Plaignant
Yves Deslauriers
Mis en cause
Daniel Sucar, journaliste
L’hebdomadaire Métro LaSalle
Métro Média
Résumé de la plainte
Yves Deslauriers dépose une plainte le 8 décembre 2020 au sujet de l’article « Restaurant owners call out language police » du journaliste Daniel Sucar publié dans l’hebdomadaire Métro LaSalle, le 11 novembre 2020. Le plaignant déplore de la partialité, un manque d’équilibre, des informations incomplètes et un correctif insuffisant.
CONTEXTE
L’article rapporte le mécontentement de la propriétaire de la Crémerie Think Sunshine, située dans l’arrondissement LaSalle, et du copropriétaire du restaurant de la chaîne Kitchen 73 située à Rivière-des-Prairies concernant la visite d’inspecteurs de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dans leur établissement, à la suite de plaintes. L’un des restaurateurs déplore ces inspections alors que l’industrie de la restauration fait déjà face aux exigences sanitaires liées à la pandémie de COVID-19. L’article fait également état d’une pétition demandant l’abolition de l’OQLF qui a recueilli 16 000 signatures.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ». (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Language police
Le Conseil doit déterminer si l’expression « police de la langue » (« language police ») utilisée dans le titre et les passages suivants témoignent d’un parti pris des mis en cause en faveur d’un point de vue en particulier :
- « Des propriétaires de restaurant critiquent la police de la langue » (« Restaurant owners call out language police »);
- « Maintenant, une pétition pour abolir la police de la langue circule en ligne » (« Now, a petition to abolish the language police is making its rounds online »);
- « Ce n’est pas la première fois que Kitchen 73 a maille à partir avec la police de la langue » (« This isn’t the first time Kitchen 73 has sparred with the language police »);
- « La police de la langue n’a pas répondu à une demande d’entrevue » (« The language police did not respond to an interview request »).
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le plaignant considère que l’expression « police de la langue » (« language police ») « dénote une partialité et un parti pris évident en défaveur de l’organisme et du mandat de celui-ci ». Il affirme qu’il « est de connaissance d’usage que cette dénomination est reprise par les détracteurs de l’Office ». Dans ce contexte, le fait que le journaliste utilise cette expression « dénote un mépris évident pour cet organisme gouvernemental et teinte fortement le contenu de l’article », selon lui.
Le journaliste indique que l’expression « police de la langue » « était [sa] façon de présenter succinctement les responsabilités de l’Office ». (« It was my way of succinctly presenting the responsibilities of the office ») Il note qu’il s’agit également d’une expression familière pour les anglophones et qu’elle est utilisée couramment par les médias de langue anglaise.
Pour appuyer cette affirmation, le journaliste met en preuve des articles publiés par CBC News, CTV News et Montreal Gazette dans lesquels on fait référence à l’OQLF en utilisant l’expression « police de la langue ».
Tout en tenant compte des diverses interprétations possibles associées à la notion de « police », il convient d’étudier d’abord la définition anglaise du mot. Le dictionnaire Merriam-Webster définit le mot « police » ainsi : « Branche du gouvernement principalement soucieux du maintien de l’ordre public, de la sécurité et la santé et l’application des lois et possédant des pouvoirs exécutifs, judiciaires et législatifs » (« the department of government concerned primarily with maintenance of public order, safety, and health and enforcement of laws and possessing executive, judicial, and legislative powers ».
Comme en témoigne cette définition, le terme « police » n’est pas porteur d’une connotation négative.
Bien que certains puissent avoir une perception négative de l’expression « police de la langue », d’autres peuvent la voir de façon positive ou neutre. L’expression ne véhicule pas, en soi, de jugement de valeur. Par ailleurs, l’une des missions de l’OQLF décrites sur son site Internet qui est « d’assurer le respect de la Charte de la langue française, agissant d’office ou à la suite de la réception de plaintes ». La loi précise également que « lorsque la situation n’est pas corrigée à la suite de ses interventions, l’Office peut transmettre le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales. » L’expression « police de la langue » pouvait donc être utilisée sans partialité, simplement pour illustrer la mission de l’OQLF.
Il arrive que des personnes interprètent différemment la portée d’un même mot. Le Conseil a déjà dû se pencher sur les définitions qui visaient l’expression « main tendue » dans le dossier D2019-04-065. Dans ce cas, l’expression visée par la plainte était utilisée dans un reportage de TVA Nouvelles faisant état d’un litige entre Québecor et Bell. Bien que le plaignant considérait que le journaliste faisait preuve de partialité en faveur de Québecor en affirmant : « Au palais de justice de Montréal, Bell a refusé la main tendue de Québecor » et ajoutait « un porte-parole de Bell s’est contenté d’une courte déclaration pour expliquer le refus d’accepter la main tendue de Québecor. » La décision fait valoir : « À la lumière des diverses définitions de “main tendue”, telles que “politique de collaboration avec l’adversaire de la veille” (…), le Conseil ne voit pas de faute déontologique dans l’utilisation de cette expression. »
Pareillement dans le présent cas, l’expression « police de la langue » ne témoigne pas d’un parti pris à l’encontre de l’Office québécois de la langue française. Elle illustre le travail des inspecteurs de l’OQLF qui s’assurent de l’application de la Charte de la langue française, une loi qui a pour but d’assurer la qualité et le rayonnement du français au Québec.
1.2 Language war
Le Conseil doit déterminer si l’expression « guerre des langues » (« language war ») utilisée dans le passage suivant témoigne d’un parti pris du journaliste en faveur d’un point de vue particulier : « Depuis un mois, une guerre des langues se prépare entre l’Office québécois de la langue française (OQLF) et certains restaurants indépendants de Montréal » (« For the past month, a language war has been brewing between the Office québécois de la langue française (OQLF) and some of Montreal’s independently-owned restaurants »).
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le plaignant considère que l’expression « guerre des langues » (« language war ») témoigne d’un « parti pris en faveur d’un point de vue en particulier ». Cependant, il ne précise pas quel parti pris afficherait le journaliste, tout comme dans la décision D2020-06-085, où le Conseil a rejeté le grief de partialité visant l’utilisation du mot « meurtre ».
La définition suivante du dictionnaire Merriam-Webster démontre que le mot « guerre » (« war ») n’est pas connoté : « Une situation dans laquelle des personnes ou des groupes se font concurrence ou se battent les uns contre les autres » (« a situation in which people or groups compete with or fight against each other »). Ce terme est fréquemment utilisé pour décrire objectivement des situations conflictuelles, comme dans l’expression « guerre commerciale », par exemple. Il ne témoigne pas d’une prise de position en faveur de l’une ou l’autre des parties impliquées dans cette guerre.
Grief 2 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué d’équilibre dans son article.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Analyse
Le plaignant affirme que l’article présente « uniquement le point de vue de deux commerçants visités par l’Office ». Il considère que « le lecteur n’est pas informé convenablement de ce qu’est l’Office et ses mandats confiés par l’État ». Il précise qu’« un article équilibré requiert que le journaliste explique qui sont les parties en présence afin de cerner adéquatement le sujet pour le lecteur ».
L’Office étant directement visé dans ce reportage, le journaliste se devait de tenter d’obtenir son point de vue de la situation. Le journaliste affirme qu’il a effectivement tenté de joindre l’OQLF. « J’ai appelé leur numéro plusieurs fois, en plus de laisser un courriel détaillé. Finalement, je n’ai pas reçu de réponse à ma demande d’entrevue avant mon heure de tombée. » (« I attempted to contact the office. I had called their number several times, as well as left a detailed email. In the end, I did not receive a response to my interview request before my deadline. »)
N’ayant pas réussi à joindre l’OQLF, le journaliste a écrit, dans son reportage : « La police de la langue n’a pas répondu à une demande d’entrevue, mais dans une déclaration, elle dit être “pleinement consciente du contexte de la COVID-19 et met tout en œuvre pour minimiser l’impact sur ses clients” ». (« The language police did not respond to an interview request but, in a statement, said it is « fully aware of the context of COVID-19 and makes every effort to minimize the impact on its clients” ».) Ce passage comprend une citation de l’organisme en réponse à la situation vécue par l’un des deux commerçants intervenant dans l’article en cause, rapportée dans un article du Métro Rivière-des-Prairies, paru trois semaines plus tôt.
Ce n’est qu’après la publication de l’article que le journaliste a été informé qu’il n’avait pas contacté le service responsable des relations avec les médias, mais le numéro général de l’OQLF. Une fois au fait de cette méprise, le journaliste a apporté une précision au texte publié en ligne et a rédigé un article de suivi, publié dans l’édition suivante de l’hebdomadaire, rapportant le point de vue de l’OQLF concernant les dossiers des restaurateurs, dont il était question dans l’article visé par la plainte.
Les journalistes doivent déployer des efforts raisonnables pour rendre au lectorat une information équilibrée. En ce sens, le journaliste Daniel Sucar a tenté de contacter l’OQLF pour obtenir la réaction de l’organisme. N’ayant pas reçu de réponse, il a tout de même inclus dans l’article une citation de l’organisme. Même si la place accordée aux propos de l’OQLF n’était pas aussi importante que celle accordée aux commerçants, le journaliste a fait preuve d’équilibre en présentant la perspective des parties en présence dans son reportage, comme ce fut le cas dans le dossier D2018-07-078. Dans cette décision antérieure, le reportage visé mettait en lumière les problèmes causés par l’itinérance dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. Cet article exposait, tout comme dans le présent dossier, les vicissitudes de certains commerçants. Le Conseil avait statué que tant le point de vue des commerçants mécontents que celui des itinérants avaient été présentés dans le respect du principe d’équilibre.
Il est important de souligner que l’équilibre des points de vue « ne se mesure pas au nombre de lignes accordées à un point de vue », comme le stipule le Conseil dans la décision antérieure D2015-08-020. Dans cette décision, la plaignante estimait que l’article « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » manquait d’équilibre parce que « le point de vue du conseil de bande est résumé en une phrase », alors que le reste de l’article présentait la position des opposants à la mise en application du règlement. Pareillement dans le présent dossier, le Conseil a jugé que même en étant minimale, la présentation du point de vue de l’OQLF dans l’article était suffisante.
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
3.1 Demande d’entrevue
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet concernant la demande d’entrevue à l’OQLF.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Dans son article, le journaliste rapporte les propos de deux commerçants insatisfaits du traitement de l’OQLF à l’égard de leur entreprise, soit les commerces Think Sunshine et Kitchen 73, respectivement situés à LaSalle et à Rivière-des-Prairies. Le journaliste a tenté de rejoindre l’OQLF, mais n’a pas obtenu de réponse. Il a donc précisé à la fin de son article qu’il n’a pas reçu de réponse à sa demande d’entrevue.
Le plaignant déplore qu’il soit impossible « de savoir si la demande d’entrevue auprès de l’OQLF […] a été demandée par le journaliste, M. Sucar, en lien avec la situation à LaSalle ou par rapport à la situation à Rivière-des-Prairies ».
Pour évaluer s’il y a eu incomplétude, il faut déterminer si le journaliste devait mentionner « si la demande d’entrevue auprès de l’OQLF […] a été demandée par le journaliste, M. Sucar, en lien avec la situation à LaSalle ou par rapport à la situation à Rivière-des-Prairies », c’est-à-dire si cette information était essentielle à la compréhension du sujet du reportage. À cet effet, le plaignant n’a présenté aucun argument sur la nécessité de cette information pour la bonne compréhension de l’article.
De surcroît, tout comme dans la décision D2017-11-130, où la plaignante aurait souhaité que l’article présente les raisons de la réintégration au travail d’une infirmière, l’information souhaitée par le plaignant n’est pas essentielle à la bonne compréhension de l’article.
3.2 Déclaration de l’OQLF
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet concernant la déclaration de l’OQLF.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Le plaignant reproche au journaliste de ne pas attribuer spécifiquement la citation de l’OQLF ni de la situer dans le temps. « Il n’est pas, non plus, indiqué de qui émane la déclaration entre guillemets à ce paragraphe et si elle a été formulée en lien avec l’article du 11 novembre », déplore M. Deslauriers dans sa plainte.
Le plaignant vise le passage suivant de l’article : « La police de la langue n’a pas répondu à une demande d’entrevue, mais dans une déclaration, elle dit être “pleinement consciente du contexte de la COVID-19 et met tout en œuvre pour minimiser l’impact sur ses clients” ». (« The language police did not respond to an interview request but, in a statement, said it is « fully aware of the context of COVID-19 and makes every effort to minimize the impact on its clients” »)
Pour évaluer s’il y a eu incomplétude, il faut déterminer si le journaliste devait attribuer spécifiquement la citation provenant de l’OQLF à une personne en particulier au sein de l’organisme, c’est-à-dire si cette information était essentielle à la compréhension du sujet du reportage. À cet effet, le plaignant n’a présenté aucun argument sur la nécessité de cette information pour la bonne compréhension de l’article.
L’information souhaitée par le plaignant n’est pas essentielle à la bonne compréhension de l’article, tout comme dans la décision D2020-04-064, où une plaignante déplorait qu’une précision sur la spécialisation d’une professeure d’université ne soit pas mentionnée dans le reportage. Dans le cas présent, l’article précise que la citation émane de l’OQLF. Bien qu’il aurait été pertinent de préciser que la citation avait d’abord été rapportée dans un article du Métro Rivière-des-Prairies, paru trois semaines plus tôt, il n’était pas essentiel à la compréhension du sujet d’être plus précis dans son attribution. Cette phrase était en lien avec les cas évoqués dans l’article en cause puisqu’il s’agissait d’une réaction à la situation vécue par le copropriétaire du restaurant Kitchen 73.
Grief 4 : correctif insuffisant
Principe déontologique applicable
Guide, art. 27.1 – Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a corrigé avec diligence l’information concernant la demande d’entrevue à l’OQLF dans la version papier.
Décision
Le Conseil rejette le grief de correctif insuffisant.
Analyse
Le plaignant déplore que la précision concernant la demande d’entrevue à l’OQLF ait été uniquement publiée dans la version en ligne de l’article et qu’il n’y ait pas de mention dans l’édition papier de l’hebdomadaire.
La précision ajoutée à l’article disponible en ligne indique : « Une version antérieure de cet article indiquait que l’OQLF n’avait pas répondu à une demande d’entrevue. Dans les faits, la demande avait été envoyée inadéquatement ».
Considérant qu’aucun manquement déontologique n’a été retenu dans ce dossier, le média n’avait pas à apporter de correctif, ni dans la version papier ni en ligne.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Yves Deslauriers contre l’article « Restaurant owners call out language police » du journaliste Daniel Sucar publié dans l’hebdomadaire Métro LaSalle, le 11 novembre 2020 concernant les griefs de partialité, de manque d’équilibre, d’informations incomplètes et de correctif insuffisant.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau