Plaignant
Stéphane Duquette, chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont
Mis en cause
Marie-Michèle Sioui, journaliste
Le Devoir
Résumé de la plainte
Stéphane Duquette, chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, dépose une plainte le 24 mars 2020 contre la journaliste Marie-Michèle Sioui et Le Devoir concernant l’article « Le chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont a été déclaré positif », publié le 20 mars 2020. Le plaignant déplore une atteinte à sa vie privée dans le titre et dans l’article et un correctif inadéquat.
CONTEXTE
Publié dans les premiers jours de la propagation du coronavirus au Québec, l’article rapporte que le chef des urgences de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui est le plaignant dans ce dossier, a reçu un test positif à la COVID-19. La direction de l’établissement a confirmé qu’un membre de son personnel a contracté le virus et été placé en isolement, mais elle n’a pas identifié l’individu en question.
Analyse
Grief 1 : titre portant atteinte à la vie privée
Principes déontologiques applicables
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a porté atteinte à la vie privée du plaignant dans le titre « Le chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont a été déclaré positif ». Le cas échéant, le Conseil doit déterminer si les informations divulguées étaient d’intérêt public.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre portant atteinte à la vie privée, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Le plaignant déplore que le titre « Le chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont a été déclaré positif » dévoile sa fonction et « une information de nature médicale, donc confidentielle ». Il soutient que la divulgation de ces informations « a des répercussions sur [s]a vie privée qui débordent largement le cadre de [s]on rôle de chef de département de médecine d’urgence ».
Les informations médicales, comme le fait d’avoir contracté la COVID-19, sont effectivement d’ordre privé. Il faut donc évaluer avec précaution la notion d’intérêt public si on choisit de les divulguer. Comme le souligne Le Devoir dans sa réplique au Conseil, l’article 18 (2) du Guide indique que « les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée […] d’une personne sont d’intérêt public ». Le média explique que le « rôle stratégique de chef des urgences, et toute l’opération de retrait d’un employé infecté aux fonctions aussi cruciales constituaient […] le centre de la nouvelle ».
Rappelons le contexte de cette nouvelle. Le 13 mars 2020, soit quelques jours avant la publication de l’article, le gouvernement du Québec déclare l’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois en raison de la pandémie de COVID-19. Les visites dans les hôpitaux et les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont interdites. Plusieurs questions subsistent quant au personnel et aux équipements de protection disponibles dans les urgences des hôpitaux pour répondre à la pandémie. Publié le 20 mars 2020, l’article du Devoir « Un employé de Maisonneuve-Rosemont atteint de la COVID-19 » fait état que « l’inquiétude liée à la COVID-19 gagne les employés du réseau de la santé, qui craignent de contracter le coronavirus ou de le transmettre sur leur lieu de travail ».
Confirmant les craintes des professionnels de la santé, le diagnostic positif à la COVID-19 du chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont affectait le cœur de l’un des plus importants hôpitaux du Québec et entraînait des inquiétudes légitimes quant aux potentielles conséquences sur la gestion de son unité d’urgence. L’information selon laquelle le chef du secteur qui était au centre de la crise avait lui-même contracté la COVID-19 relevait de l’intérêt public. Les Québécois avaient le droit d’en être informés. C’est pourquoi Le Devoir n’a pas commis de manquement déontologique en jugeant que l’information présentée dans le titre « Le chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont a été déclaré positif » était d’intérêt public.
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a porté atteinte à la vie privée de Stéphane Duquette en écrivant son nom, son titre et « une information de nature médicale » le concernant dans l’article. Si la réponse est oui, le Conseil doit déterminer si les informations divulguées étaient d’intérêt public.
Décision
Les membres du comité des plaintes retiennent le grief d’atteinte à la vie privée à la majorité (5 contre 1) au sujet de la divulgation du nom de Stéphane Duquette. Toutefois, puisque le média a corrigé le manquement déontologique avec diligence, il n’est pas blâmé.
Analyse
Dans la première version de l’article, le plaignant était identifié par son nom : « Le chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, Stéphane Duquette, a reçu un diagnostic positif de COVID-19, a appris Le Devoir. »
Au grief précédent, le Conseil a estimé que le diagnostic positif à la COVID-19 du chef des urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont relevait de la vie privée, mais que le média pouvait considérer que cette information était d’intérêt public, et donc la divulguer dans le respect de la déontologie journalistique.
Toutefois, les membres majoritaires estiment que divulguer le nom de Stéphane Duquette pour dire qu’il était atteint de la COVID-19 allait trop loin. Connaître son nom n’était pas d’intérêt public. La fonction de chef des urgences est un poste stratégique dans un hôpital, d’autant plus au moment de la diffusion de l’article, alors que le Québec faisait face au début de la pandémie du coronavirus. Toutefois, publier le nom de M. Duquette, inconnu du grand public, n’était pas nécessaire pour comprendre les répercussions que ce diagnostic positif pouvait entraîner sur l’organisation de l’hôpital, par exemple.
Un membre exprime sa dissidence, estimant que le média avait déjà identifié Stéphane Duquette en révélant sa fonction au sein de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, puisqu’il n’y a qu’un seul chef des urgences à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et qu’il est simple de trouver son nom lorsqu’on connaît sa fonction. Considérant que le grief précédent a été rejeté en fonction de l’intérêt public prépondérant, ce membre soutient que la même logique s’applique ici. Or pour les membres majoritaires, la même logique ne s’applique pas étant donné qu’au premier grief, son nom n’était pas mentionné et que M. Duquette n’était pas assez connu pour que les gens l’identifient seulement avec sa fonction.
Dès que le plaignant eut contacté Le Devoir, son nom a été retiré de l’article du site Internet du Devoir. Son nom ne s’est pas retrouvé dans la version papier du journal. Le Conseil a pu constater que c’était bien le cas lors de la réception de la plainte, puisque l’erreur était déjà corrigée. Plusieurs décisions antérieures du Conseil attestent qu’un média ayant corrigé ses erreurs avec diligence peut être absous, même si le grief a été retenu. Dans le dossier D2017-12-151, par exemple, le média avait rapidement corrigé une photographie ne reflétant pas l’information à laquelle elle se rattachait et n’avait pas reçu de blâme.
Grief 3 : correctif inadéquat
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a corrigé avec diligence ses manquements et erreurs de manière à les réparer pleinement et rapidement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de correctif inadéquat.
Analyse
Le plaignant confirme qu’après avoir contacté le média, son nom a été enlevé de l’article. Il déplore toutefois que la première version du texte apparaisse toujours sur des sites comme MSN et CEDROM-SNI.
Dès le moment où le média a pris connaissance de la plainte de Stéphane Duquette au Conseil, il a entamé des démarches pour régler la situation auprès de MSN et de CEDROM-SNI. Dans sa réplique au Conseil, le média explique qu’il a contacté les personnes-ressources chez CEDROM-SNI et MSN afin qu’ils rectifient le tir. Cependant, le Conseil de presse ne se penche pas sur les démarches des sites qui se spécialisent en redistribution de contenus médiatiques et se limite à analyser le contenu journalistique des médias d’information.
Le Devoir ayant rapidement retiré le nom du chef des urgences, le grief de correctif inadéquat est rejeté.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Stéphane Duquette contre la journaliste Marie-Michèle Sioui et Le Devoir concernant le grief d’atteinte à la vie privée dans l’article. Le manquement déontologique ayant été réparé avec diligence, comme le recommande l’article 27.1 du Guide, le Conseil absout la journaliste et le média, qui ne reçoivent pas de blâme. Les griefs de titre portant atteinte à la vie privée et de correctif inadéquat sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Martin Francoeur
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier