Plaignant
Dominic Auger
Deux plaignants en appui
Mis en cause
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Dominic Auger et deux plaignants en appui déposent une plainte le 30 novembre 2020 au sujet de l’article « Covidiots dans un centre d’achats », publié par Le Journal de Montréal le 30 novembre 2020. Le plaignant déplore un titre partial.
CONTEXTE
En novembre 2020, le Québec se trouve en plein cœur de la deuxième vague de COVID-19. La campagne de vaccination n’est pas encore entamée. Le port du masque est obligatoire dans tous les endroits publics fermés de la province. Les contrevenants s’exposent à une amende allant de 400 $ à 6000 $.
L’article rapporte qu’une trentaine d’individus « dansaient et criaient à tue-tête, sans masque ni distanciation à la Place Rosemère », un centre commercial de la Rive-Nord de Montréal où de nombreux clients magasinaient leurs cadeaux de Noël. Filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, la scène montre les contrevenants refusant « de mettre les masques que leur tendaient poliment les policiers » qui sont intervenus rapidement.
Le reportage aborde aussi une situation semblable ayant eu lieu à Québec, où huit personnes « se sont présenté[e]s dans une épicerie de l’arrondissement de Limoilou sans leur couvre-visage, pour leur “action du jour” ».
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME FACTUEL
Journalisme factuel : « (1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte. (2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : Partialité dans le titre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec).
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent » (article 14.3 du Guide).
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier en employant le mot « covidiots » dans le titre : « Covidiots dans un centre d’achats ». Le journaliste qui a rédigé le corps l’article n’est pas mis en cause, parce que les titres et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de partialité, car il juge que le média a contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Dominic Auger soutient que le mot « covidiots » dans le titre « Covidiots dans un centre d’achats » est partial : « C’est un manque flagrant de respect envers la population. Traiter d’idiots des gens qui manifestent n’est pas le rôle d’une/d’un journaliste […] Je ne crois pas que les journalistes soient là pour influencer l’opinion publique. »
Le néologisme « covidiots » est apparu pendant la pandémie de COVID-19. Le terme est ce qu’on appelle un mot-valise, un mot qui fusionne d’autres mots. Il est formé des vocables « COVID », en référence à la maladie à coronavirus, et « idiot », une personne « dépourvue d’intelligence, de bon sens », selon le dictionnaire Le Larousse. Il s’agit d’un terme utilisé dans certains médias pendant la pandémie de COVID-19, pour désigner des personnes qui adoptent un comportement ne respectant pas les consignes de santé publique. D’ailleurs, le 23 mars 2020, le Courrier international consacre un article à ce nouveau mot, intitulé « Le mot du jour. “Covidiot” fait son entrée dans l’Urban Dictionary » : « Comment, en ces temps de pandémie et de confinement, qualifier les plus irresponsables d’entre nous qui font courir des risques aux autres? Les Anglo-Saxons n’ont pas cherché très loin et ont contracté “COVID-19” (la maladie induite par le nouveau coronavirus) et “idiot” pour donner naissance à “Covidiot”. Le Cambridge Dictionary définit un « covidiot » comme « quelqu’un qui se comporte de manière stupide qui risque de répandre la maladie infectieuse COVID-19 » (“someone who behaves in a stupid way that risks spreading the infectious disease COVID-19”).
Parce qu’il comprend le mot « idiots », le terme « covidiots » est connoté. Qualifier des personnes d’idiotes est en effet une question de point de vue, puisque certains considèrent comme idiots des gens que d’autres ne considèrent pas comme idiots. Il s’agit d’un qualificatif subjectif. C’est pourquoi Le Journal de Montréal a fait preuve de partialité en nommant les contrevenants aux mesures sanitaires à la Place Rosemère de « covidiots » dans le titre de l’article. Ce mot exprime un jugement de valeur selon lequel les gens qui ne respectent pas les mesures sanitaires sont dépourvus d’intelligence. Bien que plusieurs puissent le penser, il ne revient pas au média de présenter son point de vue dans un reportage factuel.
Dominic Auger indique que s’il « dépose une plainte, c’est que c’est rendu courant que le groupe Québecor utilise ce terme ». Il est important de spécifier ici que ce n’est pas parce que ce mot est connoté qu’il ne peut pas être utilisé par les médias. Le terme « covidiots » pourrait être rapporté, par exemple, entre guillemets s’il est utilisé par un intervenant cité dans le même article, afin qu’il soit clair pour le lecteur que l’emploi du mot représente l’opinion de la personne interviewée.
Dans le cas présent, cependant, les experts en droit qui se prononcent dans l’article en cause critiquent le comportement d’individus allant à l’encontre des mesures sanitaires. Ils y voient de « l’égoïsme », de « l’affrontement » et de « l’imbécillité organisée ». Ils n’utilisent pas le mot « covidiots ». C’est le média lui-même qui a choisi ce terme pour qualifier les personnes visées.
Par ailleurs, « covidiots » pourrait légitimement être utilisé dans une chronique, puisque les journalistes d’opinion disposent d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour exprimer leur point de vue.
Cependant, l’article en cause n’est pas une chronique d’opinion, mais un reportage factuel. Le média devait donc être impartial dans son titre pour faire état de ce rassemblement. L’article, pour sa part, comprend plusieurs termes neutres pour désigner les personnes prenant part au rassemblement, comme « antimasques » ou « participants ».
Le Conseil retient un grief de partialité lorsqu’un média emploie des termes qui témoignent d’un parti pris. Par exemple, dans le dossier D2020-11-156, le grief de titre partial a été retenu, parce qu’il a jugé que le mot « imbécile » n’était soutenu par aucun élément de faits au sujet de l’intelligence de la personne. Le Conseil a constaté que « ce mot exprime un jugement négatif sur la personne qui a posé le geste, alors qu’il y avait peu d’informations concernant l’instigateur de la fausse prise d’otages au moment où l’article a été publié. Le mot “imbécile” n’est pas impartial : il s’agit d’une qualification subjective de cette personne, qui témoigne d’un point de vue du média […] D’ailleurs, le corps de l’article ne contient aucune information concernant l’intelligence de l’auteur de l’appel, son raisonnement ou ses motivations. On ne laisse pas entendre que c’est un “imbécile” ».
De la même manière, dans le cas présent, le mot « covidiots » témoigne d’un point de vue de la part du média concernant les participants au rassemblement. Bien que le titre d’un article factuel puisse être accrocheur et coloré, il doit demeurer impartial et ne doit pas véhiculer de jugement de valeur.
Note Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Dominic Auger et de deux plaignants en appui contre l’article « Covidiots dans un centre d’achats » et blâme Le Journal de Montréal concernant le grief de titre partial.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau