Plaignant
Attila Peter
Mis en cause
Jérémy Bernier, journaliste
Le Journal de Québec
Québecor Média
Résumé de la plainte
Attila Peter dépose une plainte le 29 avril 2021 au sujet de l’article « Des Beaucerons embarrassés » du journaliste Jérémy Bernier, publié sur le site web du Journal de Québec, le 17 avril 2021. Le plaignant déplore un manque de fiabilité des informations transmises par une source et de la partialité. Le grief de discrimination a été jugé irrecevable (voir les explications à la fin de la décision).
CONTEXTE
Au moment des faits, le Québec se trouve dans la troisième vague de COVID-19. La région administrative de la Chaudière-Appalaches est en « zone rouge » et l’on y observe une augmentation importante des cas de COVID-19. Des mesures spéciales d’urgence sont en place dans cette région. Durant des activités extérieures en groupe, le port du masque est obligatoire lorsque les personnes n’habitent pas ensemble, sauf si elles sont à deux mètres de distance. Une partie de la population du Québec, dont celle de la Beauce, doit respecter un couvre-feu à 20 h.
L’article fait état d’une manifestation à Saint-Georges, en Beauce, qui regroupe plus de 400 participants, et rapporte que « des citoyens de la Beauce en ont plus qu’assez qu’une minorité de leur population les fasse passer pour “des imbéciles” ». Le journaliste indique que les manifestants ne portent pas ou portent mal le masque. Les policiers de la Sûreté du Québec qui étaient sur les lieux ont procédé à des arrestations et ont remis des constats d’infractions pour « non-port du masque ». Les participants à la manifestation dénoncent une « fausse pandémie » et appellent au boycottage des médias. L’article cite la co-organisatrice de la manifestation, Chantale Giguère, qui soutient qu’on « raconte des mensonges par-dessus mensonges. On sait tous que [les mesures] ne servent à rien ». Le journaliste souligne que « les propos tenus par Mme Giguère et son groupe sont loin de faire l’unanimité à Saint-Georges. Le Journal l’a d’ailleurs constaté lorsque des citoyens sont sortis de leur maison pour invectiver les manifestants, affirmant que c’était de leur faute si la Beauce était durement touchée ».
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : manque de fiabilité des informations transmises par une source
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a pris les moyens raisonnables pour évaluer les informations transmises par sa source, afin de garantir au public une information de qualité. Le plaignant vise les propos d’un Beauceron, Robert Maurais, que le journaliste cite dans le passage suivant :
« “C’est une infime partie des gens qui font passer la majorité pour des imbéciles”, déplore Robert Maurais, rencontré un peu plus tard à quelques rues de la manifestation. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 11 du Guide.
Analyse
Le plaignant soutient qu’il a « demandé par courriel au journaliste de l’informer de la manière [dont] il a évalué la fiabilité de l’information comme quoi c’est une infime partie des gens qui s’opposent aux mesures sanitaires ». Il indique que le journaliste ne lui a « pas répondu » et « suppose qu’il n’a fait que citer le citoyen en question, sans faire aucune vérification de l’exactitude de ses affirmations ».
Contrairement à ce que suggère le plaignant, cette citation n’expose pas de faits à vérifier; elle relève plutôt de l’opinion d’un citoyen de Saint-Georges, Robert Maurais, qui est mécontent de la manifestation ayant cours dans sa ville et qui estime que ces manifestants « font passer la majorité pour des imbéciles ». Plus loin dans l’article, le journaliste précise d’ailleurs que M. Maurais est un « citoyen de Saint-Georges en colère ». Le journaliste pouvait parfaitement transmettre le témoignage de M. Maurais, qui avait un point de vue légitime à titre de citoyen de Saint-Georges, où se déroulait la manifestation, et qui pouvait exprimer ses opinions, tout comme les manifestants d’ailleurs.
De plus, d’autres sources citées dans le reportage partagent l’opinion de Robert Maurais, comme le maire de Saint-Georges, Claude Morin, qui « déplore que cet événement donne une mauvaise image de sa ville, alors qu’une bonne partie des participants venait d’ailleurs ». Il soutient également qu’une « manifestation comme ça, ce n’est pas bon pour la réputation des Beaucerons ».
Dans un dossier similaire (D2020-02-023(2)), le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source a été rejeté, car la journaliste rapportait ici aussi l’opinion d’une source plutôt. La plaignante considérait que « le choix de la source de la journaliste est “très questionnable” ». Le Conseil a expliqué que « le choix d’une source reste la prérogative du journaliste qui doit cependant vérifier la fiabilité des informations transmises par sa source. Cependant, dans le cas présent, la journaliste rapporte l’opinion de sa source plutôt que des faits. Au regard de l’article 11 du Guide invoqué par la plaignante, Sébastien Lapierre ne délivre pas une information dont la journaliste aurait dû évaluer la fiabilité. Celle-ci rapporte en effet l’opinion de M. Lapierre sur le moratoire décrété par Parcs Canada et non un fait, et bien que la plaignante se sente visée par ses propos, la journaliste n’a commis aucune faute en les citant ».
De la même manière, dans le cas présent, le journaliste n’a pas manqué d’évaluer la fiabilité des informations transmises par ce citoyen de Saint-Georges qui exprimait son opinion.
Grief 2 : partialité
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
2.1 « Imbéciles »
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier en employant le terme « imbéciles » entre guillemets dans le passage suivant :
« Des citoyens de la Beauce en ont plus qu’assez qu’une minorité de leur population les fasse passer pour “des imbéciles”, alors qu’une manifestation antimasque a réuni plus de 400 complotistes, samedi. »
Le journaliste n’est pas mis en cause dans ce sous-grief, parce que le chapeau (court texte introductif qui résume l’article) et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le plaignant estime que le terme « imbéciles » « dénote un parti pris du journaliste en faveur d’un point de vue particulier ». Il soutient que ce mot a « une forte connotation négative » et qu’il « constitue une invective ». Il soutient qu’en « associant [ce terme] aux manifestants, le journaliste ne semble pas faire d’effort de compréhension envers les motivations des manifestants et se positionne clairement du côté de ceux qui critiquent la manifestation. Pour [lui], ça témoigne de la partialité du journaliste ».
Utilisé entre guillemets, le mot « imbéciles » réfère aux propos d’un citoyen de Saint-Georges, Robert Maurais, rapportés plus loin dans l’article :
« Or, les propos tenus par Mme Giguère et son groupe sont loin de faire l’unanimité à Saint-Georges. Le Journal l’a d’ailleurs constaté lorsque des citoyens sont sortis de leur maison pour invectiver les manifestants, affirmant que c’était de leur faute si la Beauce était durement touchée. “C’est une infime partie des gens qui font passer la majorité pour des imbéciles”, déplore Robert Maurais, rencontré un peu plus tard à quelques rues de la manifestation. »
En plaçant le terme « imbéciles » entre guillemets, le média indique clairement aux lecteurs qu’il cite les propos d’un intervenant de l’article. Ce mot reflète l’opinion de Robert Maurais, et non celle du média.
À ce sujet, les décisions antérieures du Conseil expliquent bien que diffuser les propos d’un intervenant n’équivaut pas à les appuyer. Par exemple, dans le dossier D2017-10-118, le grief de partialité a été rejeté parce que la journaliste n’émettait pas d’opinion. Un plaignant considérait que l’entrevue de la journaliste avec Emilie Nicolas concernant le racisme que cette dernière percevait dans les radios de Québec témoignait d’un parti pris de la journaliste à l’encontre de la station radiophonique CHOI 98,1 Radio X. Or la journaliste se limitait à rapporter les propos de Mme Nicolas et à remettre en contexte la manifestation à laquelle cette dernière faisait référence. Cette décision rappelle également que pour établir qu’un journaliste a fait preuve de partialité, il faut « montrer qu’il a commenté les faits, en émettant une opinion, par exemple ».
Dans le cas présent, le média n’a pas émis de commentaire ou d’opinion sur la manifestation et ses participants, il a plutôt rapporté les propos d’un citoyen sur l’événement, ce qui ne correspond pas à prendre parti en faveur d’un point de vue particulier.
2.2 Antimasque
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier en employant le terme « antimasque » dans le passage suivant :
« Des citoyens de la Beauce en ont plus qu’assez qu’une minorité de leur population les fasse passer pour “des imbéciles”, alors qu’une manifestation antimasque a réuni plus de 400 complotistes, samedi »
Le journaliste n’est pas mis en cause dans ce sous-grief, parce que le chapeau (court texte introductif qui résume l’article) et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le plaignant estime que le terme « antimasque » « dénote un parti pris du journaliste en faveur d’un point de vue particulier ». Il soutient que ce mot a « une forte connotation négative et qu’en l’associant « aux manifestants, le journaliste ne semble pas faire d’effort de compréhension envers les motivations des manifestants et se positionne clairement du côté de ceux qui critiquent la manifestation. Pour [lui], ça témoigne de la partialité du journaliste ».
Le terme « antimasque » reflète pourtant de façon factuelle les informations rapportées dans l’article qui indique d’entrée de jeu que le masque était porté « sous le nez » ou de manière « non réglementaire – les rares fois où il était présent » lors de la manifestation couverte par le média. D’ailleurs, le texte mentionne que les policiers de la Sûreté du Québec ont remis 26 constats « pour non-port du masque » durant l’événement.
De plus, le média cite les propos de la co-organisatrice de la marche, Chantale Giguère, contestant les mesures sanitaires en place : « “On nous raconte des mensonges par-dessus mensonges. On sait tous que [les mesures] ne servent à rien”. » Les photos accompagnant l’article montrent des slogans affichés sur des pancartes qui vont dans le même sens, dont « Ça suffit. Laissez nos enfants respirer » et « Non au masque ». Les manifestants qui apparaissent sur ces images ne portent pas ou portent mal le masque. Le média n’a donc pas fait preuve de partialité en écrivant que la manifestation était « antimasque », car il s’agit d’un fait démontré par plusieurs éléments de l’article.
La partialité se manifeste généralement par le choix de termes ou d’expressions connotés, ou une appréciation personnelle des faits, qui ont pour effet d’orienter le public dans sa compréhension des événements. Par exemple, dans le dossier D2018-10-105, l’expression « une autre tuile s’abat sur la firme Téo Taxi » a été jugée partiale parce que le terme péjoratif « tuile » orientait le lecteur à percevoir de façon négative la syndicalisation des employés de l’entreprise. Contrairement, dans le dossier D2016-11-050, le Conseil a jugé que le titre « Un jeune de 18 ans accusé du meurtre d’un pédophile à Québec » ne témoignait pas d’un parti pris, car tous les éléments du titre étaient factuels. Il s’agissait d’un jeune homme, puisque 18 ans demeure un jeune âge, il était bel et bien accusé de meurtre, et la victime était un ancien pédophile, condamné à deux reprises. Le titre ne contenait aucun terme laissant transparaître un parti pris.
Dans le cas présent, le média n’a pas commis de faute déontologique, car il n’a utilisé aucun terme connoté ou qui démontre un parti pris en utilisant le mot « antimasque » pour qualifier une manifestation où les gens s’opposaient au port du masque.
2.3 Complotistes
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier en employant le terme « complotistes » dans le passage suivant, publié juste sous le titre :
« Des citoyens de la Beauce en ont plus qu’assez qu’une minorité de leur population les fasse passer pour “des imbéciles”, alors qu’une manifestation antimasque a réuni plus de 400 complotistes, samedi. »
Le journaliste n’est pas mis en cause dans ce sous-grief, parce que le chapeau (court texte introductif qui résume l’article) et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le plaignant estime que le terme « complotistes […] dénote un parti pris du journaliste en faveur d’un point de vue particulier ». Il soutient que ce mot a « une forte connotation négative […] En associant [ce terme] aux manifestants, le journaliste ne semble pas faire d’effort de compréhension envers les motivations des manifestants et se positionne clairement du côté de ceux qui critiquent la manifestation ».
Le terme « complotistes » sert à décrire « quelqu’un qui récuse la version communément admise d’un événement et cherche à démontrer que celui-ci résulte d’un complot fomenté par une minorité active », selon le dictionnaire Le Larousse.
Comme au sous-grief précédent, le média ne fait pas preuve de partialité lorsqu’il emploie ce terme dans le titre, car il se base sur des faits rapportés dans l’article. En effet, le profil des manifestants qui y est décrit correspond à la définition du mot « complotistes ». Il importe de souligner que le média n’était pas tenu d’aller s’enquérir des motivations de chaque manifestant afin d’en brosser le portrait type, de manière plus générale. D’abord, les propos de plusieurs manifestants sont rapportés dans l’article. Ils dénoncent notamment une « plan-démie » et une « fausse pandémie » :
« Masque sous le nez ou non réglementaire – les rares fois où il était présent –, les manifestants qui s’opposaient à la “plan-démie” ont parcouru un circuit de quelques kilomètres à Saint-Georges. »
« Les marcheurs, qui dénonçaient une “fausse pandémie”, invitaient au boycottage des médias. L’auteur de ces lignes a d’ailleurs été approché par plusieurs d’entre eux, qui l’ont sommé de “dire la vérité”. »
« “On nous raconte des mensonges par-dessus mensonges. On sait tous que [les mesures] ne servent à rien”, a lancé Chantale Giguère, coorganisatrice de la marche. »
De plus, le reportage vidéo et les photos accompagnant le texte montrent des slogans comme « Les placebos ne fonctionnent pas, le temps l’a montré! » et « Pino Arruda. Le menteur. Le menteur. Le menteur. Crédibilité – 1000 » sur les pancartes brandies lors du rassemblement.
L’ensemble de ces propos et de ces images indique que ces manifestants ont fait savoir qu’ils adhèrent à une théorie du complot voulant que la pandémie n’existe pas et qu’elle aurait été créée pour contrôler la population.
Le Journal de Québec n’a donc pas fait preuve de partialité en employant le mot « complotistes » pour identifier les participants à la manifestation, car ce terme reflète la réalité constatée lors de l’événement.
Grief non recevable : discrimination
Discrimination: « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le plaignant soutient que « les termes “antimasque”, “complotistes” et “imbéciles” constituent à [s]on sens des représentations ou des termes qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés envers le groupe de manifestants qui font le sujet de l’article ».
Un grief visant le principe déontologique de discrimination (Guide, article 19) doit comporter un motif discriminatoire, c’est-à-dire qu’il doit concerner des personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles telles que la race, l’orientation sexuelle, le handicap, ou la religion, notamment.
Le fait de prendre part à une manifestation ou une autre ne correspond pas à une caractéristique personnelle. La plainte n’est donc pas recevable en vertu de l’article 13.09 du Règlement 2 du Conseil de presse du Québec qui stipule qu’un « grief visant le principe déontologique de discrimination doit comporter un motif discriminatoire. Le Conseil se base sur la liste des caractéristiques personnelles établie par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à savoir la race, le sexe, la couleur, l’orientation sexuelle, l’âge, l’identité ou l’expression de genre, l’état civil, la religion, la grossesse, la langue, les convictions politiques, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale et le handicap ».
En l’absence d’un motif discriminatoire reconnu, ce grief est irrecevable.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Attila Peter au sujet de l’article « Des Beaucerons embarrassés » du journaliste Jérémy Bernier, publié sur le site web du Journal de Québec. Les griefs de manque de fiabilité des informations transmises par une source et de partialité ont été rejetés. Le grief de discrimination a été jugé irrecevable.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault