Plaignant
Guillaume Quintal
Mis en cause
Roxane Trudel et Camille Lalancette, journalistes
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Guillaume Quintal dépose une plainte le 15 mars 2021 au sujet de l’article intitulé « [EN IMAGES] 5000 opposants aux mesures sanitaires », signé par les journalistes Roxane Trudel et Camille Lalancette et publié sur le site Internet du Journal de Montréal, le 13 mars 2021. Le plaignant déplore de la partialité.
CONTEXTE
En mars 2021, le Québec traverse la troisième vague de COVID-19. Les rassemblements sont interdits en zone rouge et la population de certaines régions doit respecter un couvre-feu mis en place par le gouvernement du Québec.
L’article rapporte qu’une manifestation contre les mesures sanitaires a rassemblé 5000 personnes à Montréal, au premier anniversaire du confinement au Québec, le 13 mars 2021. On y fait état de personnes qui manifestaient : « Enfants avec des affiches “pas de masque au primaire”, adolescents regroupés entre amis, familles avec poussettes, personnes âgées, groupes conspirationnistes munis de drapeaux QAnon : il y en avait pour tous les goûts, masqués ou non. »
On apprend aussi que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a rapporté une dizaine d’arrestations, notamment en raison d’actes de violence envers les policiers. Les journalistes indiquent que « 144 constats d’infraction ont été remis en lien avec le port du masque ». L’article rapporte également qu’à la suite de l’événement, des manifestants ont bloqué le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME FACTUEL
Journalisme factuel : « (1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte. (2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les journalistes ont pris parti en faveur d’un point de vue particulier en employant le terme « covidiots » dans la phrase suivante : « Si la manifestation devait être pacifique, certains covidiots n’ont visiblement pas reçu le mémo et n’ont pas hésité à cracher leur haine et à insulter des policiers, cellulaire à la main ».
Décision
Le Conseil de presse retient à la majorité (5/6) le grief de partialité, car il juge que les journalistes ont contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Guillaume Quintal reproche aux journalistes d’avoir été partiales en employant le terme « covidiots » : « [Le] terme covidiot, en autre mot idiot, est utilisé pour insulter, dénigrer et intimider n’importe qui, qui n’est pas en accord avec les mesures prises par le gouvernement en matière de COVID ».
Le néologisme « covidiots » est apparu pendant la pandémie de COVID-19. Le terme est ce qu’on appelle un mot-valise, un mot qui fusionne d’autres mots.
Il est formé des vocables « COVID », en référence à la maladie à coronavirus, et « idiot », une personne « dépourvue d’intelligence, de bon sens », selon le dictionnaire Le Larousse. Il s’agit d’un terme utilisé dans certains médias pendant la pandémie de COVID-19, pour désigner des personnes qui adoptent un comportement ne respectant pas les consignes de santé publique. D’ailleurs, le 23 mars 2020, le Courrier international consacre un article à ce nouveau mot, intitulé « Le mot du jour. “Covidiot” fait son entrée dans l’Urban Dictionary » : « Comment, en ces temps de pandémie et de confinement, qualifier les plus irresponsables d’entre nous qui font courir des risques aux autres? Les Anglo-Saxons n’ont pas cherché très loin et ont contracté “COVID-19” (la maladie induite par le nouveau coronavirus) et “idiot” pour donner naissance à “Covidiot”. Le Cambridge Dictionary définit un « covidiot » comme « quelqu’un qui se comporte de manière stupide qui risque de répandre la maladie infectieuse COVID-19 » (“someone who behaves in a stupid way that risks spreading the infectious disease COVID-19”).
Parce qu’il comprend le mot « idiots », le terme « covidiots » est connoté. Qualifier des personnes d’idiotes est en effet une question de point de vue. Certains considéreront comme idiotes des personnes qui ne seraient pas considérées comme telles par d’autres. Il s’agit donc d’un qualificatif subjectif. C’est pourquoi les journalistes ont fait preuve de partialité en nommant certains participants à la manifestation du 13 mars 2021 de « covidiots ». Ce mot exprime un jugement de valeur selon lequel ces personnes sont dépourvues d’intelligence. Bien que plusieurs puissent le penser, il ne revient pas au média de présenter son point de vue dans un reportage factuel.
Il est important de spécifier ici que ce n’est pas parce que ce mot est connoté qu’il ne peut pas être utilisé par les médias. Le terme « covidiots » pourrait être rapporté, par exemple, entre guillemets s’il est utilisé par un intervenant cité dans le même article, afin qu’il soit clair pour le lecteur que l’emploi du mot représente l’opinion de la personne interviewée. Dans le cas présent, aucun intervenant cité dans le texte « [EN IMAGES] 5000 opposants aux mesures sanitaires » n’utilise le terme « covidiots ».
Par ailleurs, « covidiots » pourrait légitimement être utilisé dans une chronique, puisque les journalistes d’opinion disposent d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour exprimer leur point de vue.
Cependant, l’article en cause n’est pas une chronique d’opinion, mais un reportage factuel. Les journalistes devaient donc être impartiales dans leur couverture de la manifestation.
Roxane Trudel et Camille Lalancette emploient le mot « covidiots » pour identifier un sous-groupe de manifestants qui posaient des gestes potentiellement dangereux : « Si la manifestation devait être pacifique, certains covidiots n’ont visiblement pas reçu le mémo et n’ont pas hésité à cracher leur haine et à insulter des policiers, cellulaire à la main. » L’article indique que « quelques incidents rapportés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) font état de violence envers les autorités policières qui ont mené à une dizaine d’arrestations, pour entraves, possession d’arme et voies de fait ».
En raison de ces comportements répréhensibles, un membre exprime sa divergence et considère qu’il relève de la liberté éditoriale des journalistes de qualifier ce sous-groupe de manifestants de « covidiots ». Il réfère aux propos de la sociolinguiste et professeure à l’Université de Montréal, Julie Auger, qui soutient que « le mot covidiot notamment, répond au besoin de décrire un type de personne ou de comportement désapprouvés par une partie de la population » (source : article « La pandémie a-t-elle enrichi votre vocabulaire? » de Radio-Canada).
Pour les membres majoritaires, il n’en demeure pas moins que le terme est péjoratif et ne devrait pas être utilisé dans le cadre d’un article factuel. Bien que certains manifestants aient adopté des comportements plus radicaux et violents envers les policiers, les journalistes devaient s’en tenir aux faits en rapportant leurs gestes sans les qualifier de « covidiots ».
Le Conseil retient un grief de partialité lorsqu’un média emploie des termes qui témoignent d’un parti pris. Par exemple, dans le dossier D2020-11-156, le grief de titre partial a été retenu, parce que le Conseil a constaté que le mot « imbécile » n’était soutenu par aucun élément de faits au sujet de l’intelligence de la personne. Le Conseil a constaté que « ce mot exprime un jugement négatif sur la personne qui a posé le geste, alors qu’il y avait peu d’informations concernant l’instigateur de la fausse prise d’otages au moment où l’article a été publié. Le mot “imbécile” n’est pas impartial : il s’agit d’une qualification subjective de cette personne, qui témoigne d’un point de vue du média […] D’ailleurs, le corps de l’article ne contient aucune information concernant l’intelligence de l’auteur de l’appel, son raisonnement ou ses motivations. On ne laisse pas entendre que c’est un “imbécile” ».
De la même manière, dans le présent dossier, l’emploi du mot « covidiots » témoigne d’un parti pris de la part des journalistes en défaveur de certains participants à la manifestation, ce qui n’a pas sa place dans un article factuel.
Note Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (5/6) la plainte de Guillaume Quintal visant l’article « [EN IMAGES] 5000 opposants aux mesures sanitaires » et blâme les journalistes Roxane Trudel et Camille Lalancette et Le Journal de Montréal, concernant le grief de partialité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau