Plaignant
Kévin Ly
Un plaignant en appui
Mis en cause
Le Journal de Montréal
Le Journal de Québec
TVA Nouvelles
Québecor Média
Résumé de la plainte
Kévin Ly et un plaignant en appui déposent une plainte le 26 avril 2021 au sujet d’une photographie accompagnant l’article « Un chercheur de l’Université de Sherbrooke soupçonné de fraude » publié dans les versions papier et web du Journal de Québec et sur les sites web du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles, le 23 avril 2021. Le plaignant déplore que la photographie soit inadéquate et qu’elle ne respecte pas sa vie privée. Le grief d’atteinte à la réputation est non recevable et n’a pas été traité (explications à la fin de la décision).
CONTEXTE
L’article « Un chercheur de l’Université de Sherbrooke soupçonné de fraude » rapporte que l’Université de Sherbrooke a congédié un professeur qu’elle soupçonne de fraude et qu’elle a alerté les policiers à son sujet. Le journaliste révèle que « selon des sources concordantes », le professeur en question est Robert Day, que Le Journal de Montréal a tenté de joindre, en vain. L’article indique que M. Day est également président d’une entreprise en biotechnologies nommée PhenoSwitch Bioscience. Un appel à cette compagnie n’a pas permis d’obtenir davantage d’informations, selon l’article.
La photographie mise en cause dans ce dossier est la photo principale, qui montre deux personnes travaillant dans un laboratoire : une face à la caméra et l’autre dos à la caméra. L’individu qui est photographié face à la caméra est le plaignant dans ce dossier. La photographie en mortaise (photo en gros plan superposée sur la photo principale) présente Robert Day, qui regarde dans un microscope. Le plaignant indique que l’image principale a été prise au laboratoire de PhenoSwitch Bioscience
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : photographie inadéquate
Principes déontologiques applicables
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la photographie du laboratoire reflète l’information à laquelle elle se rattache. Le journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mis en cause, parce que le choix des photos et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de photographie inadéquate.
Analyse
Pour le plaignant, « la photo du laboratoire de la compagnie PhenoSwitch n’a aucun lien pertinent avec le contenu de l’article puisque la fraude financière ne concerne que M. Robert Day au sein de l’Université de Sherbrooke ». Il soutient que « cette publication d’images suggère une association entre Robert Day et ses employés de compagnies alors qu’il n’y en a simplement aucune. Et même s’il y en a, ces informations sont confidentielles et présentement sous enquête policière ». Kévin Ly avance qu’en « publiant cette photo, [le média] suggère une association flagrante entre les images et son titre d’article. Surtout que la majorité des lecteurs lisent que les titres d’article de ces jours en combinaison avec les photos qui y sont associées ».
Prenons d’abord le temps d’analyser en plus de détails la photo mise en cause et les éléments qui s’y rattachent. Il s’agit d’un plan général du laboratoire de la compagnie PhenoSwitch Bioscience, avec deux personnes vêtues de sarraus qui y travaillent. Cette photo se retrouve d’ailleurs sur la page principale du site Internet de la compagnie. Au premier plan, on peut voir les comptoirs du laboratoire, des machines, des crayons et des outils, notamment. Par-dessus cette photo du plan large du laboratoire est juxtaposée la photo en gros plan de M. Day, le président de la compagnie PhenoSwitch Bioscience.
Cette photographie reflète l’information à laquelle elle se rattache puisqu’elle illustre le laboratoire de l’entreprise PhenoSwitch Bioscience, dont le président, Robert Day, fait l’objet de l’article. Contrairement à ce qu’avance le plaignant, l’image ne suggère pas une association entre les soupçons qui planent sur Robert Day et les scientifiques qui travaillent dans le laboratoire. À aucun moment dans l’article il n’est fait mention de qui sont les scientifiques de ce laboratoire, pas plus que dans le titre ou la légende de la photo.
Le titre de l’article, « Un chercheur de l’Université de Sherbrooke soupçonné de fraude », cible d’entrée de jeu la personne visée par les allégations. Le surtitre, « Le professeur, qui est président d’une entreprise de biotechnologies, a été congédié », établit ensuite un lien entre Robert Day et la photographie du laboratoire de PhenoSwitch Bioscience. En ce qui concerne la légende de la photographie, elle fournit des informations que sur le professeur et l’entreprise qu’il dirige :
« Robert Day (en mortaise) est président de l’entreprise PhenoSwitch Bioscience depuis sa fondation, en 2002, si l’on se fie à son profil LinkedIn. En 2013, son équipe a fait d’importantes découvertes concernant un futur traitement contre le cancer de la prostate. »
Enfin, la dernière section de l’article explique que le professeur de l’Université de Sherbrooke est président de l’entreprise en biotechnologie PhenoSwitch Bioscience depuis 19 ans et que le journaliste a joint cette compagnie afin de recueillir des informations à son sujet. L’article mentionne également que « Développement économique Canada (DEC) a octroyé une contribution remboursable de 722 600 $ à PhenoSwitch Bioscience en août 2019 ».
Les mis en cause n’ont commis aucun manquement déontologique en utilisant une photo du laboratoire PhenoSwitch Bioscience, d’ailleurs toujours accessible sur la page d’accueil du site web de l’entreprise, afin de montrer la compagnie dont Robert Day « est l’actionnaire majoritaire ».
Dans un dossier similaire (D2019-06-088), le grief de photographie inadéquate a été rejeté, car l’image reflétait des informations contenues dans l’article. Le plaignant estimait que la photographie de demandeurs d’asile empruntant le chemin Roxham pour entrer au Canada semait la confusion chez le lecteur, puisqu’elle montrait des « demandeurs d’asile qui franchissent clairement la frontière du Canada de façon irrégulière », alors que l’article examinait plutôt les données du programme de réinstallation. Le Conseil a considéré que la photo était adéquate puisque la journaliste prenait aussi en compte la question des demandeurs d’asile lorsqu’elle écrivait : « Or, le jeu des comparaisons se complique si on tient compte des 27 970 demandeurs d’asile qui sont venus cogner aux portes du Québec en 2018, notamment en empruntant le chemin Roxham, à Saint-Bernard-de-Lacolle, en Montérégie. »
Dans le cas présent, l’article rapporte des informations concernant Robert Day et l’entreprise PhenoSwitch Bioscience. Les médias ont publié une photographie qui reflète les informations auxquelles elle se rattache, sur laquelle on voit un laboratoire de l’entreprise de M. Day.
Grief 2 : photographie manquant de respect à la vie privée
Principes déontologiques applicables
Protection de la vie privée et de la dignité : « 1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. 2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la photo du laboratoire manque de respect à la vie privée du plaignant, Kévin Ly. Le journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mis en cause, parce que le choix des photos et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de photographie manquant de respect à la vie privée, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Le plaignant déplore que la photo accompagnant l’article manque de respect à sa vie privée : « Puisqu’il y a une enquête officielle de la part du Service de police de Sherbrooke et que le titre d’article fait mention de fraude, je juge totalement inappropriée l’utilisation de cette photo adjacente à celle de M. Robert Day dans laquelle on arrive aisément à m’identifier en premier plan dans le laboratoire. Plusieurs collègues, amis et membres de ma famille sont arrivés à m’identifier. » Kévin Ly indique que « son visage s’est retrouvé associé à ce titre d’article qui a surgi dans tous les médias de Québecor incluant à la télévision ». Il soutient également que « plusieurs collègues de [s]on réseau professionnel (à Québec et à Montréal) [l]’ont identifié et [lui] ont envoyé cet article en [lui] demandant plus d’explications » et que cette photo « peut avoir des répercussions dommageables et permanentes puisqu’elle s’est retrouvée sur Facebook dans le groupe “Criminels recherchés”. Cette photo apparaît sur les médias sociaux et il est maintenant très difficile pour [lui] d’en effacer les traces ».
Sur la photographie, le plaignant est vu en sarrau, derrière un comptoir de laboratoire. Il ne s’agit pas d’un gros plan de son visage, mais plutôt d’un plan moyen. Il porte des lunettes et son regard est tourné vers le bas. Il est avec un collègue, également en sarrau, qui lui fait dos.
Lors de l’analyse d’un grief de manque de respect de la vie privée, il faut d’abord déterminer si la personne qui allègue que sa vie privée n’est pas respectée est identifiable aux yeux du public. Si elle l’est, il faut ensuite évaluer si le média pouvait privilégier le droit du public à l’information parce que ces éléments étaient d’intérêt public dans le contexte du reportage.
Le Conseil a déjà retenu des griefs de manque de respect de la vie privée, dans des cas où le sujet était clairement identifiable et qu’il n’y avait pas d’intérêt public à divulguer les informations d’ordre privées en question. Par exemple, dans le dossier D2015-08-016, un grief de manque de respect de la vie privée a été retenu parce que la journaliste avait donné les raisons médicales du congé maladie d’un policier, qui était identifié par son nom complet et son âge. Elle mentionnait aussi le nom de son employeur et son poste. Le Conseil a jugé que ces informations médicales n’étaient pas utiles pour comprendre le sujet. En l’absence d’intérêt public, ces informations médicales n’avaient pas à être divulguées.
Commençons par déterminer si la personne – un scientifique anonyme en sarrau dans un laboratoire – est identifiable aux yeux du public. Il ne suffit pas qu’elle se soit reconnue elle-même ou qu’un proche l’ait reconnue. Pour qu’une personne soit identifiable par le grand public, il faut que le média ait publié certains éléments, ou une combinaison d’éléments, qui l’identifient, par exemple, son nom, son prénom et son âge, ainsi qu’une photo en gros plan de son visage découvert, sa voix, sa profession ou son lieu de travail, son adresse résidentielle, ou d’autres éléments qui, seuls ou combinés, lui sont propres et l’identifient.
Les éléments contenus dans la photographie et l’article « Un chercheur de l’Université de Sherbrooke soupçonné de fraude » ne permettent pas d’identifier le plaignant, qui n’est ni nommé ni cité dans le texte ou dans la légende de la photographie. Bien que son visage apparaisse sur la photo et que cette dernière le présente sur son lieu de travail, ces informations à elles seules ne suffisent pas à identifier Kevin Ly aux yeux du public, et ce, même s’il s’est reconnu sur l’image et que certains de ses collègues qui le connaissent déjà l’ont contacté à la suite de la publication de l’article.
À ce sujet, les décisions antérieures du Conseil expliquent que le fait qu’une personne se soit reconnue ou ait reconnu un proche sur une photo publiée par un média d’information ne signifie pas que cette personne est identifiable pour les lecteurs, c’est-à-dire que le public pourra savoir qui elle est. Dans le dossier D2019-04-059, la plaignante s’était reconnue dans une photographie où l’on pouvait apercevoir une femme assise au loin dans un bar. Le Conseil a rejeté le grief de non-respect de la vie privée, expliquant que « la plaignante, même si elle s’est reconnue dans cette photo, ne [pouvait] être identifiée par le grand public » notamment parce qu’elle n’était nommée ou citée, ni dans le texte ni dans la légende de la photo.
De plus, contrairement à ce que suggère le plaignant, les employés de PhenoSwitch Bioscience ne sont pas associés aux allégations de fraude dont Robert Day fait l’objet. La photographie sert à illustrer le laboratoire dont il est question dans l’article, sans fournir d’élément permettant l’identification des personnes qui y figurent. La légende de l’image porte sur le professeur Robert Day, président de PhenoSwitch Bioscience, et sur l’entreprise :
« Robert Day (en mortaise) est président de l’entreprise PhenoSwitch Bioscience depuis sa fondation, en 2002, si l’on se fie à son profil LinkedIn. En 2013, son équipe a fait d’importantes découvertes concernant un futur traitement contre le cancer de la prostate. »
Le média n’a commis aucun manquement déontologique en utilisant cette photo du laboratoire de PhenoSwitch Bioscience avec des personnes qui y travaillent pour illustrer son article qui porte sur le président de cette compagnie. Il importe également de préciser que l’utilisation de la photo visée par le plaignant sur d’autres sites, comme la page Facebook « Criminels recherchés », n’est pas du ressort du Conseil.
Dans un dossier similaire (D2020-03-048), le grief de non-respect à la vie privée a été rejeté, car les personnes photographiées dans le cadre de l’ouverture de la première clinique de dépistage sans rendez-vous de la COVID-19, à Montréal, n’étaient pas identifiables pour le grand public. La décision explique que « le reportage ne contient pas d’éléments spécifiques comme des noms, des adresses, ou autres, qui permettraient d’identifier ces gens. Ces photos à elles seules ne permettent pas au public de les identifier. »
Par ailleurs, lorsqu’une personne est publiquement identifiable, les médias peuvent privilégier le droit du public à l’information si des informations privées sur cette personne sont d’intérêt public, comme le rappelle le principe du Guide de déontologie à l’article 19 2). Cependant, sans détails sur son identité, il ne peut y avoir un manque de respect à sa vie privée.
Grief non traité : atteinte à la réputation
Le plaignant déplore une atteinte à sa réputation, un grief que le Conseil ne traite pas. L’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire (article 13.03 du Règlement 2 du Conseil de presse).
Note Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, du Journal de Québec et de TVA Nouvelles, qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et qui n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Kévin Ly et d’un plaignant en appui au sujet d’une photographie accompagnant l’article « Un chercheur de l’Université de Sherbrooke soupçonné de fraude » publié par Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles, le 23 avril 2021. Les griefs de photographie manquant de respect à la vie privée et de photographie inadéquate ont été rejetés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault