D2021-09-163

Plaignante

Julie Guillemette

Mis en cause

Le Journal de Québec
Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 29 septembre 2021

Date de la décision

Le 24 février 2023

Résumé de la plainte 

Julie Guillemette dépose une plainte le 29 septembre 2021 au sujet de l’une des photographies illustrant l’article « Collision grave en Beauce : un motocycliste est décédé de ses blessures » publié sur le site Internet du Journal de Québec, le 19 septembre 2021. La plaignante déplore une photographie heurtant la sensibilité du public.

Contexte

La plainte vise la première de plusieurs photos qui accompagnent un article portant sur une collision survenue en Beauce dans laquelle un motocycliste de 16 ans est décédé. Selon les informations disponibles au moment de la parution de l’article,  le conducteur du véhicule aurait effectué un virage sans apercevoir la moto qui arrivait en sens inverse. La collision n’aurait pas pu être évitée.

Grief de la plaignante

Grief 1 : photographie heurtant la sensibilité du public

Principes déontologiques applicables

Sensibilité du public : « (1) Les journalistes et les médias d’information évitent de diffuser inutilement des images ou propos pouvant heurter la sensibilité du public. (2) Lorsque le format le permet, les journalistes et les médias d’information avertissent le public que des images ou des propos choquants seront diffusés. » (article 18.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (Guide, article 14.3) 

Le Conseil doit déterminer si le média a publié inutilement une photo qui pouvait heurter la sensibilité du public.

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief de photographie heurtant la sensibilité du public.

Analyse

La plaignante, qui est la mère du jeune motocycliste décédé dans l’accident, déplore la publication de la photo qui apparaît au début de l’article. Cette photo montre la moto renversée au bord d’une route ainsi que des débris du véhicule et un sac à dos. On aperçoit une petite flaque de sang au sol, au bas de la moto endommagée, partiellement cachée par un sac à dos.  

La plaignante demande : « Croyez-vous qu’il était nécessaire de bien montrer à nous parents et amis à quel point mon fils s’est vidé de son sang sur les lieux de l’accident. Le photographe a pris bien soin de zoomer jusqu’à voir la mare de sang avant de la publier. » 

D’entrée de jeu, il est important de souligner que, contrairement à ce qu’avance la plaignante, il n’y a pas de gros plan (zoom) sur le sang et qu’on ne peut pas parler ici d’une « mare de sang », mais plutôt d’une petite flaque de sang au milieu de l’image qui est un plan large de la moto sur la chaussée. Quoi qu’il en soit, on comprend la douleur qu’a causée cette image à la mère de l’adolescent décédé ainsi qu’à ses proches.

La déontologie journalistique n’empêche pas la publication de photographies pouvant heurter ou choquer la sensibilité du public. C’est d’ailleurs ce qu’explique la décision D2018-07-082 dans laquelle le Conseil a rejeté le grief de photo heurtant la sensibilité du public en faisant valoir « que les médias ne doivent pas s’interdire de diffuser certaines photos qui font partie intégrante de l’information même si, parfois, elles peuvent heurter la sensibilité du public. La déontologie journalistique n’avance pas que le public ne peut pas être heurté, mais plutôt qu’il ne faut pas le heurter inutilement. »

Dans certaines circonstances, la publication de photographies choquantes peut être utile. En effet, ces photos permettent au public de prendre conscience d’enjeux de société de premier ordre. Ce fut le cas avec la publication de la fameuse photo, prise durant la guerre du Vietnam, d’une petite fille brûlée au napalm courant nue sur une route pour fuir l’incendie provoqué par le bombardement accidentel du temple où elle prenait place. Cette image choquante a fait le tour du monde et a conscientisé la population aux horreurs de cette guerre.

Plus récemment, en 2015, la photographie du corps du petit Alan Kurdi sur une plage de Turquie alors que sa famille tentait de fuir la violence de la Syrie, a permis d’illustrer le drame et les risques que les migrants étaient prêts à prendre pour rejoindre l’Europe. 

Ces deux photos ont permis d’attirer l’attention du monde sur des enjeux d’une façon qui aurait été quasi impossible uniquement à travers les mots. C’est pour cette raison que la décision de publier ou non une photographie qui pourrait heurter la sensibilité du public relève du cas par cas.

Dans le présent dossier, l’article comporte trois autres photos. Deux montrent la moto et les débris sur la route. Une troisième photo illustre l’état de la voiture qui est entrée en collision avec la moto. Ces trois photos témoignent très bien de la force de l’impact. La photo pointée par la plaignante n’apporte aucun élément d’information supplémentaire ou essentiel pour comprendre les événements décrits dans l’article ou dans les autres images.

C’est pourquoi, dans ce cas bien spécifique, il n’était ni nécessaire ni utile de publier la photo qui comportait la flaque de sang, car d’autres photos illustraient bien l’accident et que celle-ci n’apportait rien de plus en matière d’information. Conséquemment, cette photo  heurte inutilement les proches de la jeune victime et toute autre personne qu’elle a pu choquer.

Il importe de préciser que dans un autre contexte, cette photo aurait pu être appropriée, même si elle heurtait des personnes, par exemple si elle ajoutait une information utile ou si aucune autre photo ne permettait d’illustrer adéquatement l’accident en question. 

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Julie Guillemette et blâme Le Journal de Québec pour la publication de l’une des photographies accompagnant l’article « Collision grave en Beauce : un motocycliste est décédé de ses blessures », publié le 19 septembre 2021, concernant le grief de photographie heurtant la sensibilité du public.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani

Représentantes des journalistes
Lisa-Marie Gervais
Camille Lopez

Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier