020 contre le chroniqueur Richard Martineau et Le Journal de Montréal au sujet d’une chronique intitulée « Prendre le virus en grippe ». Elle reproche au chroniqueur de faire preuve de discrimination.
CONTEXTE
La chronique mise en cause est publiée un peu plus de deux mois après le début de l’épidémie de coronavirus. Le Québec compte, la veille de la publication de la chronique, quatre cas confirmés et un cinquième cas probable. D’après le chroniqueur, certaines personnes estiment que l’on parle trop de ce virus, contrairement à la grippe saisonnière, qui fait pourtant 300 morts chaque année dans la province. Le chroniqueur juge qu’il faut contenir l’épidémie au plus vite, donnant l’exemple de l’Italie et de l’Iran, qui, n’ayant pas pris des mesures efficaces, se retrouvent en tête des pays les plus touchés après la Chine, d’où le virus provient.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : Discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. (2) Les journalistes et les médias d’information ne font mention de caractéristiques comme la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques personnelles que lorsqu’elles sont pertinentes. » (article 19 1) et 2) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Richard Martineau utilise des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à entretenir les préjugés envers des personnes ou des groupes, dans le passage suivant : « Regardez l’Italie. Ils ont dormi sur la switch. Résultat : c’est le pays le plus infecté après la Chine. Idem pour l’Iran, qui se croyait probablement protégé par Allah. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de discrimination, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 19 du Guide.
Analyse
La plaignante reproche au chroniqueur de « fai[re] référence à des croyances religieuses en ciblant une communauté spécifique de façon condescendante sans aucun motif rationnel » dans l’extrait mis en cause. Elle ne précise toutefois pas en quoi la phrase mise en cause fait preuve de discrimination.
La seule référence religieuse dans le passage visé concerne Allah, le nom que les musulmans donnent à Dieu. Cependant, le chroniqueur ne vise pas une communauté religieuse dans l’extrait mis en cause. Il fait plutôt référence à l’Iran en tant qu’État. Or le régime politique de l’Iran est, en l’occurrence, une théocratie, c’est-à-dire qu’il est fondé sur des principes religieux. Le fait d’évoquer une éventuelle protection d’Allah en parlant d’un pays dont le pouvoir affirme qu’il émane d’Allah ne vise pas une communauté en particulier, mais le régime politico-religieux en place.
Dans la phrase mise en cause, le chroniqueur s’en prend à l’inaction face au virus de l’Iran, pays qui a eu, selon M. Martineau, la même attitude que l’Italie, dont il parle dans la phrase précédente, déplorant le fait qu’« ils [les dirigeants italiens, puisqu’il s’agit des actions qui n’ont pas été prises] ont dormi sur la switch ». Ainsi, le chroniqueur s’en prend aux dirigeants de la théocratie en affirmant : « Idem pour l’Iran, qui se croyait probablement protégé par Allah ».
En matière de déontologie journalistique, le principe de discrimination concerne des personnes ou des groupes sur la base de caractéristiques personnelles; par exemple, un préjugé qui viserait une personne à cause de sa religion. Dans le cas présent, le chroniqueur ne vise pas les musulmans de façon générale. Il s’agit plutôt d’une critique envers l’Iran, en tant qu’État, pour sa gestion de la pandémie.
Le fait d’ironiser sur le comportement des dirigeants d’une théocratie relève de la latitude dont dispose un chroniqueur dans l’expression de ses opinions. De nombreuses décisions du Conseil de presse, comme la décision D2017-11-139 et la décision D2019-01-005 ont rappelé que certaines opinions peuvent susciter le désaccord des lecteurs, voire les heurter, sans que cela constitue pour autant une faute déontologique.
Bien que la plaignante ait été heurtée par les propos du chroniqueur, la phrase mise en cause ne vise pas des personnes ou des groupes de façon discriminatoire, mais critique plutôt l’inaction d’un État; le grief de discrimination est donc rejeté.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Amel Yaddaden contre Le Journal de Montréal et le chroniqueur Richard Martineau pour le grief de discrimination.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentants des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Simon Chabot-Blain
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau