D2021-09-152

Plaignante

Mélanie Ouimet

Mis en cause

Clara Loiseau, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 20 septembre 2021

Date de la décision

Le 24 février 2023

Résumé de la plainte

Mélanie Ouimet dépose une plainte le 20 septembre 2021 au sujet de l’article « Variant et 3e dose » de la journaliste Clara Loiseau, publié dans Le Journal de Montréal le 19 septembre 2021. La plaignante déplore un manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source et du sensationnalisme.

Contexte

En septembre 2021, au moment de la publication de l’article en cause, le Québec était aux prises avec la pandémie de COVID-19 depuis un an et demi et se trouvait en plein cœur de la quatrième vague causée par le variant Delta. On craignait aussi l’arrivée d’un nouveau variant appelé Mu. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) rapportait qu’environ 75 % de l’ensemble de la population québécoise était adéquatement vacciné, ayant reçu deux doses.

Dans l’article visé par cette plainte, la journaliste Clara Loiseau questionne trois experts pour dresser un portrait des différents enjeux liés à la pandémie au Québec. Son texte, présenté sous forme de questions-réponses, rapporte les propos de Christian Jacob, président de l’Association des microbiologistes du Québec, de Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, et d’Alain Lamarre, professeur-chercheur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Griefs de la plaignante

Grief 1 : manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source

Principe déontologique applicable

Fiabilité des informations transmises par une source : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

1.1 Hospitalisations

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leur source dans le passage retranscrit ci-dessous : 

« Depuis la mi-août, les cas et les hospitalisations sont de nouveau en hausse dans la province, et ce sont particulièrement les adultes de moins de 40 ans qui se retrouvent avec des symptômes graves. Pour Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, cela montre bien l’importance du vaccin puisque ce sont ces populations qui sont les moins vaccinées. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source sur ce point.

Analyse

La plaignante affirme que « les chiffres officiels sur le site de l’INSPQ » témoignent d’une « autre réalité ». Elle joint à sa plainte une capture d’écran d’un graphique provenant du site Internet de l’INSPQ nommé « Répartition des hospitalisations en cours liées à la COVID-19 au Québec selon le groupe d’âge ». Elle souligne que ce graphique, qui remonterait au 19 septembre 2021, montre « clairement que les moins de 40 [ans] représentent seulement 16 % de toutes les hospitalisations. Nous aurions même pu inclure les personnes de moins de 50 ans et nous n’aurions que 28,2 %. Ce qui est encore bien en dessous d’une majorité. »

Toujours en se basant sur le graphique qu’elle a fourni, elle ajoute que « les personnes âgées de plus de 70 ans représentent 38,6 %; [elles] représentent encore une fois, comme depuis le début de la pandémie, les personnes les plus à risque et donc, les plus hospitalisées […] ».

Cependant, à la lecture du passage, on constate que la journaliste n’affirme pas, comme l’allègue la plaignante, que les moins de 40 ans comptent pour la majorité des hospitalisations. Lorsque Mme Borgès Da Silva  déclare que « les cas et les hospitalisations sont de nouveau en hausse dans la province », elle ne précise pas quels sont les groupes d’âge visés. C’est seulement dans la seconde partie de la phrase (« ce sont particulièrement les adultes de moins de 40 ans qui se retrouvent avec des symptômes graves ») qu’il est question des moins de 40 ans. De plus, la journaliste ne spécifie pas si ces symptômes sont suffisamment graves pour nécessiter des hospitalisations. Il y a donc ici interprétation de la part de la plaignante.

Par ailleurs, la plaignante n’apporte pas la preuve que la journaliste avait une quelconque raison de douter de la fiabilité des informations transmises par la spécialiste qu’elle a consultée, Roxane Borgès Da Silva. Professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Mme Borgès Da Silva détient un doctorat en administration de la santé et a réalisé un stage postdoctoral au département d’épidémiologie de l’Université McGill. Elle est également affiliée au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’Île-de-Montréal et au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent. Ses qualifications lui confèrent une crédibilité manifeste. Comme le rappelle la décision antérieure D2021-03-059, « l’analyse d’un grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source consiste à déterminer non pas la fiabilité d’une personne à titre d’individu, mais plutôt la fiabilité des informations qu’elle avance. Cette fiabilité peut-être évaluée selon les connaissances ou l’expérience de la personne, par exemple, ou selon son rôle à titre de témoin d’un événement, ou de porte-parole d’un organisme lié à la nouvelle. » 

En vérifiant l’expertise de Mme Borgès Da Silva en matière d’épidémiologie, la journaliste a pris les moyens raisonnables pour s’assurer de la fiabilité des informations que celle-ci lui transmettait. Les qualifications et le parcours professionnel de Mme Borgès Da Silva font d’elle une source crédible dans le cadre de cet article sur les enjeux du moment liés à la COVID-19. Enfin, les journalistes n’ont pas à valider toutes les informations qui leur sont fournies par des spécialistes, ce qui serait impossible. C’est justement en raison de leur expertise dans un domaine précis qu’ils consultent de telles sources.

1.2 « 75 ans et plus »

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leur source dans la citation de Roxane Borgès Da Silva retranscrite ci-dessous :

« “On voit que chez les 75 ans et plus on a atteint des couvertures vaccinales en haut de 90 %, donc dans ce contexte, ce ne sont pas ces personnes-là qui se retrouvent à l’hôpital, ce sont vraiment les personnes qui ne sont pas vaccinées”, affirme-t-elle. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source sur ce point. 

Analyse

La plaignante soutient que « le graphique de l’INSPQ [joint à sa plainte] en date du 19 septembre 2021 montre qu’il y a 11 nouvelles hospitalisations chez les personnes âgées de plus de 70 ans. » Elle dit avoir constaté « sur le site qu’il y a de nouvelles hospitalisations quotidiennes chez les plus de 70 ans » et qu’il « est donc faux d’affirmer que cette tranche d’âge ne se retrouve pas à l’hôpital. Elle ajoute qu’il n’y a eu « que 7 hospitalisations chez les moins de 40 ans à cette même date [et qu’il] y a donc eu 4 hospitalisations de plus chez les personnes âgées. »

Cependant, la plaignante n’apporte pas la preuve que l’affirmation suivante de la spécialiste est erronée : « On voit que chez les 75 ans et plus on a atteint des couvertures vaccinales en haut de 90 %, donc dans ce contexte, ce ne sont pas ces personnes-là qui se retrouvent à l’hôpital ». Le graphique provenant du site Internet de l’INSPQ qu’elle a joint à sa plainte présente des données en pourcentages et non en valeurs absolues, sans préciser le statut vaccinal des patients. De plus, ce graphique fait état des hospitalisations en cours par groupe d’âge, et non des nouvelles hospitalisations par groupe d’âge dont il est question ici. Ce sont deux types de statistiques distinctes qui ne doivent pas être confondues. 

Par ailleurs, de manière semblable au grief précédent, la plaignante ne démontre pas en quoi la journaliste avait des raisons de douter de la fiabilité des informations transmises par la source. Les qualifications et le parcours professionnel de Roxane Borgès Da Silva, résumés dans le sous-grief précédent, en faisaient une source crédible pour commenter la situation pandémique du moment.

Grief 2 : sensationnalisme

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le passage retranscrit ci-dessous : 

« En regardant les chiffres, on remarque que le virus s’attaque et est très virulent sur les adultes de moins de 40 ans. Comment explique-t-on ce changement? »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de sensationnalisme. 

Analyse 

La plaignante avance que « compte tenu des données sur le site de l’INSPQ, il est faux d’affirmer que le virus s’attaque et est très virulent chez les adultes de moins de 40 ans ». Elle indique que « si la proportion des personnes âgées de plus de 70 ans hospitalisées était plus faible en juillet et août [que] l’an dernier à pareille date, cela ne signifie pas que les personnes plus jeunes sont plus nombreuses à être hospitalisées », ce qui, selon elle, représente « toute la nuance ». Elle affirme que « nous propageons la peur au sein de la population lorsque nous laissons croire que, puisque la proportion de jeunes augmente, il y a donc plus de jeunes hospitalisés » et que cela « est faux ». Selon elle, « le virus n’est pas plus virulent pour les jeunes qu’auparavant. Le nombre de cas [chez les] personnes de moins de 40 ans est relativement constant; c’est la proportion qui a changé. » 

Pourtant, la journaliste n’écrit pas dans l’extrait de l’article mis en cause que les jeunes sont plus nombreux à être hospitalisés. Elle affirme plutôt que le virus « s’attaque et est très virulent sur les adultes de moins de 40 ans », sans préciser si une telle virulence mène nécessairement à l’hospitalisation des personnes infectées. À cet effet, la plaignante interprète les propos de la journaliste.

Le passage ciblé par la plaignante est une question que la journaliste posait à l’experte, Mme Borgès Da Silva. Cette question était basée sur les statistiques COVID du moment et comportait une dimension factuelle. Les données colligées sur le site de l’INSPQ témoignent en effet d’une importante augmentation des cas de COVID-19 chez les 0 à 39 ans entre le début août et la mi-septembre 2021. Le nombre de nouveaux cas déclarés quotidiennement au sein de ce groupe d’âge est passé de 110, le 1er août 2021, à 701, le 9 septembre 2021. Par conséquent, la journaliste Clara Loiseau n’a pas déformé la réalité, ni exagéré ou interprété abusivement la portée réelle des faits ou des événements.

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mélanie Ouimet visant l’article « Variant et 3e dose » de la journaliste Clara Loiseau, publié dans Le Journal de Montréal le 19 septembre 2021, concernant les griefs de manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source et de sensationnalisme. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani

Représentantes des journalistes
Lisa-Marie Gervais
Camille Lopez

Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier