Plaignant
Alexandre Popovic
Mis en cause
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Alexandre Popovic dépose une plainte le 4 juillet 2020 au sujet de l’article « La triste fin d’un jeune bum de Laval », publié par le Journal de Montréal le 28 juin 2020. Le plaignant déplore un titre partial, un non-respect de la dignité et une absence de correctif.
CONTEXTE
L’article rapporte que les autorités policières enquêtent sur la mort de Kevin Denis, un homme de 26 ans retrouvé mort au lendemain d’une fête chez un ami. Bien connu des policiers en raison de ses antécédents judiciaires, Kevin Denis avait fait l’objet d’une tentative de meurtre en septembre 2019. Kevin Denis et son frère Dylan, avec qui il opérait en duo, ont été condamnés une vingtaine de fois à des peines de prison. En 2014, les « frères Denis » avaient notamment fait l’objet d’une importante enquête sur des séries de vols dans des écoles. Des sources avancent que le décès serait lié à une surdose de drogue, mais l’article précise que « les autorités tiennent à s’assurer qu’aucun geste criminel n’est lié au décès ».
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : titre partial
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a fait preuve de partialité en utilisant le mot « bum » dans le titre « La triste fin d’un jeune bum de Laval ». L’auteur de cet article n’est pas visé par la plainte, parce que les titres relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre partial, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Le plaignant estime que la connotation du mot « bum » est « clairement péjorative ». Il soutient que « dans le dictionnaire Larousse anglais-français, le mot “bum” est notamment synonyme de “minable”, “mal fichu” ou “fainéant”. Alors que dans la Banque de dépannage linguistique [BDL] ce mot est notamment synonyme de “vaurien” ou de “bon à rien”. Aussi bien dire que c’est une insulte ».
Si le plaignant choisit cette interprétation du mot « bum », ce terme permet également de désigner un « voyou » ou un « délinquant ». Selon la BDL, source avancée par le plaignant, « l’emprunt à l’anglais bum, aussi francisé en bomme, est parfois employé en contexte familier avec le sens de “voyou, délinquant” ou de “bon à rien”. Il connaît divers synonymes de registre plus neutre, que l’on peut employer selon les besoins du contexte : voyou, délinquant, malfaiteur, bon à rien, vaurien, rebelle, etc. » Dans l’article, qui détaille les nombreux antécédents judiciaires de Kevin Denis, le mot « bum », au sens de « délinquant » ou de « voyou », reflète les faits rapportés.
En effet, les informations colligées dans l’article permettent de brosser le portrait criminel de Kevin Denis. Lui et son frère y sont présentés comme de « petits criminels » et de « jeunes bandits » affiliés à un gang de rue. On y apprend, entre autres, qu’ils « ont été condamnés à des peines de prison environ une vingtaine de fois en plus d’être inscrits dans des rapports d’enquête à plus d’une soixantaine de reprises ». Ils ont aussi « fait l’objet d’une enquête de grande envergure en 2014 lors d’une série de vols dans des écoles ».
Les sources policières mentionnées dans l’article relatent le parcours criminel des frères Denis. Une inspectrice de la division du renseignement du Service de police de Laval soutient qu’on « parle de criminalité d’opportunité, de jeunes qui sont plutôt désorganisés et surtout impulsifs. On n’est pas du tout dans la grande criminalité organisée. Ils laissent toujours des traces et on les retrouve toujours. Ce ne sont pas des caïds, loin de là. » L’article rapporte également qu’un grand nombre de policiers lavallois « lèvent instinctivement les yeux au ciel » lorsqu’il est question des frères Denis, « tant ils sont tristement célèbres pour leurs nombreuses interpellations ».
De plus, les photographies accompagnant le texte montrent l’inscription « crime pay$ » tatouée dans le cou de Kevin Denis. Ce tatouage porte à croire qu’il tirait « une grande fierté de [son] mode de vie », selon l’article.
Il est important de rappeler la liberté éditoriale dont disposent les médias en matière de ton et de style. Le mot « bum » tient certes du registre familier et d’autres termes auraient sans doute pu être choisis pour décrire cette personne délinquante. Il reste qu’en raison du parcours marqué par la délinquance de Kevin Denis, le qualifier de « bum » dans le titre de l’article ne reflète pas un parti pris en faveur d’un point de vue particulier. Un titre accrocheur sert à attirer l’attention du lecteur et ne témoigne pas de partialité s’il est conforme aux informations présentées dans l’article et dénué de parti pris.
La décision antérieure du Conseil D2016-11-050 explique que le titre « Un jeune de 18 ans accusé du meurtre d’un pédophile à Québec » ne témoignait pas d’un parti pris puisqu’il correspondait aux informations présentées dans l’article : « Tous les éléments du titre sont factuels : il s’agit d’un jeune, puisque 18 ans demeure un jeune âge, il est bel et bien accusé de meurtre, et la victime est un ancien pédophile, condamné à deux reprises […] Le titre ne laisse transparaître aucun parti pris comme tel. »
Dans le cas présent, le mot « bum », au sens de délinquant ou de voyou, reflète les faits exposés dans l’article. Ainsi, le média n’a pas fait preuve de parti pris en employant ce terme dans le titre.
Grief 2 : non-respect de la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué de respect à la dignité de Kevin Denis dans le titre « La triste fin d’un jeune bum de Laval ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de non-respect de la dignité.
Analyse
Le plaignant considère que le choix du mot « bum » dans le titre est « clairement inapproprié dans les circonstances » : « Quoiqu’on puisse penser des choix de vie du défunt, un décès reste un décès et un deuil reste un deuil ». Selon lui, « la nouvelle, c’est pas que le défunt s’est fait prendre à faire quelque chose de pas correct. La nouvelle, c’est le décès d’un jeune homme qui avait toute la vie devant lui ».
Le Conseil est sensible aux arguments d’Alexandre Popovic, qui estime que le mot « bum » « dénote un manque total de classe ». Toutefois, bien que le qualificatif ne soit pas élogieux, son emploi ne montre pas un manque de respect à la dignité du défunt. Au sens de « voyou » et de « délinquant », tel qu’utilisé dans l’article, le terme reflète les antécédents judiciaires de Kevin Denis.
En déontologie journalistique, un non-respect de la dignité se traduit par des propos déshumanisants ou dégradants. Dans le dossier D2019-11-152, le grief d’atteinte à la dignité a été rejeté, considérant que « le fait de ne pas mentionner que les immigrants sont des personnes ne les déshumanise pas pour autant ». Le plaignant soutenait qu’on enlevait « toute notion d’identification au genre humain » dans la phrase suivante : « Avec chacun 1,2 million d’illégaux dans la fourchette haute, l’Allemagne et le Royaume-Uni accueillent la moitié des clandestins. » Il déplorait que « l’article ne parle même [pas] de “personnes” », mais plutôt de « clandestins », par exemple. Les définitions des termes “illégaux” et “clandestins” montraient toutefois qu’ils pouvaient être utilisés pour nommer des personnes : « Le Juridictionnaire précise que l’épithète “clandestin” peut qualifier “une personne, physique ou morale (un commerçant, un groupe, un mouvement politique, un intermédiaire)”. Quant au mot “illégaux”, le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales indique qu’il peut être employé comme substantif masculin pour référer à des “personnes vivant dans l’illégalité” ». De la même manière, dans le cas présent, le mot « bum », dans le sens de « voyou » et de « délinquant », pouvait être utilisé pour décrire Kevin Denis, qui a choisi un mode de vie criminel. Ce terme n’est pas dégradant ou déshumanisant et il ne manque pas de respect au jeune homme décédé, puisqu’il reflète le contenu d’un article relatant les nombreux méfaits qu’il a perpétrés.
À l’inverse, la décision D2016-04-139 comporte des exemples de termes dégradants ou déshumanisants. Le plaignant déplorait l’absence de modération de commentaires publiés par les internautes à la suite de six articles en lien avec l’arrestation de Dany Villanueva. Le grief d’absence de modération et publication de propos offensants et irrespectueux portant atteinte à la dignité a été retenu : « Parmi les commentaires, qui aux yeux du Conseil auraient dû être modérés, notons par exemple ceux qualifiant M. Villanueva de “déchet” et de “vidange” ainsi que l’expression “bande de tarés” et la phrase “Ils auraient dû le descendre” ».
Grief 3 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil doit déterminer si le média a corrigé avec diligence ses manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif.
Analyse
Le plaignant indique qu’il a contacté la rédaction du média, mais qu’il n’a obtenu aucune réponse de la part du Journal de Montréal.
Considérant qu’aucun manquement déontologique n’a été retenu dans ce dossier, le média n’avait pas à apporter de correctif au titre.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Alexandre Popovic contre l’article « La triste fin d’un jeune bum de Laval », publié sur le site web du Journal de Montréal, concernant les griefs de titre partial, de non-respect de la dignité et d’absence de correctif.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentantes des journalistes :
Madeleine Roy
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse :
Maxime Bertrand
Éric Grenier