Plaignant
Huguette Duroux Crétier
(par l’entremise du cabinet d’avocats Séguin Racine Avocats)
Mis en cause
Le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Huguette Duroux Crétier dépose une plainte le 18 décembre 2020 au sujet de la photo accompagnant l’article « Où le patron de Garda paie-t-il ses impôts? » publié sur le site Internet du Journal de Montréal, le 5 décembre 2020. La plaignante déplore un non-respect de la vie privée.
CONTEXTE
La photo visée par la plainte accompagne l’article intitulé « Où le patron de Garda paie-t-il ses impôts? » qui met de l’avant le fait que le patron de GardaWorld, Stéphan Crétier, a sollicité l’aide financière de la Caisse de dépôt et placement pour financer l’acquisition d’une société de sécurité britannique, alors qu’il avait refusé de préciser si sa résidence principale se trouve au Québec ou à Dubaï. L’article explique que « les règles fiscales exigent que les revenus personnels d’un individu soient déclarés dans le pays de sa résidence principale ».
L’article rapporte que M. Crétier aurait utilisé à des fins personnelles une résidence de Laval, dont il avait cédé la propriété. La photo mise en cause montre la façade de cette maison et le nom des rues qui forment l’intersection où elle se trouve. La légende sous la photo indique : « Cette maison de Laval a été utilisée par Stéphan Crétier lors de ses passages au Québec, selon ses propres affirmations dans une procédure judiciaire de 2013. »
Analyse
GRIEF DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : non-respect de la vie privée
Principes déontologiques applicables
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide )
Le Conseil doit déterminer si la photo de la résidence manque de respect à la vie privée de ses occupants. Le journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mis en cause, parce que le choix des photos et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de non-respect de la vie privée.
Analyse
La plaignante considère que la photo montrant une résidence associée à Stéphan Crétier, patron de GardaWorld, ainsi que l’intersection où elle se situe est une atteinte au droit à la vie privée et à « la sauvegarde de [l]a sécurité » de la personne qui habite cette maison. Selon elle, « c’est une chose de prendre une photo de la propriété en l’associant à un milliardaire ou une personnalité publique, c’en est une autre, clairement condamnable, d’indiquer l’adresse précise de cette propriété.
Comme on peut le voir à la photo publiée par Le Journal de Montréal, on montre aux lecteurs non seulement la propriété, mais on leur précise aussi très exactement l’endroit où se situe cette maison. Les noms de rues à l’intersection desquelles se trouve la maison sont en effet bien en évidence sur la photo. »
Lors de l’analyse d’un grief de manque de respect de la vie privée et de la dignité, il faut d’abord déterminer si la personne est identifiable aux yeux du public. Si elle l’est, il faut ensuite évaluer quels sont les éléments de sa vie privée qui sont présentés dans le reportage. Finalement, il faut déterminer si le média pouvait privilégier le droit du public à l’information parce que ces éléments étaient d’intérêt public dans le contexte du reportage.
Pour qu’une personne soit identifiable par le grand public, il faut certains éléments, ou une combinaison d’éléments, qui l’identifient. Cela pourrait être, par exemple, son nom, son prénom et son âge, une photo en gros plan de son visage découvert, sa voix, sa profession et son lieu de travail, son adresse résidentielle, ou d’autres éléments qui, seuls ou combinés, lui sont propres et l’identifient.
Il faut préciser que le Conseil n’analyse pas ici s’il y a eu un manque de respect à la vie privée de Stéphan Crétier, le patron de GardaWorld dont il est question dans l’article. La plaignante allègue que la vie privée d’une personne qui habite dans la maison de Laval n’a pas été respectée. Or, aucune information n’est transmise dans l’article au sujet de l’occupant de cette résidence.
En effet, l’article et la photo n’indiquent pas qui habite la maison, dont on voit la façade et le nom des rues formant l’intersection où elle se situe. L’article et la légende mentionnent qu’il s’agit d’une résidence associée à Stéphan Crétier, dont il est question dans l’article, mais ni l’un ni l’autre ne donnent d’indications sur le ou les occupants actuels de cette maison. En l’absence d’informations permettant d’identifier un quelconque résident de cette demeure, il ne peut y avoir de manque de respect à sa vie privée.
Le Conseil a déjà rejeté le grief de non-respect de la vie privée et de la dignité parce que les personnes visées n’étaient pas identifiables. Dans la décision antérieure D2020-03-048. Dans ce dossier, le Conseil devait déterminer si des photos de gens masqués constituaient un manque de respect à la vie privée de ces personnes. Le Conseil a jugé que « les personnes photographiées ne sont pas identifiables pour le grand public, car ces images ne permettent pas à elles seules d’identifier un individu en particulier ».
De la même manière, dans le cas présent, aucune information présente dans la photo ou dans l’article ne permet d’identifier les résidents actuels de cette maison. La publication de cette photo ne constitue pas un manque de respect à la vie privée des occupants de cette résidence, dont on ne connaît pas l’identité.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Huguette Duroux Crétier qui vise la photo accompagnant l’article « Où le patron de Garda paie-t-il ses impôts? » publié sur le site Internet du Journal de Montréal, le 5 décembre 2020, concernant le grief de non-respect de la vie privée.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes :
Denis Couture
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier