Plaignant
Alexandra Scott-Larouche
Mis en cause
Maxime Deland, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
La page Facebook du Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Alexandra Scott-Larouche dépose une plainte le 17 avril 2020 contre un article du journaliste Maxime Deland, intitulé « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions », qui a été publié le 17 avril 2020 sur le site Internet du quotidien Le Journal de Montréal ainsi que sur la page Facebook du média. La plaignante reproche un titre inexact, de l’information inexacte, du sensationnalisme, de la partialité et une absence de correction des erreurs.
CONTEXTE
Alors que le Québec vivait son premier confinement dû à la pandémie de COVID-19, l’article en cause rapporte qu’un jeune homme vivant à Saint-Jérôme a été arrêté en pleine nuit à Rivière-Rouge par des policiers de la Sûreté du Québec. L’intéressé s’était endormi dans une voiture stationnée devant le domicile d’une femme, dont il était tombé amoureux dernièrement.
Analyse
Grief 1 : titre, introduction, et publication Facebook inexacts
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » et l’introduction en caractères gras de l’article (aussi appelé chapeau) « L’amour peut nous pousser à faire des choses insensées » présentent une information inexacte.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre, introduction et publication Facebook inexacts, car il juge que le média, qui est seul responsable de ces éléments d’information là, n’a pas contrevenu aux articles 9 alinéa a et 14.3 du Guide.
Analyse
La plaignante demande d’abord au Conseil de se pencher sur le titre et l’introduction de l’article, ainsi que sur la publication sur Facebook, qui reprend le titre et l’introduction de l’article. Il faut préciser que ces trois éléments sont de la responsabilité du média et non du journaliste, c’est donc le média et non le journaliste qui est mis en cause dans ce grief. Selon Alexandra Scott-Larouche, ces trois éléments « laissent entendre que l’homme tentait d’aller rejoindre une femme dans le cadre d’une relation consensuelle. » Or, poursuit-elle, « quand on lit l’article complet, on se rend compte que l’homme a été retrouvé dans une voiture loué, endormi devant la maison d’une femme dont les sentiments ne sont pas réciproques. Il a été accusé d’intrusion de nuit et de bris de probation entre autres. On parle clairement ici d’un cas de harcèlement. Le harcèlement n’est pas un coup de foudre ou de l’amour et ne devrait pas être présenté ainsi. »
À la lecture de la plainte, on constate que Mme Scott-Larouche interprète les éléments mis en cause, car ni dans le titre, ni dans le paragraphe introductif, ni sur Facebook, il n’est écrit ou sous-entendu qu’il s’agissait d’une relation consensuelle. Par ailleurs, le dictionnaire Larousse donne cette définition de l’expression « coup de foudre » : « apparition subite d’un violent sentiment d’amour pour quelqu’un ; engouement soudain et vif pour quelqu’un ou quelque chose. » Et celle-ci pour le mot « amour » : « inclination d’une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou sexuel ». Ces deux définitions n’impliquent pas une réciprocité des sentiments de la part de la personne aimée ou faisant l’objet d’un coup de foudre. Le média pouvait donc légitimement utiliser ces termes pour décrire la situation rapportée dans l’article.
La plaignante affirme également que le fait divers relaté par le journaliste est un « cas de harcèlement », cependant, il s’agit de son interprétation, car le contrevenant n’était pas accusé de harcèlement.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste rapporte de l’information inexacte en employant les termes « coup de foudre » et « amoureux » et en qualifiant la victime de « nouvelle flamme ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Les termes visés par la plaignante se retrouvent dans le corps du texte de l’article en cause, qui relève de la responsabilité du journaliste. Les voici remis dans leur contexte (soulignements du Conseil) :
« L’homme de 20 ans devra répondre de ses actes devant la justice pour avoir tout mis en œuvre pour rejoindre sa nouvelle flamme, à Rivière-Rouge, dans les Laurentides. »
« Toutefois, selon nos informations, le suspect se trouvait là pour voir une femme avec qui il était récemment tombé amoureux, mais dont les sentiments n’étaient pas réciproques. »
« Déterminé à aller rejoindre la femme pour qui il avait eu le coup de foudre, le jeune homme aurait loué une voiture pour ne pas éveiller les soupçons. C’est d’ailleurs à bord de cette voiture de location qu’il a été retrouvé endormi. »
La plaignante considère que les termes « coup de foudre », « amoureux » et « nouvelle flamme » sont inexacts parce que, selon elle, ils impliquent une réciprocité dans une relation amoureuse. Pourtant, l’utilisation de ces termes dans l’article est conforme aux définitions données par des dictionnaires tels que le Larousse. Les termes « coup de foudre », « amoureux » [voir les définitions données au grief précédent] et « flamme » [« Amour, passion amoureuse : Déclarer sa flamme. »] n’impliquent pas une réciprocité de la part de la personne concernée et se prêtent à une relation à sens unique. Dans l’article, le journaliste mentionne d’ailleurs que « les sentiments [du suspect] n’étaient pas réciproques ».
Plusieurs décisions antérieures du Conseil visent le choix de mots effectué par les journalistes. Dans la décision D2018-05-065 par exemple, la plaignante, qui faisait l’objet de l’article en cause, indiquait que la phrase suivante était inexacte, parce qu’elle ne connaissait pas de « volte-face » dans sa vie : « Physiquement, les opérations, la prise d’hormones, les volte-face ont laissé des séquelles physiques permanentes, particulièrement d’un point de vue urinaire. » Le Conseil a rejeté le grief, car il a estimé que « l’inexactitude alléguée par [la plaignante] relève de la marge d’interprétation de la journaliste, qui pouvait utiliser le terme “volte-face” pour illustrer le parcours de la plaignante, qui avait changé de sexe à plusieurs reprises. »
Pareillement dans le cas présent, le choix des termes « coup de foudre », « amoureux » et « nouvelle flamme » relève de la marge d’interprétation du journaliste qui, considérant l’angle de traitement choisi, pouvait les employer pour décrire le fait divers rapporté.
Grief 3 : titre sensationnaliste
Principes déontologiques applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements rapportés dans l’article.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre sensationnaliste, car il juge que le média n’a pas contrevenu aux articles 14.1 et 14.3 du Guide.
Analyse
Pour qu’un titre soit jugé sensationnaliste, il faut qu’il y ait eu une exagération ou une interprétation abusive des faits qui a pour conséquence de déformer la réalité. En l’occurrence, on peut lire au fil de l’article que « l’homme de 20 ans devra répondre de ses actes devant la justice pour avoir tout mis en œuvre pour rejoindre sa nouvelle flamme, à Rivière-Rouge, dans les Laurentides », que « le suspect se trouvait là pour voir une femme avec qui il était récemment tombé amoureux, mais dont les sentiments n’étaient pas réciproques » ou encore que « déterminé à aller rejoindre la femme pour qui il avait eu le coup de foudre, le jeune homme aurait loué une voiture pour ne pas éveiller les soupçons. » Compte tenu de ces faits rapportés dans l’article, le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » reflète fidèlement les informations auxquelles il se rattache.
Par ailleurs, il est important de ne pas confondre un titre accrocheur et un titre sensationnaliste, comme le rappelle la décision D2018-01-004, qui précise qu’« un titre rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. » Pareillement dans le cas présent, le titre, qui relève de la responsabilité du média et non du journaliste, n’exagère pas et n’interprète pas abusivement la portée des faits rapportés dans l’article.
Alexandra Scott-Larouche soutient que le titre de l’article est « trompeur », car « quand on lit l’article complet, on se rend compte que l’homme a été retrouvé dans une voiture louée, endormi devant la maison d’une femme dont les sentiments ne sont pas réciproques (…) Le harcèlement n’est PAS un coup de foudre ou de l’amour et ne devrait pas être présenté ainsi. » Cependant, rien ne prouve que le fait divers relaté dans l’article est un fait de harcèlement, et la plaignante n’en fait pas la démonstration. De plus, aucun élément d’information dans l’article en cause ne réfère de près ou de loin à une situation de harcèlement.
Grief 4 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 alinéa c du Guide)
Le Conseil de presse doit déterminer si le média fait preuve de partialité dans le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » ainsi que dans le chapeau de l’article : « L’amour peut nous pousser à faire des choses insensées. Et en pleine pandémie de COVID-19, les conséquences sont coûteuses pour un homme de Saint-Jérôme. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa c du Guide)
Analyse
Bien que la plaignante considère que le fait divers rapporté est un « cas de harcèlement » et qu’elle estime que « les médias ne devraient pas pouvoir minimiser les actes de violence et encore moins les justifier par de l’amour ou un coup de foudre », aucun terme dans le titre et l’introduction de l’article ne témoigne d’un parti pris du média. Ce n’est pas parce qu’il est écrit que le jeune homme était amoureux que le média, qui est responsable du titre et de l’introduction de l’article, prend parti en faveur du suspect ou qu’il minimise le fait que ses sentiments ne sont pas réciproques.
Dans la décision D2016-11-050, le Conseil a jugé que le titre « Un jeune de 18 ans accusé du meurtre d’un pédophile à Québec » n’était pas partial. « Tous les éléments du titre sont factuels : il s’agit d’un jeune, puisque 18 ans demeure un jeune âge, il est bel et bien accusé de meurtre, et la victime est un ancien pédophile, condamné à deux reprises. De l’avis du Conseil, le titre ne laisse transparaître aucun parti pris comme tel. »
Pareillement dans le cas présent, les éléments du titre et du texte introductif sont en tout point factuels et ne témoignent d’aucun parti pris : le jeune homme voulait rejoindre une jeune femme dont il est tombé amoureux; pour ce faire, il n’a pas respecté les mesures sanitaires concernant les déplacements entre régions; il a été accusé d’intrusion de nuit, d’entrave au travail d’un agent de la paix, de supposition de personne et de non-respect des conditions de probation et il risque une contravention de 1000$ en vertu de la Loi sur la santé publique, selon l’article.
Grief 5 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil de presse doit déterminer si les mis en cause ont adéquatement corrigé leurs erreurs et manquements.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique aux griefs précédents, les mis en cause n’avaient pas à apporter de correctif à l’article en question.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Alexandra Scott-Larouche contre l’article intitulé « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » de Maxime Deland, publié le 17 avril 2020 sur le site Internet du quotidien Le Journal de Montréal ainsi que sur la page Facebook du média concernant les griefs de titre inexact, d’information inexacte, de sensationnalisme, de partialité et d’absence de correction des erreurs.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau