Plaignant
Kintal Sanolus
Mis en cause
Gilles Proulx, chroniqueur
Émission « Denis Lévesque »
LCN
Groupe TVA
Résumé de la plainte
Kintal Sanolus dépose une plainte le 24 septembre 2021 au sujet de l’intervention du chroniqueur Gilles Proulx au cours de l’émission « Denis Lévesque », diffusée sur la chaîne de télévision LCN le 23 septembre 2021. Le plaignant déplore des propos discriminatoires.
CONTEXTE
Les propos de Gilles Proulx visés par la présente plainte ont été tenus en direct à l’émission de Denis Lévesque. Le sujet touchait l’adoption d’une loi interdisant les manifestations contre les mesures sanitaires à moins de 50 mètres des écoles, des centres de formation professionnelle, des cégeps, des services de garde, des établissements de santé, des centres de vaccination et des cliniques de dépistage de la COVID-19.
Au cours de son intervention, M. Proulx fait référence à François Amalega, un homme noir, ex-professeur de mathématiques au Collège Jean-de-Brébeuf, qui manifestait depuis quelques semaines contre les mesures sanitaires près des écoles et des hôpitaux.
Analyse
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Grief du plaignant
Grief 1 : propos discriminatoires
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les propos suivants de Gilles Proulx attisent la haine et le mépris et s’ils entretiennent les préjugés envers les immigrants noirs :
« D’abord, il vient d’arriver au pays, il vient nous dicter des nouvelles formes d’adoption des lois, je te le mettrais sur la pelle à charbon. Je le renverrais chez lui. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de propos discriminatoires.
Analyse
Le plaignant considère que le chroniqueur « fait référence aux Noirs lorsqu’il emploie l’expression “pelle à charbon”, c’est un propos raciste et extrêmement discriminatoire ». Il estime également que Gilles Proulx « nourrit la pensée raciste et discriminatoire que les Blancs ont sur les immigrants arrivant au Québec ».
Dans le passage visé par la plainte, M. Proulx fait référence à François Amalega, un homme décrit dans les médias comme « un leader des plus influents du mouvement anti-mesures sanitaires ». M. Amalega a notamment manifesté à proximité d’établissements scolaires pour convaincre des élèves de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19. Un article rapporte que François Amalega « a démissionné de son poste de professeur de mathématiques au Collège Jean-de-Brébeuf en février dernier – par refus de porter le masque ». On y ajoute : « Spécialiste de la géométrie arithmétique qui a entamé des études doctorales à l’Université de Montréal après avoir émigré du Cameroun, l’homme de 43 ans a récolté pour plus de 35 000 $ de contraventions pour refus de se conformer aux décrets sanitaires depuis le début de la pandémie. »
Bien qu’un journaliste d’opinion comme Gilles Proulx bénéficie d’une liberté de ton et de style, la déontologie exige qu’il ne tienne pas de propos discriminatoires, par exemple des propos racistes ou xénophobes. Le journaliste d’opinion peut critiquer, même de façon virulente et acerbe, les actions, les gestes, les propos ou la pensée d’une personne. Mais dans le dossier qui nous concerne ici, les propos pointés par le plaignant outrepassent cette latitude puisqu’ils ne se limitent pas à critiquer les gestes ou les propos de M. Amalega, mais attaquent plutôt ses caractéristiques personnelles en tant qu’immigrant noir. En ce sens, les propos de Gilles Proulx tendent à susciter et attiser la haine et le mépris et à entretenir les préjugés envers les Noirs, plus particulièrement les immigrants noirs.
Pour comprendre en quoi les propos de Gilles Proulx sont discriminatoires, il faut se pencher sur les termes et les représentations qu’il utilise lorsqu’il affirme, au sujet de M. Amalega : « D’abord, il vient d’arriver au pays, il vient nous dicter des nouvelles formes d’adoption des lois, je te le mettrais sur la pelle à charbon. Je le renverrais chez lui. »
Aller au charbon
Lorsqu’il affirme « je te le mettrais sur la pelle à charbon », Gilles Proulx évoque le travail ingrat associé aux mineurs dans les mines de charbon. La métaphore « aller au charbon » signifie faire quelque chose de très dur et de désagréable, aussi pénible que de travailler dans une mine de charbon. Le dictionnaire L’internaute définit l’expression « aller au charbon » ainsi : « signifie que l’on doit accomplir une tâche fort désagréable, ou encore que l’on doit travailler très durement pour gagner sa vie. Elle fait sans aucun doute référence au difficile métier des mineurs, qui devaient passer la journée au fond des mines pour en remonter le charbon. »
Qui plus est, cette expression peut renvoyer à l’esclavagisme, d’un point de vue historique, puisque de nombreux Noirs ont été des esclaves dans des mines de charbon, notamment avant la guerre civile américaine. Dans l’article « The Darkest Adobe of Man – Black Miners in the First Southern Coal Field, 1780-1865 », l’auteur souligne que « dès le début, les mines du Sud dépendaient du nerf et de la sueur des esclaves noirs. » (« From the very beginning mines in the South depended upon the sinew and sweat of black bondsmen. »)
En affirmant qu’il mettrait M. Amalega, un ancien professeur de Cégep au Collège Jean-de-Brébeuf et doctorant de l’Université de Montréal « sur la pelle à charbon », M. Proulx témoigne de mépris envers cet immigrant noir, en insinuant qu’il mérite d’être traité comme un travailleur dans une mine de charbon.
Renvoyer M. Amalega « chez lui »
Le chroniqueur va plus loin en suscitant le mépris et la haine envers les immigrants noirs lorsqu’il conclut son intervention en disant : « Je le renverrais chez lui. » Gilles Proulx indique ainsi que selon lui, M. Amalega, qui réside au Québec, y a étudié et travaillé depuis plusieurs années, n’est pas le bienvenu, qu’il n’est pas « chez lui » au Québec.
La haine et le mépris envers des personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles se manifestent de différentes façons. Dans le dossier D2016-06-165(2), le Conseil a retenu le grief de discrimination suscitant la haine envers les homosexuels dans une chronique publiée sur le site Internet Wemontreal.com. Le Conseil a fait valoir que, dans « le contexte particulier de la tuerie d’Orlando [survenue dans une discothèque fréquentée par des membres de la communauté gaie] couplé avec le postulat de l’auteur voulant que l’homosexualité est un péché pouvant mériter un châtiment aussi violent que la mort sont des éléments qui amènent à conclure que l’article mis en cause présente un caractère haineux envers les personnes homosexuelles ».
En plus de témoigner du mépris, M. Proulx propage un préjugé au sujet des immigrants noirs lorsqu’il déclare, en parlant de François Amalega, « il vient d’arriver au pays, il vient nous dicter des nouvelles formes d’adoption des lois ». M. Proulx entretient ainsi le préjugé que les immigrants, et plus spécifiquement les immigrants noirs, veulent imposer leur façon de faire aux communautés qui les accueillent.
L’entretien de préjugés est aussi une forme de discrimination au sens de la déontologie journalistique. Dans la décision antérieure D2017-01-011, le Conseil a retenu le grief de propos discriminatoires entretenant des préjugés. La plainte visait un reportage sur la fusillade survenue au Centre culturel islamique de Québec et le chef d’antenne Pierre Bruneau, à qui les plaignants reprochaient d’avoir associé le terme « terrorisme » à la communauté musulmane et d’avoir ainsi procédé à une généralisation jugée inacceptable. M. Bruneau avait fait la déclaration suivante : « […] Un acte qui se fait contre une communauté musulmane, chez nous, c’est quelque chose qu’on n’avait pas vu venir. On aurait pu imaginer le contraire : qu’une communauté musulmane ou qu’un groupe extrémiste musulman commette un geste, mais que nous euh… que quelqu’un de la communauté, d’une autre communauté, attaque les musulmans, c’est un terrorisme à l’envers, si vous me permettez l’expression. » L’un des plaignants considérait qu’il est inacceptable de laisser entendre « qu’on doit s’attendre à de la violence de la part des musulmans, que le fait qu’un musulman est terroriste n’est pas surprenant. » Le Conseil a jugé que les propos tenus par M. Bruneau étaient discriminatoires, ciblaient les musulmans et contribuaient à entretenir des préjugés à leur égard, soit qu’ils sont plus susceptibles de commettre des actes terroristes.
De la même façon, en condamnant François Amalega sur la base du fait qu’« il vient d’arriver au pays, il vient nous dicter des nouvelles formes d’adoption des lois », Gilles Proulx dénigre les immigrants qui prennent part aux débats publics en propageant le préjugé que les immigrants souhaitent imposer leurs façons de faire et n’acceptent pas celles des communautés qui les accueillent.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de LCN qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Kintal Sanolus et blâme le chroniqueur Gilles Proulx, LCN et le Groupe TVA pour des propos discriminatoires tenus lors de l’émission « Denis Lévesque », diffusée le 23 septembre 2021.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault