Plaignant
Eric W. Girard
Mis en cause
La Presse canadienne
Le journal Les Affaires
Résumé de la plainte
Eric W. Girard dépose une plainte le 18 novembre 2020 contre un article intitulé « Legault présente le Plan vert, et vante GNL-Québec », publié le 16 novembre 2020 sur le site web lesaffaires.com. Le plaignant reproche de l’information inexacte et de la partialité.
CONTEXTE
L’article en cause est un texte de l’agence La Presse canadienne, publié par le site Internet du journal Les Affaires, qui rapporte que le premier ministre François Legault a souligné les bénéfices climatiques du projet GNL-Québec – une usine de liquéfaction de gaz naturel au Saguenay – lors de la présentation du Plan pour une économie verte 2030 du gouvernement.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte dans le passage suivant : « Sur le cycle complet du projet, de l’extraction du gaz à sa liquéfaction au Saguenay, le projet émettra près de 7,8 millions de tonnes de CO2 par an, donc il annulerait en un an tous les efforts de réduction des gaz à effet de serre (GES) du Québec depuis 1990. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Dans le passage en cause, Eric W. Girard conteste le choix du chiffre de « 7,8 millions de tonnes de CO2 par an » puis le calcul qui en découle en alléguant qu’il s’agit d’affirmations « trompeuses et inexactes ». Afin d’évaluer s’il y a eu inexactitude dans le passage en cause, le Conseil doit répondre à la question suivante : est-il inexact d’affirmer que le projet « annulerait en un an tous les efforts de réduction des gaz à effet de serre (GES) du Québec depuis 1990 ». En d’autres mots, est-ce que les GES produits en un an sur le cycle complet du projet GNL-Québec (7,8 millions de tonnes de CO2) sont comparables aux réductions de GES du Québec depuis 1990?
Le plaignant estime que « la globalité des émissions de CO2 produites au Canada (les 7,8 millions de tonnes) sont toutes mises dans le même panier, celui du Québec. Donc, le journaliste dit clairement que les émissions de CO2 produites dans tout le Canada vont directement affecter la production de CO2 produite sur le territoire du Québec. »
Dans le passage en cause, on compare les émissions annuelles de GES du projet GNL-Québec sur le cycle complet du projet (à l’échelle du Canada) aux réductions de GES du Québec depuis 1990. Cependant, le plaignant n’utilise pas les mêmes données et les mêmes paramètres pour faire ses calculs. Il compare les émissions annuelles de GES du projet GNL-Québec dans la province aux réductions de GES du Québec dans les 10 prochaines années, ainsi qu’aux émissions actuelles de la province.
Les chiffres rapportés dans le passage en question proviennent d’un mémoire déposé par 160 scientifiques auprès du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) lors de l’examen du projet GNL-Québec, indiquent les mis en cause. Dans ce rapport, les scientifiques s’appuient sur une analyse de cycle de vie (ACV) indépendante déposée par le promoteur du projet GNL-Québec auprès du ministère québécois de l’Environnement et de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. Cette ACV évalue que GNL-Québec émettra annuellement 7,8 millions de tonnes de CO2 sur le cycle complet du projet, c’est-à-dire de l’extraction du gaz naturel jusqu’à sa liquéfaction. Cette donnée permet ensuite aux 160 scientifiques d’affirmer : « Cela signifie que les émissions totales associées à ce projet au Canada seraient comparables au total des réductions d’émissions de GES au Québec depuis 1990. » Ainsi, si le projet GNL-Québec était allé de l’avant, il aurait rejeté une quantité de CO2 équivalente aux réductions de GES de la province depuis 1990 et, par syllogisme, ce projet aurait donc annulé ces réductions.
L’article s’est donc basé sur un mémoire déposé au BAPE, soutenu par 160 scientifiques, pour faire cette comparaison des quantités de CO2 associées au projet. Même si le plaignant interprète les chiffres d’une façon différente, il n’y a pas de faute journalistique à se fier à un rapport aussi crédible et à en extraire les chiffres. Dans un dossier antérieur comparable (D2018-04-033), le plaignant estimait qu’il était inexact pour le journaliste de qualifier le groupe anti-immigration canadien Storm Alliance comme étant « d’extrême droite ». Cependant, le Conseil a constaté que ce qualificatif figure dans un rapport du ministère de la Sécurité publique et a expliqué que le journaliste pouvait se fier à cette information en la rapportant telle quelle. Pareillement dans le cas présent, le reportage repose sur des sources crédibles et les mis en cause n’ont commis aucun manquement en rapportant des informations fiables endossées par ces 160 scientifiques dans ce mémoire déposé au BAPE.
Quant à l’équivalence du projet GNL-Québec en termes d’efforts de réduction des GES au Québec depuis 1990, il s’agit d’une image employée dans l’article qui permet d’illustrer plus concrètement pour les lecteurs l’ampleur du projet GNL-Québec. Cette image dérange le plaignant, mais elle n’en demeure pas moins exacte puisque les 7,8 millions de tonnes de GES qu’aurait annuellement émis le projet GNL-Québec sur son cycle complet peuvent effectivement se comparer aux réductions de GES du Québec depuis 1990, qui sont chiffrées à 7,9 millions de tonnes selon l’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016.
Au demeurant, il n’existe aucune norme internationale ni consensus encadrant le calcul des émissions de GES d’un projet comme GNL-Québec ou précisant que les GES d’un tel projet doivent être calculés à l’intérieur d’un pays, d’une province, ou d’une région. Les mis en cause n’ont commis aucun manquement en retenant le chiffre des émissions de GES sur le cycle de vie complet du projet GNL-Québec à l’échelle du Canada (7,8 millions de tonnes de CO2) plutôt que celui des émissions de GES du projet à l’échelle du Québec, comme l’aurait souhaité le plaignant.
Grief 2 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (Guide, article 9)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans le passage suivant : « Le gouvernement caquiste a vanté un des projets les plus polluants du Québec, GNL-Québec, le jour de la présentation de son Plan vert, un plan censé réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa c du Guide.
Analyse
Eric W. Girard soutient que « le journaliste laisse clairement apparaître son point de vue » en affirmant que GNL-Québec est un des projets les plus polluants du Québec, et « ce point de vue est clairement contre GNL-Québec », précise-t-il. De leur côté, les mis en cause expliquent que l’affirmation selon laquelle GNL-Québec est « un des projets les plus polluants du Québec » est étayée par des données fiables provenant du registre des émissions de GES déclarées par les entreprises auprès du ministère québécois de l’Environnement ainsi que de plusieurs rapports du BAPE. Il ressort de ces documents officiels que le projet GNL-Québec serait bien l’un des plus polluants de la province. Par exemple, les sites industriels « les plus polluants » au Québec en termes d’émissions de GES étaient, en 2019, les raffineries Valero, à Lévis, et Suncor, à Montréal, avec respectivement 1,33 million et 1,14 million de tonnes de CO2. GNL-Québec aurait quant à lui émis six à sept fois plus de GES en une année.
L’affirmation selon laquelle GNL-Québec est un des projets les « plus polluants » du Québec peut paraître péjorative ou subjective aux yeux du plaignant, mais elle rapporte un fait objectif, s’appuyant sur des données probantes provenant d’études scientifiques et de documents officiels. Il ne s’agit donc pas d’un commentaire qui refléterait l’opinion défavorable des mis en cause au sujet de GNL-Québec. Lorsque le Conseil évalue un grief de partialité, il cherche des termes qui témoignent d’un parti pris en faveur d’un point de vue en particulier. Présenter l’analyse d’experts n’équivaut pas à prendre parti. C’est d’ailleurs ce qui est expliqué dans la décision D2017-10-118. Le Conseil avait fait valoir que pour retenir un grief de partialité, il faut « montrer [que les mis en cause ont] commenté les faits, en émettant une opinion », ce que les mis en cause n’ont pas fait dans le cas présent.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Éric W. Girard contre l’article de La Presse canadienne intitulé « Legault présente le Plan vert, et vante GNL-Québec », publié le 16 novembre 2020 sur le site web lesaffaires.com, concernant les griefs d’information inexacte et de partialité.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes :
Denis Couture
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier