Plaignant
Dani Grandmaître
Mis en cause
Marie-Claude Lortie, journaliste :
- rédactrice en chef du Droit
- collaboratrice à l’émission de radio « L’Outaouais maintenant » au 104,7 FM Outaouais
Mathieu Bélanger, journaliste au Droit
Le quotidien Le Droit
Les coops de l’information
L’émission « L’Outaouais maintenant »
Station radiophonique 104,7 FM Outaouais
Cogeco Média
Résumé de la plainte
Dani Grandmaître dépose une plainte le 26 octobre 2021 au sujet de l’article « France Bélisle nie les allégations de harcèlement en milieu de travail » du journaliste Mathieu Bélanger, publié dans Le Droit le 25 octobre 2021. La plainte vise également la chronique de Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit, diffusée à l’émission de radio « L’Outaouais maintenant », au 104,7 FM Outaouais, le 25 octobre 2021. La plaignante déplore le non-respect d’une entente de communication avec une source et de l’information inexacte.
CONTEXTE
À la fin du mois d’octobre 2021, la campagne électorale municipale dans la Ville de Gatineau approchait de son dénouement, le scrutin étant prévu pour le 7 novembre. La municipalité s’apprêtait à élire un nouveau maire ou une nouvelle mairesse, car le maire sortant Maxime Pedneaud-Jobin, du parti Action Gatineau, avait annoncé qu’il ne se représentait pas. Les deux principales candidates en tête dans les intentions de vote étaient France Bélisle (indépendante) et Maude Marquis-Bissonnette (Action Gatineau).
Le 21 octobre, Dani Grandmaître (la plaignante dans ce dossier) a fait parvenir un courriel au quotidien Le Droit disant qu’elle voulait « faire publier une lettre ouverte par rapport à des comportements antérieurs inacceptables d’un des candidats à la mairie », sous le couvert de l’anonymat. Elle affirmait que 10 personnes avaient signé cette lettre et souhaitait que leur identité ne soit pas dévoilée. Cela a mené à un long échange de courriels entre Mme Grandmaître, la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, et le directeur de l’information du Droit, Mario Boulianne.
Le 25 octobre, Le Droit a publié l’article du journaliste Mathieu Bélanger et Marie-Claude Lortie est intervenue en direct au 104,7 FM Outaouais sur le même sujet, à savoir les allégations de harcèlement en milieu de travail formulées à l’endroit de la candidate à la mairie France Bélisle, à l’époque où elle dirigeait l’organisme Tourisme Outaouais (TO). Il est notamment question de la lettre anonyme que Mme Grandmaître a fait parvenir au quotidien Le Droit. On apprend aussi que deux des dénonciatrices se sont exprimées à visage découvert sur le réseau Facebook.
Analyse
Grief 1 : non-respect d’une entente de communication avec une source
Principe déontologique applicable
Ententes de communication avec une source : « (1) Les journalistes tentent par tous les moyens à leur disposition de respecter les ententes de communication avec une source (confidentialité, off the record, non-attribution, embargo, etc.) pour lesquelles ils ont donné leur accord explicite, sauf si la source les a volontairement trompés. (2) Les journalistes peuvent cependant publier les informations faisant l’objet d’une entente de communication s’ils obtiennent autrement ces mêmes informations. (3) Les journalistes peuvent divulguer l’identité d’une source confidentielle à leur hiérarchie éditoriale, qui s’engage aussi à respecter l’entente de confidentialité. Cela n’équivaut pas à une divulgation publique. » (article 13 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer s’il y avait une entente de communication entre les mis en cause et Dani Grandmaître. Le cas échéant, il doit juger si cette entente de communication a été respectée.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de non-respect d’une entente de communication avec une source.
Analyse
La plaignante, Dani Grandmaître, déplore que Mathieu Bélanger et Marie-Claude Lortie aient diffusé sans son accord des informations fournies de façon confidentielle. Elle allègue qu’on lui a « promis un respect de confidentialité par rapport à de l’information [qu’elle a] partagée avec deux personnes au journal Le Droit et [que] sans préavis, Mme Lortie et M. Bélanger ont partagé cette information dans le journal et à une émission de radio ».
Elle ajoute que « les informations partagées [avec le] Droit, plus particulièrement la rédactrice en chef, ont été envoyées sous le prétexte que l’information donnée serait confidentielle et “off the record”. Le lundi suivant, Mme Lortie a fait un topo au 104,7 sur le sujet et a dévoilé l’existence d’une lettre rédigée par 10 plaignantes et que celles-ci auraient même consulté une firme d’avocats de Montréal tellement elles voulaient garder leur anonymat. » Elle explique être « l’avocate qui a écrit à Mme Lortie [et qu’elle ne] représentai[t] pas les personnes impliquées […] » Elle précise qu’elle a « envoyé la lettre pour savoir si le journal accepterait de [la] publier sous le couvert de l’anonymat », une demande qui lui a été refusée sous prétexte que « les plaignantes devaient se dévoiler ou au moins accepter une conversation “off the record” avec le journal ».
La plaignante soutient qu’elle n’a « jamais donné l’autorisation de divulguer à qui que ce soit l’existence de la lettre et le nombre de plaignantes impliqué[e]s », des informations que rapporte le journaliste Mathieu Bélanger dans son article, et que les auteures de la lettre ne l’ont « pas consultée au sujet de l’anonymat ».
Les mis en cause assurent que « Le Droit et ses journalistes, en ondes au 104,7 ou dans le journal, ont fait leur travail de façon professionnelle ».
En premier lieu, le journal a refusé de publier la lettre sans pouvoir vérifier qui en étaient les auteurs, ce qui est conforme à la déontologie journalistique. Dans un des premiers échanges avec Dani Grandmaître, Mario Boulianne lui explique : « Je dois vous aviser que nous ne publions pas de lettre “anonyme”. La politique éditoriale du journal est de publier le nom et la ville de résidence du ou de la correspondant(e). Par contre, si vous désirez conserver cet anonymat, vous pourriez quand même me faire parvenir ladite lettre — pour nos yeux seulement — avec le nom de l’auteur. »
Les représentants du Droit expliquent ensuite que la promesse de confidentialité faite à Dani Grandmaître, une avocate d’un cabinet d’Ottawa, a été respectée. Ils soulignent que « lorsqu’on lit la documentation et qu’on fait des recherches exhaustives sur le Web, on constate que jamais Me Dani Grandmaitre n’a été nommée à travers tout ce processus en lien avec cette affaire et que oui, son anonymat a été protégé. Et paradoxalement, avant cette plainte officielle au Conseil de presse, son anonymat était encore totalement intact. On ne voyait son nom nulle part. »
Ils ajoutent qu’au moment où « Marie-Claude Lortie à la radio […] du 104,7 FM […], et Mathieu Bélanger dans Le Droit, ont parlé du dossier en cause, le 25 octobre 2021, le chat était déjà sorti du sac sur la place publique. Deux plaignantes avaient déjà fait état de leurs doléances à l’endroit de la future mairesse France Bélisle sur les réseaux sociaux. Le tout avait été repris à la radio. Et la future mairesse Bélisle avait même déjà réagi publiquement à ces allégations. L’affaire n’était plus confidentielle. » Ils précisent qu’ils n’ont « pas levé la confidentialité sur l’existence de ce dossier, elle était déjà levée ».
Après avoir étudié les arguments des deux parties et les échanges de courriels entre elles fournis par la plaignante, le Conseil estime qu’une entente de communication a bel et bien été conclue. Le Droit s’engageait à ne pas divulguer publiquement les noms des auteures de la lettre de dénonciation et celui de la personne qui la leur avait fait parvenir. Ces termes ont été respectés par les mis en cause.
Toujours au sujet de l’entente de confidentialité entre Dani Grandmaître et Le Droit, la plaignante affirme qu’elle n’a « jamais donné l’autorisation de divulguer à qui que ce soit l’existence de la lettre et le nombre de plaignantes impliqué[e]s ». Or cet aspect de l’entente de communication entre le journal et sa source n’est pas démontré. Au moment où Mme Grandmaître a écrit au média qu’elle « aimerai[t] faire publier une lettre ouverte par rapport à des comportements antérieurs inacceptables d’un des candidats à la mairie », aucune entente à propos de l’existence même de la lettre confidentielle n’était en vigueur. Dans leurs échanges de courriels avec Dani Grandmaître, Marie-Claude Lortie et le directeur de l’information du Droit, Mario Boulianne, ne se sont jamais engagés à ne pas dévoiler l’existence de la lettre de dénonciation qu’ils avaient reçue ou le nombre de signataires qu’elle comportait. Aucune requête n’a été formulée par la plaignante à cet effet. Au contraire, Mme Grandmaître souhaitait que la lettre soit publiée anonymement, ce que le média a refusé en précisant que cette pratique était contraire à la politique éditoriale du Droit.
Lorsque Marie-Claude Lortie et Mathieu Bélanger ont évoqué l’existence de cette lettre dans les médias, deux des dénonciatrices s’étaient exprimées publiquement, la veille, sur le réseau Facebook. Ainsi, l’information selon laquelle France Bélisle, candidate à la mairie de Gatineau, faisait l’objet d’allégations de harcèlement en milieu de travail avait été obtenue autrement par les mis en cause. Or, comme l’explique l’article 13 du Guide sur les ententes de communication avec une source confidentielle, les journalistes « peuvent publier les informations faisant l’objet d’une entente de communication s’ils obtiennent autrement ces mêmes informations ».
Finalement, la plaignante déplore que les mis en cause aient mentionné que la lettre anonyme en question provenait d’une firme d’avocats. « Je suis avocate, mais je ne représente personne en lien avec cet article et je n’ai jamais indiqué que je les représentais », affirme-t-elle dans sa plainte au Conseil. Cependant, à la lecture des courriels que Mme Grandmaître a fait parvenir au Droit, on constate que chacun de ses messages porte sa signature d’avocate ainsi que le nom et les coordonnées du cabinet d’avocats pour lequel elle travaille. En écrivant dans son article du 25 octobre que la lettre avait été « transmise par une firme d’avocats », Mathieu Bélanger faisait part d’une information d’intérêt public qui conférait une certaine crédibilité au document, sans toutefois permettre l’identification de Mme Grandmaître.
En conclusion, il y avait bel et bien une entente de confidentialité entre la plaignante et les mis en cause, et celle-ci n’a pas été enfreinte. C’est pourquoi le grief de non-respect d’une entente de communication avec une source est rejeté.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Mathieu Bélanger a produit de l’information inexacte dans l’article du journal Le Droit visé par cette plainte en rapportant qu’une lettre anonyme avait été transmise par « une firme d’avocat[s] de Montréal » dans le passage retranscrit ci-dessous?
« Le Droit a par ailleurs reçu, la semaine dernière, une lettre anonyme à ce sujet, transmise par une firme d’avocat[s] de Montréal. »
Décision
Le Conseil retient le grief d’information inexacte, car il estime que Mathieu Bélanger et Le Droit ont contrevenu à l’article 9 a) du Guide. Toutefois, considérant que l’inexactitude retenue concerne un aspect secondaire du sujet et qu’elle n’en affecte pas la compréhension, le Conseil juge qu’il s’agit d’un manquement mineur.
Analyse
La plaignante, Dani Grandmaître, affirme qu’elle ne fait pas partie « [d’]une firme de Montréal » et elle considère qu’il y a une inexactitude dans l’extrait de l’article de Mathieu Bélanger cité plus haut.
Les mis en cause avancent qu’il est « paradoxal qu’on [leur] reproche d’avoir mal identifié l’étude légale d’où venait cette lettre dans la même plainte où on [leur] reproche d’avoir dévoilé publiquement son existence ». Ils mentionnent que « si on [leur] avait demandé de faire un correctif, [ils] l’aurai[ent] fait sans hésiter. Ça n’a jamais été demandé. » Ils concluent qu’ils n’ont « jamais refusé de corriger les faits » et qu’ils peuvent « encore le faire ».
À la lecture des courriels que la plaignante a fait parvenir à la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, on constate que chacun des messages comporte une signature professionnelle, dans laquelle il est clairement indiqué que Mme Grandmaître est à l’emploi d’un cabinet d’avocats établi à Ottawa, en Ontario. Il était donc inexact d’écrire que la lettre anonyme avait été transmise par une firme d’avocats de Montréal. Cependant, comme cette information n’altère pas la portée et la compréhension des événements rapportés, cela constitue un manquement mineur qui peut être corrigé et ne mérite pas de blâme.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Dani Grandmaître visant l’article « France Bélisle nie les allégations de harcèlement en milieu de travail » du journaliste Mathieu Bélanger, publié dans Le Droit le 25 octobre 2021, concernant le grief d’information inexacte. Toutefois, considérant que la faute retenue concerne un aspect secondaire du sujet et qu’elle n’en affecte pas la compréhension, le Conseil juge qu’il s’agit d’un manquement mineur et n’adresse pas de blâme au journaliste et au média.
Le Conseil rejette par ailleurs le grief de non-respect d’une entente de communication avec une source visant Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit et chroniqueuse à l’émission « L’Outaouais maintenant » au 104,7 FM Outaouais, ainsi que Mathieu Bélanger, journaliste au Droit.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Camille Lopez
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault