Plaignant
Jacques Langevin
Mis en cause
Mario Dumont, chroniqueur
Émission « Le Québec matin »
LCN
Groupe TVA
Québecor Média
Résumé de la plainte
Jacques Langevin dépose une plainte le 2 mars 2021 concernant une chronique présentée par Mario Dumont lors d’un segment de l’émission « Le Québec matin » et diffusée à l’antenne de la chaîne de télévision LCN le 17 février 2021. Le plaignant déplore des images inadéquates et de l’information incomplète.
CONTEXTE
Dans la chronique mise en cause, Mario Dumont s’exprime au sujet du projet de loi C-21 visant à resserrer le contrôle des armes à feu, déposé en première lecture à la Chambre des communes la veille, le 16 février 2021. Ce projet de loi comporte plusieurs dispositions, dont celle obligeant les propriétaires d’armes à feu prohibées le 1er mai 2020 à les entreposer s’ils choisissent de ne pas participer au programme de rachat.
Lors de l’émission diffusée en direct, l’animateur Jean-François Guérin demande à Mario Dumont si « le gouvernement Trudeau a trahi les groupes favorables au contrôle des armes à feu ». Le chroniqueur répond que « les réactions extrêmement négatives au projet de loi lui apparaissent exagérées ». Il présente quelques volets du projet, dont celui des armes d’assaut et il mentionne qu’« il y en a 1500 modèles et sous-modèles qui sont devenus interdits ».
Mario Dumont compare ensuite le programme canadien de rachat volontaire des armes prohibées avec la situation en Nouvelle-Zélande où le rachat obligatoire a été essayé, mais où « les 2/3 des gens passent en dessous du radar […] Le gouvernement [canadien] pense qu’il va aller chercher une plus grande inscription ». Selon Mario Dumont, « le monde honnête va s’inscrire auprès du gouvernement, mais les gens qui ont de mauvaises intentions vont se foutre du gouvernement. »
Des extraits vidéo montrant des armes à feu apparaissent à l’écran durant ce segment de l’émission.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : images inadéquates
Principe déontologique applicable
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide).
Le Conseil doit déterminer si les images diffusées durant la chronique reflètent l’information à laquelle elles se rattachent. Comme le choix des images relève du média, le chroniqueur n’est pas mis en cause.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’images inadéquates.
Analyse
La plainte vise une succession de courts extraits vidéo montrant des armes à feu automatiques tirant en « mode rafale » (sans interruption). On voit à l’écran: 1) une personne qui tire avec une arme en « mode rafale » sur laquelle on peut lire M&P 15; 2) une personne qui montre la crosse d’une arme ; 3) une personne qui tire avec une arme M&P 15 plusieurs cartouches dans ce qui semble être un champ de tir extérieur ; 3) une arme, dans un magasin d’armes, sur laquelle on peut lire DPMS et portant une étiquette de vente.
Selon le plaignant, les images d’armes présentées à l’écran « constituent de la désinformation » puisqu’elles sont « déjà prohibées au Canada depuis plusieurs années », ce qui « laisse croire que tout citoyen canadien peut posséder de telles armes ». Le plaignant fait mention d’« un dispositif prohibé « bump fire » […] qui, installé sur la crosse d’une carabine semi-automatique AR-15, permet le tir en rafale […] et [d’] un fusil d’assaut M4 qui tirait en rafale […] ». Il mentionne que « les trois armes montrées étaient alimentées par des chargeurs contenant plus de cinq cartouches (30 cartouches) qui sont des dispositifs prohibés au Canada […]. »
L’analyse de ce grief doit se faire en prenant en considération l’ensemble de la chronique qui porte sur le projet de loi C-21. Durant son intervention, Mario Dumont fait référence aux « 1500 modèles et variantes d’armes à feu de style arme d’assaut » interdits par le gouvernement du Canada le 1er mai 2021 lorsqu’il affirme : « L’autre volet qui choque, ce sont les armes d’assaut, celles qu’on voit à l’écran. Il y en a 1500 modèles et sous-modèles qui sont devenus interdits. Il y a des gens qui en ont. Est-ce qu’on fait un rachat obligatoire? Où est-ce qu’on fait un rachat volontaire? »
Le Conseil a sollicité le spécialiste des armes et membre externe de la chaire Raoul-Dandurand, Francis Langlois, qui a confirmé que « le clip qui est présenté n’est pas adapté à la réalité canadienne pour plusieurs raisons :
Il montre en premier lieu un AR-15 de marque Smith & Wesson (modèle M&P 15) équipé d’un dispositif de type « bump stock ». Ce dispositif [qui] augmente de façon substantielle la cadence de tir d’une arme semi-automatique […] était déjà interdit/prohibé au Canada avant l’interdiction mise en place par le gouvernement de M. Trudeau après à la tuerie de Port-à-Pic ([18 avril] 2020).
On voit en second lieu un homme vider des chargeurs de 30 balles à l’aide de ce dispositif. Les chargeurs ne peuvent contenir plus de 5 projectiles au Canada.
En troisième lieu, le plaignant affirme que l’arme est un M4. Le M4 désigne la configuration de la plateforme AR-15 adoptée par l’armée US. Généralement, l’armée est approvisionnée par la compagnie Colt. Il est possible que la compagnie Smith & Wesson, qui produit le M&P 15 (Military & Police 15), fournisse également des armes à l’armée US. Ce modèle est disponible au Canada si le canon a une longueur minimale de 470 mm et une longueur totale minimale de 660 mm. [Ici], la taille du M&P 15 semble inférieure à ce qui est autorisé au Canada, potentiellement proche de celle du M4 de l’armée US. Difficile à dire… »
Francis Langlois mentionne que « le clip donne l’impression que l’interdiction de plus de 1500 modèles d’armes inclut de telles armes ». Il ajoute que les images semblent provenir des États-Unis et qu’elles « donnent une fausse impression de ce qui a été interdit par le gouvernement fédéral ».
Une recherche plus approfondie a permis de constater que les mêmes extraits vidéo ont été présentés dans des reportages diffusés aux États-Unis le 26 mars 2019. Ces reportages portaient sur l’interdiction de la crosse accélératrice (ou dispositif « bump-fire stock ») par le gouvernement américain.
Ces informations confirment que les armes montrées dans les extraits vidéo ne sont pas représentatives des armes prohibées au Canada le 1er mai 2020. Elles présentent des caractéristiques (crosse accélératrice, tir de plus de cinq cartouches), qui sont inappropriées au contexte canadien qui fait l’objet de la chronique, puisqu’elles étaient déjà prohibées le 1er mai 2020. Par conséquent, elles ne sont pas concernées par le programme de rachat du gouvernement du Canada proposé dans le projet de loi C-21.
Dans le dossier D2018-12-120, le Conseil a également constaté une image inadéquate d’armes dans le cadre d’un reportage sur le registre québécois des armes à feu. La photo d’arme de poing qui accompagnait l’article a « induit le public en erreur quant aux types d’armes qui doivent être immatriculées au nouveau registre québécois », peut-on lire dans la décision. De même ici, les armes automatiques américaines montrées à l’écran laissent croire qu’elles étaient permises au Canada jusqu’au 1er mai 2020, alors qu’elles étaient déjà prohibées.
Dans le contexte d’une intervention en direct, on ne peut pas toujours s’attendre à ce que les images montrées à l’écran se calquent précisément sur les propos auxquels elles se rapportent. Il peut parfois y avoir un décalage. Cependant, dans cette chronique, l’ensemble des images montrant des armes à feu tirant en mode rafale était inadéquat, puisque le sujet de la chronique était le projet de loi C-21 et le programme de rachat d’armes à feu prohibées le 1er mai 2020. Les images n’auraient donc pas dû montrer des armes à feu automatiques tirant en « mode rafale » qui n’étaient pas concernées par le programme de rachat. Choisir des images qui reflètent l’information dont il est question est essentiel puisque ces images ont une incidence sur la compréhension des informations rapportées.
Grief irrecevable : information incomplète
Le plaignant aurait aimé que Mario Dumont « attire l’attention du public sur le fait que ces armes sont déjà prohibées au Canada », mais il ne dit pas en quoi cette information était essentielle à la compréhension de la chronique. Cet aspect de sa plainte est irrecevable, le manquement n’étant pas précis (article 13.01 du Règlement No 2).
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de la chaîne LCN et du Groupe TVA, qui ne sont pas membres du Conseil de presse et n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Jacques Langevin et blâme LCN / Groupe TVA concernant le grief d’images inadéquates. Le grief d’information incomplète a été jugé irrecevable.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault