Plaignant
Michel Lapointe
Mis en cause
Dominique Cambron-Goulet, journaliste
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Michel Lapointe dépose une plainte le 22 juin 2020 visant un article de Dominique Cambron-Goulet, intitulé « Un policier de Montréal vend également des armes », publié dans Le Journal de Montréal le même jour. Le plaignant reproche des inexactitudes.
CONTEXTE
L’article mis en cause parle d’un sergent du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui est également président et premier actionnaire d’une entreprise de vente d’armes et de matériel pour les policiers et les pompiers. L’article soulève l’enjeu éthique que ces deux emplois peuvent représenter. Dans un des encadrés suivant l’article, intitulé « Le double emploi est-il légal? », le journaliste fait le point sur les règles régissant le double emploi des policiers. Il fait allusion au cas d’un capitaine de la Sûreté du Québec – sans mentionner son nom – « qui n’avait pu intervenir lors du cafouillage sur l’autoroute A13 », en 2017, « en raison d’un rendez-vous lié à son deuxième emploi comme courtier immobilier ». Le plaignant s’est reconnu comme étant le capitaine en question.
Analyse
Grief 1 : inexactitude
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1. Incapacité à intervenir
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « lors de cet événement [le cafouillage sur l’autoroute 13 lors d’une tempête de neige à Montréal, en 2017], un capitaine de la Sûreté du Québec n’avait pas pu intervenir ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’inexactitude sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 a) du Guide. Considérant qu’il s’agit d’un manquement mineur, le Conseil ne lui adresse toutefois pas de blâme.
Analyse
L’événement auquel fait référence la phrase de l’encadré mise en cause est celui de la tempête de neige survenue dans la nuit du 14 au 15 mars 2017 et souvent surnommée par les médias « le cafouillage de l’A-13 », durant lequel quelque 300 automobilistes étaient restés coincés sur l’autoroute 13 pendant 12 heures, en pleine nuit.
Dans l’encadré mis en cause par le plaignant, on peut lire ceci :
« Depuis le cafouillage de la tempête de neige sur l’autoroute 13 à Montréal, en 2017, la Loi sur la police interdit aux cadres d’avoir un second emploi.
Lors de cet événement, un capitaine de la Sûreté du Québec n’avait pas pu intervenir.
Il était à un rendez-vous chez le notaire, dans le cadre de son deuxième travail comme courtier immobilier. »
Le plaignant affirme que « ce n’est pas vrai que je n’ai pu intervenir, car les événements de la 13 se sont passés dans la soirée, donc le [rendez-vous chez le] notaire n’a jamais été [mis] en cause (voir rapport de commission d’enquête Florent Gagné) ».
L’auteur de l’article rétorque qu’il a « écrit le passage qualifié d’inexact par le plaignant, comme un rappel de faits connus, en [s]e basant sur le travail de journalistes de différentes sources. »
Le journaliste soumet en preuve l’article « Chez le notaire pendant la tempête » datant du 28 mars 2017, soit trois ans avant la publication de l’article en cause, publié dans La Presse+ et repris par plusieurs médias. On y rapportait que Michel Lapointe était chez le notaire pendant ses heures de travail, alors que les conditions se dégradaient, au début de la tempête du 14 mars. Plus loin, on peut lire ceci :
« En fin d’après-midi le mardi 14 mars, alors qu’il était normalement en fonction, M. Lapointe a quitté le travail pour se rendre chez un notaire à Blainville afin de signer des documents d’hypothèque relatifs à son entreprise de gestion immobilière, les immeubles MK Inc., comme le démontre un acte de vente publié au registre foncier. Il s’y trouvait peu après 16 h, alors que la neige s’accumulait au sol et que certains carambolages étaient déjà survenus à l’extérieur du territoire dont il est responsable […] ».
Cependant, à la suite de cette tempête, le ministère des Transports a commandé un rapport, publié au mois de mai 2017 et intitulé « Pour mieux vivre l’hiver – Rapport d’enquête sur les événements survenus sur l’Autoroute 13 les 14 et 15 mars 2017 ». Ce document, ainsi que le reconnaît le journaliste mis en cause, et comme le Conseil a pu le vérifier, ne fait pas mention du passage chez le notaire de M. Lapointe.
Le plaignant précise d’ailleurs au Conseil que, contrairement à ce qu’affirmait l’article de La Presse+, « comme j’étais officier, mes heures normales se sont terminées à 16h, par la suite, c’est ce qu’on appelle être en disponibilité, c’est-à-dire répondre au cellulaire si jamais mon lieutenant ou supérieur m’appelle ».
Le rapporteur mandaté par le ministère des Transports, Florent Gagné, s’il consacre une partie de son rapport aux « lacunes importantes de communication et manque d’initiatives à la SQ », évoque des manquements éventuels attribuables au superviseur de relève en service, Dominique Sauvé, et à son supérieur, le lieutenant Yannick Bélanger. Le premier a communiqué à plusieurs reprises avec le second, mais aucun des deux n’a prévenu le lieutenant en disponibilité, le lieutenant Arsenault. Voici ce que l’on peut lire dans le rapport :
« L’agent Sauvé ne semble pas avoir réalisé qu’il devait, selon les directives, informer l’officier en disponibilité de la situation même s’il avait communiqué à quelques reprises avec son responsable de poste, le lieutenant Bélanger. À l’évidence, l’agent Sauvé n’avait pas conscience à ce moment de l’importance du bouchon de circulation. A-t-il pris tous les moyens pour s’enquérir de la situation réelle? A-t-il utilisé un ton trop rassurant lors de ses conversations avec le lieutenant Bélanger? Il aurait sans doute pu alerter ses supérieurs avec plus d’insistance à mesure que la soirée avançait et que la situation se détériorait. À sa décharge, le manque d’effectif à sa disposition ne lui a probablement pas permis de connaître, avant tard dans la nuit, l’état réel de la situation qui prévalait sur l’A-13 Sud. Est-ce que le lieutenant Bélanger aurait pu de son côté se préoccuper davantage du problème, pousser sa recherche d’information et communiquer avec l’officier en disponibilité, le lieutenant Arsenault, ou l’officier de mesure d’urgence, le capitaine Michel Lapointe? » (Rapport de Florent Gagné, Pour mieux vivre l’hiver, mai 2017, p. 30)
Ce paragraphe permet de comprendre que le capitaine Michel Lapointe n’a pas été contacté à ce moment-là. Plus loin, on peut lire : « Finalement, ce n’est qu’à 4h16 du matin que la structure des mesures d’urgence de la Sûreté a été activée par l’officier des mesures d’urgence, le capitaine Michel Lapointe, lorsqu’il prend connaissance d’un message texte qui lui était parvenu à 2h41. Il déclenche alors la phase C de l’opération Dégivreur. » (p. 33) Aucune communication avec le plaignant, antérieure à celle-ci, n’est mentionnée dans le rapport.
Par conséquent, le Conseil estime qu’il était inexact d’affirmer que le plaignant n’avait pu intervenir à cause d’un rendez-vous chez le notaire puisque, bien qu’étant en disponibilité au moment du déclenchement de l’opération Dégivreur, directement en phase B, à 16h37, il n’a pas été contacté à ce moment-là.
Le journaliste aurait dû s’informer des développements liés au cafouillage de l’A-13, d’autant que l’information qu’il reprend dans son encadré avait été publiée juste après les faits, en mars 2017, soit près de trois ans avant son propre article, et avant la publication du rapport Gagné en mai 2017.
Le Conseil estime toutefois qu’il s’agit d’un manquement mineur, car l’inexactitude ne concerne pas l’article principal du journaliste, mais un encadré très court visant à exposer un cas de double emploi qui aurait prétendument posé problème plusieurs années auparavant. L’information qui se trouve dans cet encadré au sujet du capitaine qui n’est pas nommé est périphérique au sujet et d’importance très relative dans le contexte de l’article signé par le journaliste.
1.2. Chez le notaire dans le cadre de son deuxième emploi
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué à son devoir d’exactitude en affirmant que « il [le capitaine de la SQ, autrement dit le plaignant] était à un rendez-vous chez le notaire, dans le cadre de son deuxième travail comme courtier immobilier ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude sur ce point.
Analyse
Le plaignant affirme qu’il était chez le notaire pour sa « maison personnelle et non comme courtier immobilier » : « Trop de gens pensent que j’étais là comme courtier et ce n’est pas vrai, je transférais un immeuble détenu personnellement dans une compagnie de gestion qui m’appartient. »
Le journaliste rétorque que « M. Lapointe indique dans sa plainte qu’il s’agit de sa “maison personnelle”. Or, l’acte notarié inscrit au registre foncier sous le numéro 22 948 258 est entre la Société hypothécaire Scotia et Les Immeubles MK. Il importe peu de savoir qui habitera l’immeuble sur lequel s’appliquera ce prêt hypothécaire. Au sens légal, ce prêt est contracté par Les Immeubles MK, et non personnellement par M. Lapointe. »
Le Conseil a pu vérifier l’exactitude de l’information apportée par le journaliste mis en cause. Le Registraire des entreprises indique à propos des Immeubles MK inc. qu’il s’agit d’une société par actions, dont Michel Lapointe est le premier actionnaire.
Même s’il ne s’agit pas à strictement parler du travail de courtier immobilier de Michel Lapointe, il ne s’agissait pas d’un rendez-vous pour sa maison personnelle, mais plutôt lié à son entreprise. Le journaliste mis en cause reconnaît qu’il aurait été plus précis d’indiquer que Michel Lapointe était à un rendez-vous chez le notaire « comme président d’une entreprise en immobilier » et non comme courtier immobilier, mais estime que cela « ne changerait en rien le fond du propos, qui est que le policier était à un rendez-vous pour son second emploi, alors qu’il était en [service] pour la Sûreté du Québec. »
La nuance est en effet si légère dans le contexte du sujet que le Conseil juge que le journaliste n’a pas commis d’inexactitude dans la phrase mise en cause.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Michel Lapointe visant un article du journaliste Dominique Cambron-Goulet et le Journal de Montréal concernant le premier sous-grief d’inexactitude. Le Conseil n’adresse pas de blâme au journaliste, car il considère qu’il s’agit d’un manquement mineur dans la mesure où l’inexactitude portait sur un élément périphérique relativement au sujet principal traité par le journaliste.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Ericka Alneus
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Éric Grenier
Yann Pineau