Plaignant
Karine Morier, directrice adjointe des communications et des relations avec les médias – Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal
Mis en cause
Stéphanie Vallet, journaliste
Le Devoir
Résumé de la plainte
Karine Morier, directrice adjointe des communications et des relations avec les médias, dépose une plainte au nom du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal, le 27 avril 2021, au sujet de l’article « Des résidents du CHSLD Saint-Laurent enfermés pendant des mois dans leur chambre » de la journaliste Stéphanie Vallet, publié dans Le Devoir, le 5 mars 2021. La plaignante déplore des informations inexactes, un manque de prudence concernant des propos de personne en situation de vulnérabilité, un manque de fiabilité des informations transmises par les sources, le non-respect de la vie privée et de la dignité, un manque de rigueur de raisonnement, de la partialité, un manque d’équilibre, de l’information incomplète et une correction insuffisante des erreurs.
CONTEXTE
L’article rapporte les témoignages de résidentes et d’employées du CHSLD Saint-Laurent concernant les mesures de confinement mises en place au 5e étage de l’établissement dans l’unité spécifique qui accueille des personnes vivant avec des problèmes de santé mentale et physique. Les résidentes déplorent, entre autres, avoir été « enfermées » dans leur chambre pendant plusieurs mois et ne pas avoir eu accès à un bain ou une douche durant plusieurs semaines. Le représentant du CHSLD, cité dans l’article, invoque le contexte de la pandémie de COVID-19 pour justifier l’utilisation de demi-portes pour confiner les résidents dans leur chambre. Une employée témoignant sous le couvert de l’anonymat remet en question cette façon de faire qui aurait été en place au-delà des éclosions de COVID-19. Une autre employée déplore la détérioration de la santé physique et psychologique des résidents. L’article présente également les critiques d’une gérontopsychiatre concernant certaines de ces façons de faire.
Analyse
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Demi-portes
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte concernant la durée du confinement dans la chambre, dans le passage suivant :
« Sa demi-porte lui a été retirée il y a deux semaines, après plusieurs mois durant lesquels elle ne pouvait voir à l’extérieur de sa chambre, de son fauteuil roulant. “C’est invivable. Ça fait plus que huit mois qu’on est enfermés, confinés à nos chambres, entre quatre murs, sans droit de visite la plupart du temps, sans accès à l’extérieur” ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante considère qu’il est inexact d’affirmer que le confinement dans la chambre a duré huit mois. Elle affirme : « Depuis la fin de la 1re vague, le CHSLD St-Laurent a connu un seul épisode d’éclosion de COVID-19 ayant engendré un confinement en chambre, soit du 1er au 26 janvier 2021. Le programme d’activités et de loisirs a été maintenu pour tous les résidents de cette unité en dehors de cette période de 25 jours. Pendant les périodes de confinement, des activités spéciales ont eu lieu aux chambres avec les techniciens en loisirs, les techniciens en réadaptation physique, ainsi que les techniciens en éducation spécialisés. Tout cela est documenté et aurait pu être vérifiable. »
La rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, fait valoir que l’une des résidentes ayant accepté de témoigner sous le couvert de l’anonymat « a expliqué ne pas être en mesure de voir à l’extérieur de sa chambre à cause de la demi-porte, car elle se trouve en fauteuil roulant. Elle déplore le manque de sorties à l’extérieur et le fait de devoir rester dans sa chambre depuis plusieurs mois, faute d’autres sorties et de visites ».
Mme Chouinard précise que « cette information a été corroborée par trois sources. L’ajout des demi-portes a été perçu par les usagers et certains membres du personnel ayant choisi de témoigner comme la goutte qui a fait déborder le vase. » Elle ajoute que « la présence des demi-portes a été confirmée par divers témoignages, des documents confidentiels reçus par courriel, mais aussi par des photos et vidéos. »
Bien que la plaignante avance que l’information était vérifiable, elle n’apporte pas de preuves permettant de conclure à une inexactitude. Or, comme l’indique l’article 13.08 du Règlement 2, « une plainte sera considérée uniquement si le plaignant apporte la preuve de ce qu’il avance. » En l’absence de preuve, le grief est rejeté.
De plus, la vidéo qui accompagne la version web de l’article montre un couloir où l’entrée des chambres est bloquée par des demi-portes. Le texte en surimpression sur les images indique qu’elles ont été prises par une employée du CHSLD Saint-Laurent le 17 février 2021, soit plus de 20 jours après la fin du confinement à la suite de l’éclosion de COVID-19 mentionné par la plaignante.
L’article rapporte également les propos d’une autre résidente de l’étage qui indique elle aussi qu’une demi-porte barrait l’entrée de sa chambre. Son témoignage qui concernait l’ajout d’un troisième loquet à sa demi-porte permet de confirmer que la présence de la demi-porte ne s’est pas limitée à une période de confinement liée à une éclosion de COVID-19 : « Elle s’est vu ajouter un troisième loquet à sa demi-porte alors qu’elle tentait de sortir de sa chambre pour demander de l’assistance quand elle tombait en hypoglycémie. “Ils me l’ont enlevé il y a un mois, mais je l’ai eu tout le long de la pandémie.” »
1.2 Troisième loquet
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte au sujet d’un troisième loquet dans le passage suivant :
« Une autre résidente de l’étage, dans la cinquantaine, souffre de diabète sévère et instable qui nécessite un suivi serré. Elle s’est vu ajouter un troisième loquet à sa demi-porte alors qu’elle tentait de sortir de sa chambre pour demander de l’assistance quand elle tombait en hypoglycémie. “Ils me l’ont enlevé il y a un mois, mais je l’ai eu tout le long de la pandémie. J’ai un diabète très mal contrôlé. Je fais du up and down. Je dois sonner pour qu’une préposée vienne voir ce qu’il se passe [et prenne sa glycémie]. Mais il n’y a jamais personne qui vient. Pourtant, ils sont avertis. Mon diabète n’est pas balancé, quand je sonne c’est qu’il est trop bas. Je sortais pour les avertir au poste des infirmières. Ils ne viennent pas quand je sonne, j’ai peur qu’un jour ils vont me trouver à terre”, s’inquiète-t-elle. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
« Il est vrai que certains modèles de demi-portes sont munis de loquets, mais ces loquets sont là dès l’installation. Contrairement à ce qui est allégué dans l’article, aucun loquet supplémentaire n’a été ajouté à aucune porte du CHSLD, à aucun moment », affirme la plaignante.
La rédactrice en chef du Devoir indique qu’une résidente « a précisé qu’un loquet supplémentaire avait été ajouté, car elle réussissait à ouvrir sa porte seule ». Elle ajoute : « Trois sources nous ont confirmé cette information. »
La plaignante n’apporte pas de preuve pour appuyer son allégation. Dans une telle situation, le Conseil rejette le grief comme il l’a fait dans le dossier D2018-04-037 dans lequel il explique qu’« il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée ». De la même façon, dans le cas présent, le Conseil accorde le bénéfice du doute à la journaliste.
1.3 Blessure aux fesses
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte concernant la blessure aux fesses d’une résidente dans le passage suivant :
« Aide de service au sein de l’établissement pendant la pandémie, Camille Ponce-Lagos confirme que cette résidente a développé une blessure aux fesses à force d’être trop assise, confinée dans sa chambre. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante affirme qu’« après avoir procédé aux vérifications nécessaires, il nous est possible de confirmer qu’aucune des trois résidentes citées dans l’article n’a développé de telle blessure. » Elle ajoute : « L’information transmise est fausse, provenant d’une source qui n’avait pas la compétence nécessaire pour poser ce diagnostic. La journaliste n’a pas pris les moyens nécessaires afin de s’assurer de garantir une information de qualité. Cette information aurait pu et aurait dû faire l’objet d’une vérification diligente auprès des personnes pertinentes. Ce que la journaliste a négligé de faire. »
Mme Chouinard indique que « deux aides de service ainsi qu’une troisième source confidentielle ont confirmé qu’elle avait une blessure aux fesses. Nous avons vérifié les causes probables d’une telle blessure en CHSLD avec des professionnels de la santé et les deux causes les plus communes qui sont ressorties étaient le manque de changement de couches ainsi que les plaies de positionnement. C’est cette seconde option qui a été nommée par nos trois sources. »
La plaignante ne fait pas la démonstration que le passage visé par la plainte est inexact. Ainsi, tout comme au sous-grief précédent, le Conseil accorde le bénéfice du doute à la journaliste d’autant que l’information a été corroborée par plusieurs sources.
Grief 2 : manque de prudence concernant des propos de personne en situation de vulnérabilité
Principe déontologique applicable
Personnes en situation de vulnérabilité : « Les journalistes font preuve de prudence avant de diffuser les propos de personnes en situation de vulnérabilité. » (article 26 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a failli à son devoir de prudence dans la diffusion des propos de personnes en situation de vulnérabilité dans les passages suivants :
- « Sa demi-porte lui a été retirée il y a deux semaines, après plusieurs mois durant lesquels elle ne pouvait voir à l’extérieur de sa chambre, de son fauteuil roulant. “C’est invivable. Ça fait plus que huit mois qu’on est enfermés, confinés à nos chambres, entre quatre murs, sans droit de visite la plupart du temps, sans accès à l’extérieur.” »
- « Une autre résidente de l’étage, dans la cinquantaine, souffre de diabète sévère et instable qui nécessite un suivi serré. Elle s’est vu ajouter un troisième loquet à sa demi-porte alors qu’elle tentait de sortir de sa chambre pour demander de l’assistance quand elle tombait en hypoglycémie. “Ils me l’ont enlevé il y a un mois, mais je l’ai eu tout le long de la pandémie. J’ai un diabète très mal contrôlé. Je fais du up and down. Je dois sonner pour qu’une préposée vienne voir ce qu’il se passe [et prenne sa glycémie]. Mais il n’y a jamais personne qui vient. Pourtant, ils sont avertis. Mon diabète n’est pas balancé, quand je sonne c’est qu’il est trop bas. Je sortais pour les avertir au poste des infirmières. Ils ne viennent pas quand je sonne, j’ai peur qu’un jour ils vont me trouver à terre”, s’inquiète-t-elle. »
- « “L’éducatrice m’a dit hier que je n’avais plus le droit de sortir entre 22h et 9h le matin. Je peux bien être libre de faire ce que je veux, je ne dérange personne. Pourquoi on m’interdit ça à 76 ans ? Je vais mourir bientôt, mais je voudrais être heureuse avant de mourir”, dit-elle. »
- « “On restait tous dans nos chambres et on se lavait à la mitaine, avec des débarbouillettes. On mettait des piqués par terre et on se lavait au-dessus du lavabo. Vu que je ne suis pas grande, le lavabo me rentrait entre les deux seins et j’avais des crampes. Je prenais un verre et je me rinçais les cheveux !” explique une autre résidente du 5e étage. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de prudence concernant la diffusion des propos de personnes en situation de vulnérabilité.
Analyse
La plaignante affirme que « les trois patientes qui témoignent dans l’article de Mme Vallet résident à l’unité spécifique du Centre d’hébergement de soins longue durée (CHSLD) de St-Laurent. Cette unité accueille des personnes qui souffrent de problèmes de santé tant physique que de santé mentale, ainsi que de comorbidités. Ce ne sont pas nécessairement des personnes âgées. Elles peuvent faire de l’errance intrusive accompagnée d’agressivité, avoir des troubles graves d’adaptation et de comportement, représenter un danger pour elles-mêmes et pour les autres. Ces personnes sont dans un état de très haute vulnérabilité et sont pour la plupart inaptes à exercer leurs droits, étant protégées par des régimes de protection. Certaines sont sous tutelle et d’autres, comme deux des trois résidentes interrogées par Mme Vallet, sont sous curatelle publique. »
Elle ajoute : « En raison de leur état de santé, de leur condition physique et mentale, les résidents de ce type d’unité sont dans un état de vulnérabilité et ils peuvent de manière générale :
1) Ne pas comprendre leur diagnostic médical, ses implications ainsi que les traitements ou recommandations qui en découlent;
2) Perdre contact avec la réalité : présenter des hallucinations visuelles et
auditives;
3) Perdre le contrôle de leurs émotions et de leur colère;
4) Présenter des comorbidités importantes et chroniques;
5) Tenir des propos incohérents ou fabuler, et ce, même si elles semblent tout à fait lucides;
6) Ne pas être en mesure de prendre des décisions pour elles-mêmes ».
« À l’égard de ces extraits, malgré la grande vulnérabilité de ces personnes et leur état de santé, la journaliste n’a pas procédé avec prudence à l’égard de l’information reçue, elle n’a pas procédé aux vérifications qui s’imposaient auprès des personnes pertinentes tant du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal qu’auprès des représentants légaux de ces résidents inaptes », déplore la plaignante.
La rédactrice en chef du Devoir considère que l’article du Guide visé par la plainte ne discrédite pas « d’emblée les témoignages de personnes en situation de vulnérabilité, ce que les plaignants semblent suggérer ». Selon elle, « c’est précisément parce que ces personnes vulnérables se retrouvent souvent laissées pour compte et n’ont pas de lobby ou de porte-voix destinés à les représenter haut et fort que les journalistes, lorsque le contexte le commande, peuvent relayer leur vision des choses. Coupés de leurs familles et de leurs proches aidants pendant la pandémie, ces usagers vulnérables n’ont pu se faire entendre qu’à travers les plaintes du personnel soignant à leurs côtés. Nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec trois résidents du CHSLD et de leur donner une voix. »
La journaliste Stéphanie Vallet juge impensable « d’envisager d’écarter le témoignage d’une personne sur la simple base de sa vulnérabilité. Raconter les histoires de personnes ayant des troubles de santé mentale ou physique fait partie intégrante de notre métier. Il faut bien entendu prendre les précautions de base afin de respecter les normes du métier. Ce qui a été le cas ici. »
Il ressort clairement de l’article que les résidentes sont des personnes vulnérables, notamment en raison des problèmes de santé physique et mentale avec lesquels elles vivent et l’isolement auquel elles font face. Une fois que ce fait est bien établi, l’analyse de ce grief doit déterminer si les mis en cause ont manqué de prudence en rapportant leurs propos.
La plaignante ne démontre pas en quoi la journaliste a manqué de prudence ni quels sont les éléments qui auraient causé du tort aux résidentes.
À la lecture de l’article, on constate que les mis en cause ont protégé l’identité des résidentes en leur accordant l’anonymat. Il s’agit d’un procédé utilisé par les journalistes pour protéger les personnes vulnérables dont ils rapportent les propos. L’article 12.1 du Guide explique que les journalistes octroient l’anonymat lorsqu’une source peut subir un préjudice si son identité est dévoilée, que l’information est d’intérêt public et que l’information ne peut raisonnablement être obtenue autrement.
Ainsi, en accordant l’anonymat aux résidentes, les mis en cause ont fait preuve de prudence, de sorte que leurs propos ne leur nuisent pas.
Grief 3 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
3.1 Propos des résidentes
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources dans les passages suivants :
- « Sa demi-porte lui a été retirée il y a deux semaines, après plusieurs mois durant lesquels elle ne pouvait voir à l’extérieur de sa chambre, de son fauteuil roulant. “C’est invivable. Ça fait plus que huit mois qu’on est enfermés, confinés à nos chambres, entre quatre murs, sans droit de visite la plupart du temps, sans accès à l’extérieur.” »
- « Une autre résidente de l’étage, dans la cinquantaine, souffre de diabète sévère et instable qui nécessite un suivi serré. Elle s’est vu ajouter un troisième loquet à sa demi-porte alors qu’elle tentait de sortir de sa chambre pour demander de l’assistance quand elle tombait en hypoglycémie. “Ils me l’ont enlevé il y a un mois, mais je l’ai eu tout le long de la pandémie. J’ai un diabète très mal contrôlé. Je fais du up and down. Je dois sonner pour qu’une préposée vienne voir ce qu’il se passe [et prenne sa glycémie]. Mais il n’y a jamais personne qui vient. Pourtant, ils sont avertis. Mon diabète n’est pas balancé, quand je sonne c’est qu’il est trop bas. Je sortais pour les avertir au poste des infirmières. Ils ne viennent pas quand je sonne, j’ai peur qu’un jour ils vont me trouver à terre”, s’inquiète-t-elle. »
- « “L’éducatrice m’a dit hier que je n’avais plus le droit de sortir entre 22 h et 9 h le matin. Je peux bien être libre de faire ce que je veux, je ne dérange personne. Pourquoi on m’interdit ça à 76 ans ? Je vais mourir bientôt, mais je voudrais être heureuse avant de mourir”, dit-elle ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources sur ce point.
Analyse
Pour chacun des passages visés, la plaignante fait valoir que l’information « a été recueillie auprès d’une personne vulnérable en perte d’autonomie ». Elle estime que « cette information aurait dû faire l’objet d’une vérification afin d’en assurer la fiabilité, ce que la journaliste a négligé de faire ».
La plaignante reproche à la journaliste d’avoir « manqué à ce devoir déontologique notamment en ce qu’elle n’a aucunement validé les informations en lien avec ces témoignages avec le médecin de l’unité qui lui a accordé une entrevue. Il a été spécifié à la journaliste qu’un gérontopsychiatre, des techniciens en éducation spécialisée, une infirmière, un technicien en loisirs ainsi qu’une équipe spécialisée dans les symptômes psychologiques et comportementaux de la démence (SPCD) sont présents sur cette unité. Tous ces intervenants auraient été en mesure de répondre aux questions de la journaliste afin qu’elle puisse vérifier la fiabilité des informations qu’elle avait reçues, contextualiser les témoignages et ainsi faire preuve de la prudence requise par les règles déontologiques avant de diffuser les propos de personnes en situation de vulnérabilité. La journaliste n’a pas demandé à interroger d’autres représentants du CIUSSS. »
Mme Chouinard répond à la plaignante que l’établissement « ne peut refuser aux résidents sous tutelle de s’exprimer. La tutelle, comme la curatelle, les dispense de leurs responsabilités administratives, mais ne suspend pas leur liberté d’expression. Surtout s’il est question de la qualité des soins qu’ils reçoivent. À qui une personne sous curatelle doit-elle s’adresser alors si elle est victime de négligence dans un établissement de santé ? »
« Raconter les histoires de personnes ayant des troubles de santé mentale ou physique fait partie intégrante de notre métier. Il faut bien entendu prendre les précautions de base afin de respecter les normes du métier. Ce qui a été le cas ici », ajoute la journaliste Stéphanie Vallet.
Mme Chouinard précise également que les témoignages des résidentes ont été corroborés : « Le caractère confidentiel des témoignages de plusieurs sources anonymes ayant permis de corroborer les faits avancés par des résidents et des employés ne nous permet pas de divulguer leur rôle dans l’établissement ».
Il est important de distinguer la fiabilité d’une personne et la fiabilité des informations qu’elle fournit. La décision antérieure D2021-03-059 rappelle que « l’analyse d’un grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source consiste à déterminer non pas la fiabilité d’une personne à titre d’individu, mais plutôt la fiabilité des informations qu’elle avance. Cette fiabilité peut être évaluée selon les connaissances ou l’expérience de la personne, par exemple, ou selon son rôle à titre de témoin d’un événement, ou de porte-parole d’un organisme lié à la nouvelle. La déontologie rappelle que les journalistes doivent prendre les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources. »
Ainsi, dans le cas présent, l’analyse doit porter sur la fiabilité des informations transmises par les trois résidentes qui s’expriment dans l’article. Il s’agit de déterminer si la journaliste a pris les moyens nécessaires pour valider la fiabilité des informations qu’elles ont fournies.
La fiabilité des informations transmises par une source s’évalue notamment en prenant en considération que ces sources ont été témoin des événements qu’ils rapportent, ce qui est le cas pour les résidentes dont les propos sont rapportés dans l’article. Dans les passages visés, les résidentes témoignent de la présence des demi-portes pendant une longue période et de l’impact qu’elles ont eu sur leur santé et leur quotidien. Outre le fait que les résidentes s’expriment sur ce qu’elles ont vécu, la journaliste a effectué les corroborations nécessaires pour valider la fiabilité de ces informations avant de les inclure dans son article.
3.2 Propos de Camille Ponce-Lagos
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par Camille Ponce-Lagos dans les passages suivants :
- « Aide de service au sein de l’établissement pendant la pandémie, Camille Ponce-Lagos confirme que cette résidente a développé une blessure aux fesses à force d’être trop assise, confinée dans sa chambre. »
- « “Elle a commencé à avoir plus d’épisodes dépressifs, ce qui a forcé à donner des doses plus fortes de médication. Maintenant, elle dort toute la journée, apparemment assommée par les drogues. »
- « “Au fil de mon travail à cet établissement, j’ai constaté comment l’état de santé psychologique et physique des résidents s’est détérioré en raison de la sédentarité à laquelle ils sont forcés. Ils ont développé des blessures physiques à force de rester assis ou couchés dans la même position. Quant à la santé mentale, elle s’est beaucoup dégradée de par l’imposition d’un confinement presque total, en ne pouvant interagir ni marcher librement pendant des mois. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources sur ce point.
Analyse
La plaignante considère que ces informations provenaient « d’une source qui n’avait pas la compétence nécessaire pour poser ce diagnostic. Elle n’avait pas d’accès aux dossiers médicaux et ne possède pas les compétences cliniques lui permettant de faire ces affirmations, d’autant plus qu’au moment de la publication de l’article, elle n’était plus affectée à cette unité depuis plus de 6 mois. La journaliste n’a pas pris les moyens nécessaires afin de s’assurer de garantir une information de qualité. Cette information aurait pu et aurait dû faire l’objet d’une vérification diligente auprès des personnes pertinentes. Ce que la journaliste a négligé de faire. »
Selon la plaignante, Mme Ponce-Lagos ne disposait pas « des compétences pour évaluer l’état de santé des résidentes », alors qu’elle est citée « à plusieurs reprises à cette fin dans l’article ».
Elle ajoute que « bien que le médecin travaillant sur l’unité spécifique où sont hébergées les résidentes concernées par l’article ait accordé une entrevue à la journaliste le 4 mars, cette dernière n’a pas procédé aux vérifications nécessaires des informations transmises au sujet des résidentes. » Elle déplore que « bien que des dizaines d’autres employés qualifiés travaillant quotidiennement auprès de cette clientèle aient pu être interrogés par madame Vallet et bien qu’une dizaine de proches aidants visitant cette unité plusieurs fois par semaine aient également pu être questionnés par la journaliste, elle ne l’a pas fait. »
La rédactrice en chef du Devoir expose les moyens pris pour vérifier la fiabilité des informations transmises par leurs sources : « Nous avons corroboré les témoignages et nous sommes assurés qu’ils n’étaient pas contaminés les uns par les autres. Nous avons fait appel à des experts externes pour mesurer la véracité et fiabilité de certaines affirmations. Nous avons parlé à des membres du personnel de manière anonyme. En outre, plusieurs des affirmations soulevées dans l’article n’ont pas été niées par le coordonnateur Lucien Deslauriers, à qui nous avons laissé l’occasion d’exprimer son désaccord là où il souhaitait le faire. »
Mme Chouinard ajoute : « En plus des deux aides de services qui ont témoigné à visage découvert, d’autres sources ont contacté Le Devoir (…) Ces sources confidentielles nous ont partagé des courriels de plaintes envoyées au CIUSSS [du Nord-de-l’Île-de-Montréal] dénonçant la même situation que celle exprimée dans l’enquête. À la suite de la publication de cette dernière, de nouveaux témoignages d’ex-employés et employés nous ont été communiqués, ajoutant de nouvelles données et corroborant les faits diffusés. »
Au sujet de la blessure aux fesses d’une résidente, Mme Chouinard maintient que cette blessure « a non seulement été relatée par un usager, mais elle fut corroborée par le personnel soignant ».
La rédactrice en chef défend également la fiabilité des informations transmises par les aides de service : « Quant au fait d’avoir recouru aux témoignages d’aides de services, nous précisons que leur rôle pendant la pandémie a été central et elles ont été particulièrement proches des résidents. Les Forces armées canadiennes notent d’ailleurs dans leur rapport que “les aides de services effectuent des tâches générales en soutien à l’établissement. Les tâches effectuées les plus courantes dans l’établissement se résument au nettoyage des chambres, à la distribution des repas, à la gestion d’équipement et la buanderie. Les aides de services réconfortent les patients et soutiennent les ÉS [équipe de soins] au besoin.” Elles avaient donc un accès privilégié aux résidents qu’elles faisaient autant manger que marcher. Elles étaient aussi en charge de les distraire alors qu’ils étaient confinés. C’est ainsi qu’elles se sont aperçues de leur détresse et ont choisi de parler au Devoir. Pour toutes ces raisons, nous les considérons comme des sources fiables et solides. »
La plaignante ne démontre pas que les informations transmises par les sources n’étaient pas fiables ni que la journaliste n’a pas pris les moyens nécessaires pour valider ces informations.
Bien que la plaignante eût souhaité que la journaliste interviewe d’autres membres du personnel de l’établissement, « le choix d’une source reste la prérogative du journaliste », comme le souligne la décision D2020-02-023(2).
Pareillement, dans le cas présent, bien que la plaignante considère que Camille Ponce-Lagos ne disposait pas « des compétences pour évaluer l’état de santé des résidentes », la journaliste pouvait recueillir des informations auprès de cette aide de service à condition de vérifier l’information auprès d’autres sources, ce qu’elle a fait.
À la lecture de l’article, on constate que les informations sur la santé des patientes fournies par Mme Ponce-Lagos ne sont pas présentées comme des diagnostics, mais plutôt comme des constatations faites par une personne qui les côtoie régulièrement.
Grief 4 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ». (article 9 c) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’impartialité en prenant parti en faveur d’un point de vue particulier.
Décision
Le Conseil rejette le grief de partialité.
Analyse
La plaignante indique que « les représentants du CIUSSS qui ont eu à interagir avec la journaliste ont observé un biais de la part de celle-ci. Ce biais est observable dans les refus systématiques de consulter la documentation nécessaire à la vérification des faits, de venir sur place pour rencontrer d’autres sources, ainsi que dans une mauvaise foi manifeste. »
Elle ajoute : « Lors de l’entrevue, la journaliste a – sans raison apparente – remis en doute l’intégrité de notre établissement à plusieurs reprises. Par exemple en insinuant que nos registres n’étaient pas fiables ou encore en questionnant l’utilité du Commissaire local aux plaintes et à la qualité des services. Lors d’un échange téléphonique à la suite de l’entrevue, la journaliste a déclaré à la représentante du CIUSSS que ce dernier “devrait arrêter de se cacher derrière les diagnostics des gens pour les traiter comme des animaux”. »
La rédactrice en chef du Devoir considère qu’« il ne faudrait pas confondre ici l’hypothèse de départ d’une enquête (ici un questionnement entourant certaines pratiques au CHSLD St-Laurent) avec un parti pris. »
Selon elle, « aucun parti pris n’est présent dans l’enquête publiée par Le Devoir. Les intervenants avec qui nous avons eu à interagir dans le cadre de cette enquête ont été sollicités. Ils ont choisi de nier chacune des allégations qui se retrouvent à travers les témoignages recueillis. Ils estiment que les témoignages des sources sont non crédibles, car ces sources sont trop vulnérables pour être crédibles, ou trop partiales. Le fait que la journaliste du Devoir choisisse de croire à la fiabilité de ses sources au terme d’une démarche de vérification des faits allégués, ne fait pas d’elle une reporter partiale. »
En basant son allégation sur la démarche de la journaliste, la plaignante semble faire un procès d’intention à la journaliste. Or, un grief de partialité s’analyse sur la base des éléments du reportage qui témoigneraient d’un parti pris.
Le dossier D2020-04-056 visait également la démarche du journaliste plutôt que son reportage. Dans ce cas, le plaignant considérait que le journaliste avait fait preuve de partialité parce qu’il « accumul[ait] depuis deux ans des documents sur Lino Saputo et des membres de sa famille ». Selon lui, cela témoignait d’un parti pris. Dans sa décision, le Conseil a rejeté le grief en faisant notamment valoir que le plaignant semblait prêter des intentions au journaliste. Le Conseil a appuyé son argumentaire sur la décision antérieure D2015-02-089 où le grief de partialité avait été rejeté considérant que l’affirmation de la plaignante « relev[ait] davantage du procès d’intention que du fait vérifiable ». Cette décision rappelait qu’« afin d’établir que le journaliste a fait preuve de partialité, il faudrait montrer qu’il a commenté les faits, en émettant une opinion, par exemple. »
Tout comme dans ces deux dossiers antérieurs, la plaignante du présent dossier n’indique aucun terme ou passage de l’article qui témoignerait d’un parti pris de la journaliste envers un point de vue en particulier. La décision D2021-01-020 rappelle que « la partialité se manifeste généralement par le choix de termes ou d’expressions connotés, ou une appréciation personnelle des faits, qui ont pour effet d’orienter le public dans sa compréhension des événements. »
Dans le cas présent, en l’absence d’un terme ou d’un passage soumis par la plaignante, on ne peut pas conclure que la journaliste a fait preuve de partialité.
Grief 5 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence dans l’article visé par la plainte.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Analyse
La plaignante déplore que « bien que le médecin de l’unité et le coordonnateur du CHSLD aient accordé une entrevue d’une heure à Mme Vallet, les propos de ces derniers n’occupent que 12 % (404 mots) de tout l’article. Même la gérontopsychiatre citée dans l’article, Dre Jessica Desruisseaux – qui ne livre pas son avis d’expert sur l’unité spécifique, mais sur des unités dont les missions sont complètement différentes – occupe près de 19 % de l’article, avec 620 mots. »
Selon elle, « la journaliste fait ainsi un traitement inéquitable de l’information. Le ratio accordé à l’information reçue lors de l’entrevue accordée par le médecin de l’unité et par le coordonnateur du CHSLD est déraisonnablement bas. Par ailleurs, notons que considérant que les unités “régulières” et l’unité spécifique telle que celle concernée en l’espèce ne peuvent pas se comparer, le ratio accordé à l’opinion de Dre Desruisseaux est déraisonnablement élevé. »
La plaignante indique que « lors de cette entrevue d’une heure accordée par le coordonnateur du CHSLD St-Laurent et le médecin de l’unité spécifique, ils n’ont jamais été questionnés de manière précise sur les faits allégués dans l’article. »
Dans sa réponse à la plainte, Marie-Andrée Chouinard souligne que le principe du Guide sur l’équilibre invite « les journalistes à rapporter des informations équilibrées en faisant, “dans le traitement d’un sujet, une présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence”. Le mot “juste” n’est pas synonyme ici d’égalité. Rien ne nous obligeait ici à déployer autant d’espace pour offrir aux plaignants une version équivalente à celle des nombreuses sources et témoins interrogés dans le cadre de ce reportage. Toutefois, leurs désaccords, précisions et nuances ont tous été rapportés, et rien d’essentiel dans leur témoignage n’a été éludé. »
Elle observe qu’« un entretien de plusieurs précieuses minutes se résum[e] souvent à très peu de choses dans un article, l’important étant que le reporter soit fidèle au sens général des propos et n’élude aucune information essentielle à la compréhension de son texte. Ces principes ont été rigoureusement respectés ici. »
Mme Chouinard assure que les représentants du CIUSSS ont « eu l’occasion de répondre à chacune des allégations et [leur] version des faits a été citée pour chacune, sans exception. Chaque allégation a été transmise au CIUSSS lors de cette entrevue. Bien sûr, il n’a pas été possible de donner suite aux demandes qui auraient permis d’identifier les sources confidentielles grâce auxquelles ce reportage a été rendu possible. Le refus de répondre à des questions afin de protéger l’identité des sources ne doit pas être interprété comme une absence de transparence de la journaliste. »
Le principe d’équilibre exige que les journalistes et les médias présentent une « juste pondération du point de vue des parties en présence ». Cela ne signifie pas que chacun des points de vue doive occuper un espace équivalent dans l’article.
Plusieurs décisions antérieures (D2018-01-014 et D2015-10-052) rappellent que « l’équilibre ne se mesure pas seulement de façon quantitative, sur la base d’un nombre de lignes […] Elle doit être évaluée de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public ».
Tout comme les décisions antérieures l’indiquent, l’analyse doit s’attarder à la présence des points de vue de chacune des parties plutôt qu’à en comparer la longueur. Ainsi, dans le cas présent, il apparaît que l’article rapporte les réponses des responsables du CHSLD Saint-Laurent aux reproches formulés par les employées et les patientes citées dans l’article, ce qui respecte le principe d’équilibre.
Grief 6 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont omis des informations essentielles à la compréhension du sujet du reportage dans le passage suivant :
« Pouvaient-ils également sortir de leur chambre ? “Un gros oui, absolument ! Les gens sortaient tous les jours”, lance le chef de direction qui a plutôt opté pour des demi-barrières en plastique comme celles qui sont utilisées pour la sécurité des jeunes enfants lors des isolements. “Ce sont des personnes qui ont le droit de vivre. On peut leur demander de respecter les deux mètres, mais dans les faits, ça n’arrive pas. Mais en fin de compte, les autres résidents sont leur famille”, ajoute M. [Pierre] Bélanger qui a plutôt choisi de mettre le fardeau de la sécurité sur ses employés. “Les restrictions doivent être appliquées à toute personne qui a un contact à l’extérieur. C’est eux qu’on doit mettre en plastique pour protéger nos résidents”, estime M. Bélanger. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
La plaignante déplore que l’article ne fasse pas mention du fait que le profil des patients hébergés dans l’unité du CHSLD Saint-Laurent au cœur du reportage est différent de celui des personnes résidant au CHSLD des Patriotes, propriété du groupe dirigé par Pierre Bélanger dans le passage ci-dessus.
La plaignante affirme : « En aucun point est-ce qu’une unité spécifique telle que celle dont il est question dans l’article ne peut être comparée avec une unité “régulière” d’un CHSLD. En effet, le profil des patients est complètement différent de celui qu’on retrouve dans les unités plus “régulières” des centres d’hébergement. Le profil des patients d’une unité spécifique comme celle-ci n’est également pas le même que celui des patients hébergés dans les unités prothétiques. »
La rédactrice en chef soutient que « l’information présentée était complète et nous n’avons éludé dans ce témoignage aucun élément essentiel. »
Contrairement à ce qu’allègue la plaignante, l’article n’a pas omis d’information essentielle à la compréhension du sujet puisqu’on y fait le portrait de la clientèle de l’unité du cinquième étage dans les passages suivants :
- « M. Deslauriers explique que la clientèle du 5e étage est aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais aussi des troubles de comportement souvent graves, “qui sont dangereux pour autrui”. “Oui, il y avait le contexte de la pandémie qui disait que la personne ne respectait pas le confinement, mais encore là, c’était sous forme de 14 jours ou autre pas des mois”, lance-t-il. »
- « Pour le médecin de famille de l’unité, le Dr Abdelkader Bouallegue, l’utilisation de demi-portes était justifiée dans les circonstances. “En cas de détection d’une nouvelle positivité au COVID, on ne doit confiner que les personnes faisant partie de la même bulle. Malheureusement, cette bulle ne peut être […] respectée au 5e étage. Il arrive en effet que ces personnes n’aient pas la possibilité d’observer les consignes et la discipline. Ils font aussi énormément d’errance et rentrent dans les chambres. À partir du moment où on est au cœur de cette pandémie, les problèmes de contact deviennent alarmants pour le personnel ici”, précise le Dr Bouallegue, confiné à domicile lors de la première vague à cause de son âge. »
Les informations fournies dans ces passages permettent aux lecteurs de constater que cette unité n’accueille pas la même clientèle qu’« une unité “régulière” d’un CHSLD ». La distinction entre la clientèle de l’unité du 5e étage et celle du CHSLD des Patriotes que souhaitait la plaignante se trouve dans l’article. Les mis en cause n’ont donc pas omis d’information essentielle à la compréhension du sujet.
Grief 7 : correction insuffisante des erreurs
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont contrevenu à leur obligation de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil rejette le grief de correction insuffisante des erreurs.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique aux griefs précédents, les mis en cause n’avaient pas à apporter de correctif à l’article visé par la plainte.
Grief non recevable : non-respect de la vie privée et de la dignité
La plaignante considère que l’article viole le droit à la vie privée des résidentes parce que « la journaliste n’a pas obtenu le consentement des représentants légaux de ces résidentes pour divulguer des éléments de leur état de santé ».
En vertu d’une modification apportée au Règlement 2, entrée en vigueur le 25 mars 2022, l’article 13.10 prévoit que la personne qui allègue un manquement au principe de la protection de la vie privée et de la dignité « doit être directement visée par le manquement allégué, ou un proche agissant en son nom ». Or, la plaignante n’indique pas qu’elle agit au nom des personnes touchées par ce manquement allégué. Les changements adoptés ont pris effet immédiatement et s’appliquent à tous les dossiers en cours.
Grief non recevable : manque de rigueur de raisonnement
La plaignante affirme que la journaliste fait une « comparaison trompeuse ne tenant pas compte de la mission de l’unité spécifique ».
En vertu d’une modification au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, entrée en vigueur le 25 mars 2022, le principe de rigueur de raisonnement a été supprimé. Ce changement s’applique à tous les dossiers en cours. Dans ce contexte, le grief est non recevable puisqu’il ne porte pas sur un manquement potentiel au Guide, or l’article 13.01 du Règlement 2 prévoit qu’« une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Karine Morier, directrice adjointe des communications et des relations avec les médias, déposée au nom du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal visant l’article « Des résidents du CHSLD Saint-Laurent enfermés pendant des mois dans leur chambre », de la journaliste Stéphanie Vallet, publié dans Le Devoir, le 5 mars 2021. Les griefs d’informations inexactes, de manque de prudence concernant des propos de personne en situation de vulnérabilité, de manque de fiabilité des informations transmises par les sources, de partialité, de manque d’équilibre, d’information incomplète et de correction insuffisante des erreurs sont rejetés. Les griefs de non-respect de la vie privée et de la dignité et celui de manque de rigueur de raisonnement sont non recevables.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentantes des journalistes :
Madeleine Roy
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse :
Maxime Bertrand
Éric Grenier