Plaignant
Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, représenté par
Me Lyne Monger, avocate, coordination professionnelle aux affaires juridiques
Mis en cause
Stéphanie Vallet, journaliste
Le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
Lyne Monger dépose une plainte au nom du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, le 31 mars 2021, au sujet de l’article « Négligence dans un centre de réadaptation de la DPJ de Baie-Comeau » de la journaliste Stéphanie Vallet, publié dans Le Devoir, le 25 mars 2021. La plaignante déplore des informations inexactes, un manque de fiabilité des informations transmises par les sources, la divulgation d’informations permettant d’identifier une personne mineure, et de la diffamation. Le grief de diffamation ne sera pas traité (voir « Grief non traité » à la fin de cette décision).
CONTEXTE
L’article du quotidien Le Devoir qui fait l’objet de cette plainte rapporte que les conditions d’accueil d’une quarantaine de jeunes sont inadéquates au Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu de Baie-Comeau, notamment dans les unités Odyssée et Escale. Ces dénonciations proviennent de quatre employés du Pavillon Richelieu qui ont requis l’anonymat, ainsi que de leur représentante syndicale nationale, Maude Fréchette.
Des intervenants cités dans l’article avancent que certains jeunes dorment sur des matelas placés directement par terre, qu’ils bénéficient d’une scolarisation à temps partiel seulement, que l’encadrement est mal adapté à leurs besoins, qu’une fillette de moins de 10 ans a été hébergée avec des garçons de 13 à 17 ans, et que les unités Odyssée et Escale sont surpeuplées.
Le plaignant dans ce dossier est le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, qui chapeaute le Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu de Baie-Comeau dont il est question dans le reportage du Devoir.
Analyse
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Pourcentage d’Innus
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte en ce qui concerne le pourcentage d’Innus dans le passage suivant : « À l’origine de cette situation, la surpopulation de l’établissement, fréquenté à 85 % par des enfants et adolescents innus ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante considère comme inexact le pourcentage présenté dans l’extrait ci-dessus. Elle soutient que « lors de la parution de l’article et de manière générale, le taux d’occupation des enfants et adolescents innus au Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu se situe à moins de 50 %. Le pourcentage d’enfants autochtones qui fréquentent le centre est une donnée que nous cumulons, mais que nous n’avons jamais dévoilée. Nous maintenons cette position puisque nous voulons éviter de stigmatiser la clientèle autochtone. »
« En aucun cas, ni en entrevue ni lors des nombreux échanges de courriels entre la journaliste et les représentants du CISSS, la journaliste n’a demandé le pourcentage d’usagers autochtones dans le Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu. Si la question avait été posée, nous aurions pu lui dire que le taux de 85 % qu’elle avançait était non seulement erroné, mais très loin de la réalité », ajoute-t-elle.
Les mis en cause rétorquent : « Ce pourcentage [85 %] a été calculé par les quatre employés à qui Le Devoir a parlé dans le cadre de cette enquête et fut confirmé par le syndicat. Lors d’une conversation téléphonique, Pascal Paradis, conseiller en communication du CISSS [de la] Côte-Nord, a affirmé qu’il lui était impossible de nous indiquer combien de jeunes Innus se trouvaient au centre de réadaptation. De manière générale, notons qu’il a été très difficile d’obtenir des chiffres de la part du CISSS. Malgré des demandes d’informations répétées, Le Devoir n’a eu accès à aucun des documents fournis au Conseil de presse en soutien aux griefs contenus dans la plainte ici analysée. »
Ils soulignent que « le sujet de cette enquête était la surpopulation et la négligence vécues par l’ensemble des jeunes du centre de réadaptation, et non celle vécue par les Innus en particulier. Au cours des 35 minutes d’entrevue accordées par Mme Marie-Josée Dufour, directrice adjointe du programme jeunesse du CISSS de la Côte-Nord, toutes les informations alléguées lui ont été présentées. Précisons enfin que cette statistique, que le CISSS ne souhaite d’ailleurs toujours pas donner aujourd’hui, n’était en rien un point sensible de ce dossier. Il n’a jamais été mentionné ni de la part du Devoir ni d’aucune des sources que les jeunes étaient négligés en raison de leurs origines. »
La plaignante a fourni au Conseil des documents à titre de preuve, mais comme ceux-ci sont largement caviardés et que les données en question n’ont pas été rendues publiques, le Conseil n’a pas été en mesure de vérifier l’information. D’autre part, les données avancées par les mis en cause proviennent de sources confidentielles. La journaliste Stéphanie Vallet a pris les moyens raisonnables pour tenter d’obtenir l’information sur le pourcentage d’enfants innus hébergés au Centre Richelieu en consultant le conseiller en communication à la direction des ressources humaines, communications et affaires juridiques du CISSS de la Côte-Nord, Pascal Paradis. Puisque l’établissement refusait de collaborer, le chiffre que la journaliste avance a été obtenu auprès de quatre sources confidentielles au sein du centre de réadaptation Richelieu et de leur représentante syndicale, Maude Fréchette.
Se trouvant devant deux versions contradictoires, et le plaignant n’apportant pas les preuves de l’inexactitude alléguée, le grief est rejeté. Comme le rappelle la décision antérieure D2018-04-037, « lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée. « […]“Il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule”. Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, ce qui signifie qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. » De la même façon, dans le cas présent, le Conseil accorde le bénéfice du doute à la journaliste.
1.2 Moyenne de jeunes dans l’unité Escale
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte concernant le nombre de jeunes qui fréquentent l’unité Escale en écrivant : « Elle abrite en moyenne 15 jeunes au lieu de 12 depuis mars 2020 ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante affirme que le nombre de jeunes fréquentant l’unité Escale est inexact dans le passage cité ci-dessus. Elle soutient que, d’après le tableau qu’elle a fourni au secrétariat général, « […] la moyenne de jeunes qui fréquentent l’unité Escale du Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu n’est pas de 15. Au moment de la parution de l’article, la moyenne de fréquentation de la dernière année était plutôt de 12 jeunes. De mars 2020 à mars 2021, l’Escale a eu un taux d’occupation moyen de 103 %, donc en moyenne 12,36 jeunes. »
Les mis en cause soutiennent pour leur part : « Le Devoir cite ici [dans l’article] une source. Ses dires ont été corroborés par une seconde source ainsi que par leur syndicat. Notons qu’il a été impossible d’obtenir les chiffres officiels. »
La journaliste Stéphanie Vallet s’est appuyée sur une source présumée fiable – la représentante du syndicat – et a corroboré l’information auprès d’autres sources avant de publier l’article qui fait l’objet de la présente plainte. Le Conseil est dans l’impossibilité de vérifier les données que lui a fournies le CISSS de la Côte-Nord, puisque celles-ci n’ont pas été rendues publiques. Par ailleurs, le manque de transparence du CISSS de la Côte-Nord, une institution publique dont aucune des données mises en cause dans cette plainte n’a été rendue publique, est flagrant dans ce dossier. L’établissement a refusé de partager des données avec les mis en cause lorsqu’ils l’ont contacté dans le cadre de la rédaction de l’article. Devant deux versions contradictoires des faits, le Conseil rejette le grief sur ce point, faute de preuves.
1.3 Nombre maximum de jeunes dans l’unité Escale
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte concernant le nombre de jeunes qui fréquentent l’unité Escale en écrivant : « “On est montés jusqu’à 18 en juin dernier et on est à 13 actuellement”, déplore un éducateur qui a requis l’anonymat ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante considère qu’il est inexact d’affirmer que 18 jeunes fréquentaient l’unité Escale dans le passage cité ci-dessus. « Dans le tableau que nous vous fournissons, vous pourrez constater qu’à aucun moment, 18 jeunes ne fréquentaient l’unité Escale du Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation Richelieu. Le maximum atteint en juin 2020 a été de 14 jeunes. Au cours des 12 mois précédant la parution de l’article, un maximum de 16 jeunes a été atteint dans l’unité, et ce, en novembre 2020 », avance-t-elle.
Les mis en cause mentionnent : « Le Devoir cite ici [dans l’article] une source. Ses dires ont été corroborés par une seconde source ainsi que par leur syndicat. Notons qu’il a été impossible d’obtenir les chiffres officiels. » Le conseiller en communication à la direction des ressources humaines, communications et affaires juridiques du CISSS de la Côte-Nord, Pascal Paradis, a refusé de fournir les données à la journaliste Stéphanie Vallet, comme en atteste un échange de courriels partagés avec le secrétariat général par Le Devoir.
Le Conseil se trouve à nouveau devant deux versions contradictoires des faits, sans preuves suffisantes pour trancher. Bien que la plaignante ait fourni un tableau de type Excel contenant une série de chiffres en guise de preuve, la provenance du document n’est pas identifiée. L’information avancée dans l’article provient d’une citation directe. La journaliste Stéphanie Vallet a également corroboré l’information auprès d’autres sources, prenant les moyens raisonnables pour effectuer son travail journalistique adéquatement dans les circonstances. Devant des versions contradictoires et en l’absence de preuves, le grief d’information inexacte est rejeté.
1.4 Fillette
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte concernant la présence d’une fillette dans l’unité des garçons de 13-17 ans dans le passage suivant : « L’unité Odyssée héberge actuellement 11 garçons de 5 à 12 ans, mais aussi pour la toute première fois une fillette de moins de 10 ans. Cette dernière était auparavant placée dans l’unité des garçons de 13-17 ans ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante affirme qu’il est inexact de dire qu’une fillette a été hébergée dans l’unité des garçons de 13-17 ans, comme le rapporte le passage cité ci-dessus. « Aucune jeune fille n’a été hébergée avec des garçons de 13-17 ans. Le tableau que nous fournissons indique qu’il n’y a pas eu de fille hébergée avec des adolescents. L’Odyssée (garçons 6-12 ans) a déjà accueilli des jeunes filles dans le passé, car il n’existe aucune unité pour jeunes filles 6-12 ans sur la Côte-Nord. Cette situation a été corrigée lors de l’ouverture de notre nouvelle unité le 20 avril 2021 dont le permis est mixte. Chaque situation est évaluée cliniquement pour répondre aux besoins des enfants. Si une fille est insérée dans un groupe de garçons, c’est en raison d’une décision clinique prise par une équipe multidisciplinaire. »
Les mis en cause assurent que « l’information a été confirmée par plusieurs sources au Devoir, ainsi que la pratique du journalisme le commande. Par ailleurs, si cette affirmation est fausse, pourquoi alors reprocher au Devoir dans cette même plainte le fait d’identifier une personne mineure? »
Le Conseil se trouve devant deux versions contradictoires et rejette le grief à défaut de preuves suffisantes. L’inexactitude que déplore la plaignante provient d’une source confidentielle et Le Devoir affirme que l’information a été corroborée. Par ailleurs, le média a tenté d’obtenir la version des faits du CISSS de la Côte-Nord, et l’établissement aurait pu infirmer l’information en cause ici, mais il ne l’a pas fait. Le grief est donc rejeté sur ce point.
1.5 Postes pourvus
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte à propos du nombre de postes pourvus en écrivant : « Ainsi dans une unité comme l’Odyssée, où les éducateurs doivent composer avec 13 garçons de 5 à 12 ans, seulement la moitié des postes sont pourvus ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante affirme que « l’ensemble des postes à l’Odyssée sont pourvus », contrairement à ce qu’avance la journaliste dans le passage cité ci-dessus. « En date du 25 mars 2021, l’ensemble des postes à l’Odyssée sont pourvus, mais certains titulaires sont en absence (sic) pour différents motifs. Aucune main-d’œuvre indépendante n’est titulaire de poste(s) dans nos installations. Les employés de la liste de rappel (TPO) ne sont pas titulaires de poste(s), mais ils ont des assignations en remplacement », explique-t-elle.
Le Devoir souligne que la phrase qui suit celle visée par la plaignante « […] précise que “les autres [postes] sont occupés par des personnes provenant de la liste de rappel et d’agences de placement privées”. La plaignante indique elle-même […] que “les employés de la liste de rappel (TPO) ne sont pas titulaires de poste(s).” »
La plaignante et Le Devoir affirment tous deux essentiellement la même chose. La phrase mise en cause doit être lue dans son contexte, avec la phrase qui suit : « Les autres sont occupés par des personnes provenant de la liste de rappel et d’agences de placement privées. » Par ailleurs, les deux parties ont chacun leur interprétation du verbe « pourvoir ». Le dictionnaire Larousse définit comme suit : « Nommer quelqu’un titulaire d’un poste. » Le Robert : « Pourvoir un poste, y affecter une personne. » Leur différend est de nature sémantique, mais l’emploi de ce verbe ne nuit pas à la compréhension de la phrase. La formulation relevant de la liberté éditoriale des médias, le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
Comme le rappelle la décision antérieure D2018-12-120, « le Conseil a statué à plusieurs reprises qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur discrétion rédactionnelle. »
1.6 Agence de placement
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte concernant les titulaires de postes, comme l’allègue la plaignante, dans le passage suivant : « Les autres [postes] sont occupés par des personnes provenant de la liste de rappel et d’agences de placement privées ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante soutient que « les employés de la liste de rappel (TPO) ne sont pas titulaires de poste(s) », contrairement à l’affirmation faite dans le passage cité ci-dessus. Elle précise « [qu’]en date du 25 mars 2021, l’ensemble des postes à l’Odyssée sont pourvus, mais certains titulaires sont en absence (sic) pour différents motifs. Aucune main-d’œuvre indépendante n’est titulaire de poste(s) dans nos installations. Les employés de la liste de rappel (TPO) ne sont pas titulaires de poste(s), mais ils ont des assignations en remplacement. »
Comme le souligne Le Devoir, « il est simplement indiqué dans l’article que les postes sont occupés par des employés d’agences et de la liste de rappel, sans précision eu égard à leur statut. Cela ne signifie donc en rien qu’ils sont engagés à temps plein ou titulaires d’un poste. »
L’inexactitude alléguée par la plaignante relève de son interprétation du texte. Le fait qu’il soit écrit dans l’article que certains postes « sont occupés par des personnes provenant de la liste de rappel et d’agences de placement privées » ne signifie pas que ces personnes sont titulaires de postes. Le Devoir n’a donc pas écrit dans l’article ce que la plaignante déplore. C’est pourquoi le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
1.7 Scolarisation
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte concernant le nombre d’heures de scolarisation dans le passage suivant : « “Les jeunes vont à l’école à peu près huit heures par semaine” […], raconte, exaspérée, une autre éducatrice de l’Odyssée, qui s’est confiée sous le couvert de l’anonymat au Devoir ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante prétend que l’information concernant le nombre d’heures est inexacte dans le passage cité ci-dessus. Elle soutient que la réalité est plutôt de 18 heures de scolarisation par semaine. « Bien qu’il réfère à des citations de Steve Ahern et de Marie-Josée Dufour qui évoquent une scolarisation à temps partiel (donc 12,5 heures par semaine), Le Devoir choisit d’inscrire dans son article que les jeunes sont scolarisés environ 8 heures par semaine, ce qui est faux », selon elle.
Mme Monger indique que « […] de façon circonstancielle pendant quelques jours à l’hiver 2021, les heures réelles d’enseignement ont été légèrement revues à la baisse en raison des difficultés scolaires et comportementales des élèves du groupe du primaire et leur très grand nombre. Certains d’entre eux n’avaient jamais fréquenté un milieu scolaire avant leur scolarisation au Centre de réadaptation. Il a donc fallu les préparer individuellement et procéder à leur intégration graduelle au groupe. »
« Il faut prendre note, souligne-t-elle, que ce qui peut avoir été interprété comme une diminution des heures de scolarité se voulait plutôt une intervention pédagogique visant à améliorer la scolarisation des élèves concernés. Il est incorrect d’associer cette situation survenue pendant quelques jours à une réduction des heures de scolarisation pour évoquer une moyenne de 8 heures par semaine. »
Le Devoir réplique que « quatre employés [leur] ont en outre confirmé le nombre d’heures de scolarisation. » De plus, « Steve Ahern, le directeur de l’école secondaire Serge-Bouchard, à Baie-Comeau, qui est également responsable de la scolarisation au Pavillon Richelieu, admet que les jeunes sont scolarisés à temps partiel, mais qu’il tente de trouver une solution. Mme Dufour admet elle aussi tenter de trouver des solutions en entrevue avec Le Devoir, particulièrement auprès des 6-12 ans. Ce problème a donc été clairement reconnu dans nos entretiens avec les autorités compétentes. »
L’inexactitude alléguée dans le présent cas provient d’une citation d’une éducatrice qui enseignait au Centre Richelieu au moment de la rédaction de l’article, ce qui en fait une source présumément crédible. Cette citation s’inscrit dans une problématique de scolarisation à temps partiel, et aucune preuve n’a été apportée par le CISSS de la Côte-Nord pour démontrer que les jeunes allaient à l’école plus de huit heures par semaine. Par surcroît, aucune des personnes citées dans l’article ne nie que la scolarisation se faisait à temps partiel durant la période visée. La plaignante concède elle-même dans son argumentaire que les heures d’enseignement ont été « légèrement revues à la baisse ».
Comme le rappelle la décision antérieure D2018-04-037 citée plus haut : « Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, ce qui signifie qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. » Pareillement, dans le cas présent, face à des versions contradictoires, il accorde le bénéfice du doute à la journaliste Stéphanie Vallet.
1.8 Jeux de logique
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte en rapportant que « cette situation perdure depuis presque deux ans » dans le passage suivant : « Pour remédier à la situation, elle dit occuper les enfants avec des jeux de logique. Cette situation perdure depuis presque deux ans, selon elle ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante allègue qu’il est inexact d’écrire que la « situation perdure depuis presque deux ans » dans le passage cité ci-dessus. Elle prétend plutôt que cette situation « dure depuis le 19 février 2021 en raison des travaux à l’intérieur de la nouvelle unité ».
Les mis en cause font valoir « [qu’]une éducatrice a indiqué dans l’article qu’elle occupait les enfants avec des jeux de logique depuis près de deux ans à cause du peu d’heures d’enseignement. En quoi les travaux ont à voir là-dedans ? Nous ne saisissons pas ce grief. Les versions s’opposent peut-être concernant la durée de la situation, mais cela ne signifie en rien que les sources du Devoir ont tort de divulguer leur version des faits. »
L’inexactitude alléguée provient d’une citation d’une source confidentielle présumée fiable, qui relate son expérience personnelle à la journaliste. La plaignante n’a apporté aucune preuve que l’information faisant l’objet de ce sous-grief est inexacte. Ainsi, se trouvant devant deux versions contradictoires et n’étant pas en mesure de trancher, le grief est rejeté sur ce point.
Grief 2 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
Analyse
La plaignante déplore que la journaliste n’ait pas vérifié l’exactitude de plusieurs données statistiques présentées dans l’article en lien avec la représentativité de la clientèle autochtone, les heures de scolarisation, les clientèles reçues en même temps dans les unités et l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse. « Surtout, nous n’avons jamais eu la chance de valider, et donc d’affirmer que les données avancées par Le Devoir étaient erronées parce qu’elles ne nous ont jamais été présentées avant leur publication », déplore-t-elle.
Les mis en cause soutiennent que « tous les chiffres ont été vérifiés auprès des sources disponibles par Le Devoir. Le CISSS [de la] Côte-Nord a montré une grande réticence à partager des données tout au long du processus. Le Devoir a donc dû compter sur les chiffres communiqués par les employés et le syndicat. » Selon eux, la surpopulation et la scolarisation à temps partiel ont été confirmées par Mme Dufour et M. Ahern.
Ils concluent : « Dans sa plainte, le CISSS [de la] Côte-Nord indique ne pas vouloir dévoiler le pourcentage d’enfants autochtones pour “éviter de stigmatiser la clientèle autochtone”. La surreprésentation des jeunes autochtones dans le réseau de la DPJ de la Côte-Nord est de notoriété publique et documentée dans le rapport de la commission Viens, mais aussi dans les rapports annuels de la DPJ. Nous ne voyons pas en quoi donner le pourcentage de jeunes Innus au Centre de Baie-Comeau pourrait les stigmatiser. »
À la lecture de l’article, on peut déduire que les quatre sources confidentielles qui se sont confiées à la journaliste étaient des employés du Pavillon Richelieu; que trois d’entre elles étaient des éducatrices spécialisées; que la quatrième était un éducateur spécialisé; et qu’au moins une des trois sources était affectée à l’unité Odyssée du Pavillon Richelieu. La nature des postes occupés par les quatre sources confidentielles rendaient celles-ci aptes à transmettre des informations présumées fiables.
À la lumière de ce qui précède, la journaliste Stéphanie Vallet n’avait aucune raison de douter de la fiabilité des informations transmises par les sources confidentielles qu’elle a consultées. En l’absence de données publiques, elle a obtenu l’information de sources confidentielles fiables, qu’elle se devait de protéger, et qui travaillaient « sur le terrain ». La journaliste a tenté de corroborer plusieurs données auprès du CISSS de la Côte-Nord, qui a refusé de collaborer. Mme Vallet a également offert au CISSS l’occasion de donner sa version des faits, mais l’établissement n’a pas coopéré. Par conséquent, elle a pris les moyens raisonnables à sa disposition en validant les informations auprès d’autres sources. C’est pourquoi le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources est rejeté.
Grief 3 : identification d’une personne mineure
Principe déontologique applicable
Identification des personnes mineures hors du contexte judiciaire : « (1) Hors du contexte judiciaire, les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention propre à permettre l’identification de personnes mineures lorsque celle-ci risquerait de compromettre leur sécurité et leur développement. (2) Toute exception à ce principe doit être justifiée par un intérêt public prépondérant et requiert en outre un consentement libre et éclairé, ainsi que le soutien et l’accompagnement de personnes majeures responsables. » (article 22.1 (1) et (2) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont divulgué des informations permettant l’identification d’une personne mineure, risquant de compromettre sa sécurité et son développement.
Décision
Le Conseil rejette le grief de divulgation d’informations permettant d’identifier une personne mineure.
Analyse
La plaignante considère que la journaliste ne respecte pas « la confidentialité d’un enfant protégé par la Loi sur la protection de la jeunesse » dans le passage suivant : « L’unité Odyssée héberge actuellement 11 garçons de 5 à 12 ans, mais aussi pour la toute première fois une fillette de moins de 10 ans. Cette dernière était auparavant placée dans l’unité des garçons de 13-17 ans, au grand dam des éducateurs de l’unité. »
La plaignante ajoute : « La journaliste dans son article indique que pour la toute première fois l’unité l’Odyssée accueille une fillette de moins de 10 ans. Dans cette phrase, la journaliste permet l’identification de l’enfant par des membres de sa famille et de sa communauté de par la nature exceptionnelle de la situation d’hébergement, du sexe et de l’âge de l’enfant. Elle informe ceux-ci non seulement sur la ville de l’hébergement (le Centre de réadaptation est divisé en deux installations, mais le texte du Devoir évoque seulement l’installation de Baie-Comeau), mais aussi précise l’unité où elle vit. Cette information représente un danger de bris de confidentialité pour l’enfant, mais peut aussi représenter un enjeu de sécurité pour cette dernière. »
Le Devoir rétorque que « le Guide de déontologie [journalistique] du Conseil de presse stipule que « hors du contexte judiciaire, les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention propre à permettre l’identification de personnes mineures lorsque celle-ci risquerait de compromettre leur sécurité et leur développement ». Nous estimons avoir entièrement respecté ce principe capital. La fillette ne peut absolument pas être identifiée par le lecteur lambda; seuls les intervenants qui la connaissent et travaillent auprès d’elle – et qui ont eux-mêmes déploré la situation exposée dans l’article – sauront de qui il s’agit. Nous ne contrevenons donc aucunement à la confidentialité d’un enfant protégé par la Loi sur la protection de la jeunesse. »
Les informations divulguées dans l’article sont nettement insuffisantes pour permettre au grand public d’identifier la jeune fille mineure dont il est question, contrairement au dossier D2020-04-062. Dans ce dossier, les journalistes avaient révélé l’âge d’une enfant impliquée dans un fait divers; une photo récente d’elle, visage flouté, aux côtés de sa soeur dont le visage n’était pas flouté; le nom et prénom de sa soeur; le nom et prénom de sa mère; le nom et prénom de sa tante; le nom et prénom de sa cousine; le nom de la petite rue et du quartier où habitait son père, ainsi que le nom et l’âge de l’auteure présumée du crime. Dans le cas présent, les seuls renseignements transmis à propos de la jeune fille dans l’article du Devoir sont qu’au moment de la publication, elle avait moins de 10 ans; elle était l’unique jeune fille hébergée dans l’unité Odyssée avec 11 garçons de 5 à 12 ans; et qu’elle avait précédemment été hébergée dans une autre unité avec des garçons de 13 à 17 ans, une information démentie par la plaignante au grief 1.4.
Les décisions antérieures du Conseil établissent « qu’il ne suffit pas qu’une personne soit reconnue par son entourage pour conclure que le média l’a identifiée. Elle doit être facilement identifiable aux yeux du lecteur de l’article, c’est-à-dire le grand public. »
Pareillement, dans le cas présent, les éléments présentés dans l’article qui fait l’objet du présent grief ne sont pas suffisants pour permettre l’identification de la fillette par le grand public. Par conséquent, le grief de divulgation d’informations permettant d’identifier une personne mineure est rejeté.
Grief non recevable : information inexacte
Dans sa plainte, Lyne Monger déplore une information inexacte à propos du contexte entourant l’utilisation de matelas par terre. « Le Devoir inscrit ceci comme première phrase de son article : “Matelas par terre, scolarisation à temps partiel, encadrement mal adapté aux besoins des jeunes” dont le titre est “Négligence dans un centre de réadaptation de la DPJ de Baie-Comeau”. Il associe donc le fait de dormir sur un matelas posé par terre à de la négligence. Non seulement ce n’est pas de la négligence, mais il s’agit au contraire d’une pratique qui vise à assurer la sécurité des jeunes en période de débordement en attendant d’avoir accès à de l’ameublement sécuritaire. »
L’inexactitude alléguée pointée par la plaignante relève de sa propre interprétation. Aucun lien n’est fait dans le texte entre les matelas posés au sol et la négligence. Or, tel que le stipule l’article 13.02 du Règlement 2 : « Une plainte ne doit pas constituer simplement un commentaire ou une critique générale, ni une interprétation de ce qui a été rapporté ou écrit. »
Grief non traité : diffamation
Dans sa plainte, Lyne Monger déplorait également de la diffamation. Ce grief n’a pas été traité puisque la diffamation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire, comme l’indique l’article 13.03 du Règlement 2 : « La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Lyne Monger, déposée au nom du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, visant l’article « Négligence dans un centre de réadaptation de la DPJ de Baie-Comeau », de la journaliste Stéphanie Vallet, publié dans Le Devoir le 25 mars 2021, concernant les griefs d’informations inexactes, de manque de fiabilité des informations transmises par les sources, et de divulgation d’informations permettant d’identifier une personne mineure.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier