Plaignant
Johanne Heppell
Mis en cause
Le Journal de Québec
Québecor Média
Résumé de la plainte
Johanne Heppell dépose une plainte le 16 février 2021 au sujet de l’article « Arrestation à L’Ancienne-Lorette : soupçonné de menacer la sécurité nationale » publié dans le quotidien Le Journal de Québec le 12 février 2021. La plaignante déplore une retouche injustifiée d’une photographie et de l’information incomplète.
CONTEXTE
L’article rapporte que Karl Maheux, « l’homme de L’Ancienne-Lorette arrêté par la GRC [le 5 février 2021] en possession d’un arsenal de guerre, dont des bombes artisanales, serait un complotiste qui préparait un coup d’éclat contre les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement » pour lutter contre la pandémie de COVID-19. L’article brosse le portrait de cet homme, mentionnant qu’il est un analyste en informatique au ministère de l’Éducation et qu’il « serait aussi soupçonné d’être un “Freeman o[n] the land” [, un de] ces “citoyens souverains” [qui] refusent de se soumettre aux lois d’un État. » La photo du visage de Karl Maheux qui accompagne l’article fait l’objet de la présente plainte.
Analyse
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : retouche injustifiée d’une photographie
Principes déontologiques applicables
Retouches et archives : « (1) Les journalistes et les médias d’information n’apportent pas de modifications aux photographies ou au matériel vidéo qu’ils diffusent, si ces modifications changent le sens des événements auxquels ils se rapportent. » (article 14.4 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec).
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent » (article 14.3 du Guide).
Le Conseil doit déterminer si Le Journal de Québec a modifié la photo de Karl Maheux. Si tel est le cas, il doit évaluer si la modification change le sens des événements auxquels la photo se rattache. Les journalistes qui ont rédigé l’article ne sont pas mis en cause, parce que les photographies et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de retouche injustifiée d’une photographie.
Analyse
La photographie de Karl Maheux qui apparaît dans l’article est une photo ronde de son visage, sous laquelle il est indiqué : « capture d’écran ». On n’y voit à peine le cou et le début de son chandail.
Selon la plaignante, Karl Maheux se serait affiché, notamment, comme un fan de Radio X sur le réseau social Facebook et sa photo de profil portait la mention « Je suis Radio X ». La plaignante affirme : « La photo utilisée par Le Journal de Québec est la même, sauf qu’elle a été modifiée. On a enlevé la bannière “Je suis Radio X” pour ne conserver que le centre de la photo ».
Cette « bannière » sur la photo de Karl Maheux est ce que Facebook appelle un « décor ». Il s’agit d’un cadre ou d’un élément graphique que Facebook permet d’ajouter à une photo de profil. Certains ajoutent un tel élément graphique pour soutenir une cause ou une organisation, par exemple.
On peut ajouter ce « décor » à la photo originale et l’enlever à sa guise ou le remplacer par un autre « décor ». Cet élément graphique ne fait pas partie intégrante de la photo.
Comme le principe déontologique relatif aux retouches photographiques l’indique, on ne peut pas modifier une photo de façon à en changer le sens. Il s’agit d’une règle de base du photojournalisme : une photo ne peut pas être manipulée, c’est-à-dire retouchée de façon à ce qu’elle ne montre pas la vérité.
Le recadrage d’une photo n’est pas considéré comme une retouche ou une modification. Dans le cas présent, en comparant la photo soumise par la plaignante, qui était accompagnée du décor « Je suis Radio X », à celle publiée, on constate que seul le visage de Karl Maheux est publié dans le journal. On y voit à peine le cou et le début de son chandail. Il est possible que le média ait recadré la photo, ou qu’il ait utilisé une photo originale qui n’avait pas de mention « Je suis Radio X ». Quoi qu’il en soit, recadrer une photo ne représente pas un manquement de la part du média. Il n’existe pas de principe déontologique qui stipule qu’un média ne peut pas recadrer une photo, un procédé qui est d’ailleurs courant. À titre d’exemple de ce procédé de recadrage largement accepté en photographie de presse, mentionnons l’historien de la photographie et professeur Vincent Lavoie qui explique dans un article portant sur l’étude de divers codes de déontologie relatifs à la photo de presse : « La crédibilité du domaine sera en effet sauve si les seules manipulations informatiques autorisées sont celles que l’on accepte déjà dans le domaine de la photographie analogique : correction des tonalités et des coloris, restauration d’une ligne ou d’une forme, élimination de la poussière, recadrage […] Il est ainsi permis de supprimer un élément de l’image en recadrant la scène, mais proscrit d’éliminer ce même élément au moyen d’une application informatique. » 1
Le Journal de Québec, en recadrant la photo afin de l’utiliser sans le « décor », ne commet pas de faute déontologique. Au contraire, il s’assure que la photo reflète l’information rapportée, puisqu’il n’est pas question de la station Radio X dans l’article ni d’un quelconque lien entre Karl Maheux et cette station.
1 Référence : Lavoie, Vincent (2010). La rectitude photojournalistique : codes de déontologie, éthique et définition morale de l’image de presse. Études photographiques, (26). https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3123.
Grief 2 : information incomplète
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes :
Complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent » (article 14.3 du Guide).
Le Conseil doit déterminer si le média a omis de présenter une information essentielle à la bonne compréhension du sujet en publiant la photo de Karl Maheux sans le décor « Je suis Radio X ». Les journalistes qui ont rédigé l’article ne sont pas mis en cause, parce que les photographies et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
La plaignante aurait souhaité que le décor « Je suis Radio X » apparaisse sur la photo de Karl Maheux, afin de montrer son adhésion à cette radio, ainsi que « l’influence potentiellement néfaste de Radio X sur Karl Maheux, et […] sur la population de Québec, particulièrement en temps de pandémie. »
Le grief d’information incomplète concerne une photographie accompagnant l’article, ce qui est inhabituel dans les dossiers soumis au Conseil. L’étude de cette plainte se fait, cependant, de la même manière que s’il s’agissait d’un article, il s’agit d’évaluer si l’information souhaitée par la plaignante était essentielle à la compréhension du sujet, donc, dans ce cas, de déterminer si le décor « Je suis Radio X », sur la photo que Karl Maheux aurait mis sur Facebook, était essentiel à la compréhension du sujet de l’article. L’angle choisi par les journalistes était de faire état de l’intention de Karl Maheux de perpétrer un coup d’éclat contre les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement. Nulle part, dans l’article, il n’est question de Radio X et d’un quelconque lien entre cette station de radio et le projet de Karl Maheux.
En matière d’incomplétude, de nombreuses décisions du Conseil mentionnent que « la déontologie n’impose pas aux journalistes d’aborder tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. »
Par exemple, dans le dossier D2020-02-014, le Conseil a estimé que le journaliste « Michael Nguyen n’avait pas l’obligation déontologique de préciser si les armes étaient enregistrées et si [les] deux frères détenaient un PPA ou non, puisque ces informations “ne sont pas essentielles à la compréhension du sujet” et que l’angle de l’article “porte sur la découverte d’une cache d’armes à feu lors d’une perquisition pour cybercriminalité”. »
Pareillement, dans le cas présent, puisque l’article portait sur le fait que Karl Maheux, « l’homme de L’Ancienne-Lorette arrêté par la GRC en possession d’un arsenal de guerre […] serait un complotiste qui préparait un coup d’éclat contre les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement », il était justifié de présenter une photo du visage de Karl Maheux, mais il n’était pas essentiel à la compréhension du sujet de savoir qu’il manifestait son appui à la station Radio X sur son profil Facebook. Au contraire, cette information risquait de nuire à la compréhension de l’article et d’induire le lecteur en erreur si elle y avait figuré.
Note Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Johanne Heppell visant l’article « Arrestation à L’Ancienne-Lorette : soupçonné de menacer la sécurité nationale » et Le Journal de Québec concernant les griefs de retouche injustifiée d’une photographie et d’information incomplète.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentantes des journalistes :
Madeleine Roy
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse :
Maxime Bertrand
Éric Grenier