D2021-11-212

Plaignante

Judith Lefebvre

Mis en cause

Richard Martineau, chroniqueur

Le Journal de Québec

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 15 novembre 2021

Date de la décision

Le 28 avril 2023

Résumé de la plainte

Judith Lefebvre dépose une plainte le 15 novembre 2021 au sujet de l’article « Projet de loi 2 : peut-on avoir un débat? » du chroniqueur Richard Martineau publié dans Le Journal de Québec, le 15 novembre 2021. La plaignante déplore trois griefs d’information inexacte.

Contexte

La chronique mise en cause a été publiée quelques semaines après le dépôt par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, du projet de loi 2, le 21 octobre 2021. Il s’agissait d’une première étape dans une réforme très attendue du droit de la famille. Ce projet abordait plusieurs enjeux sensibles dont l’encadrement du recours aux mères porteuses, la violence familiale, le droit à la connaissance de ses origines et les dispositions modifiant le Code civil en ce qui concerne l’identité de genre et la mention de sexe dans les documents d’état civil. Ces dernières dispositions ont soulevé l’indignation de groupes de défense des droits des personnes trans et LGBTQ+ dans les jours qui ont suivi le dépôt du projet de loi 2. La chronique de Richard Martineau a été publiée le 15 novembre, dans la foulée de la controverse, alors que le ministre avait promis de retirer ces mesures litigieuses.

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs du plaignant

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

1.1 Réécriture du projet de loi

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur rapporte une information inexacte concernant la réécriture du projet de loi 2 dans le passage suivant : « Ainsi, sous la pression de certains intervenants de la communauté LGBTQ+, le ministre Simon Jolin-Barrette a réécrit son projet de loi 2 sur l’identité de genre ». 

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.

Analyse

La plaignante considère qu’il est inexact d’affirmer que le ministre a réécrit le projet de loi. Elle fait valoir que « le projet de loi sera soumis tel qu’il est présentement rédigé en commission parlementaire. » Elle indique que « le ministre avait l’intention d’amender le projet de loi, mais aucun amendement n’a été rendu public ». Elle soumet  un article du Devoir pour appuyer ses affirmations.

L’enjeu central de la chronique concerne la rétractation du ministre par rapport aux mesures controversées sur l’identité de genre qu’il avait d’abord incluses dans son projet de loi, mais qu’il avait ensuite promis de retirer. Tel que déposé en octobre 2021, le projet de loi prévoyait, entre autres, que, pour obtenir un changement de la mention du sexe à l’état civil, le demandeur devait avoir « eu des traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale de ses organes sexuels et destinés à changer ses caractères sexuels apparents de façon permanente ». Des protestataires ont manifesté leur désaccord, estimant qu’il s’agissait d’un recul puisque cette obligation avait été retirée du Code civil en 2016.

Devant le tollé causé par des mesures jugées « transphobes » et « régressives » par certains, le ministre a affirmé qu’il modifierait son projet de loi et retirerait l’obligation d’intervention chirurgicale conditionnelle au changement de la mention du sexe à l’état civil. Plusieurs médias ont rapporté ses propos à la mi-novembre, soit à la même période que l’article de M. Martineau. La chronique mise en cause commence comme suit : « Ainsi, sous la pression de certains intervenants de la communauté LGBTQ+, le ministre Simon Jolin-Barrette a réécrit son projet de loi 2 sur l’identité de genre ».

Comme l’affirme avec raison la plaignante, cet amendement au projet de loi promis par le ministre n’avait pas été officialisé ou rendu public au moment où Richard Martineau écrivait sa chronique. Cependant, même si aucune modification officielle au projet de loi 2 n’avait été rapportée dans les médias ni sur le site de l’Assemblée nationale avant la date de la publication de la chronique, cela ne signifie pas pour autant que le chroniqueur a transmis une information inexacte en écrivant « le ministre Jolin-Barrette a réécrit son projet de loi 2 ». Il ne faut pas confondre l’écriture du projet de loi qui est un geste qui appartient au ministre et la publication officielle du projet de loi. 

Il est possible que le ministre avait réécrit, tel que promis, ce projet de loi au moment où le chroniqueur écrit sa chronique. Le Conseil ne possède pas de preuve du contraire. La nouvelle version n’était peut-être pas encore publiée, mais le ministre s’était engagé à le réécrire en partie. Le chroniqueur n’outrepasse donc pas les paroles du ministre en affirmant que ce dernier avait réécrit son projet de loi, ce que nous ne sommes pas en mesure d’infirmer. Pour ces raisons, le Conseil rejette le grief d’information inexacte.

1.2 Identité de genre

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur rapporte une information inexacte relativement au nom du projet de loi dans le passage suivant : « Ainsi, sous la pression de certains intervenants de la communauté LGBTQ+, le ministre Simon Jolin-Barrette a réécrit son projet de loi 2 sur l’identité de genre ». 

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide

Analyse 

La plaignante affirme que le projet de loi concerne une réforme du droit de la famille et « ne porte pas sur l’identité de genre », contrairement à ce qu’avance le chroniqueur. Elle précise que le projet de loi 2 « introduit toutefois une “mention de genre” à l’état civil ».

Le nom complet du projet de loi 2 est : « Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil. » Tel que déposé en octobre 2021, le projet de 112 pages visait à modifier 39 lois et règlements. De ses quelque 250 articles, une quinzaine concernent l’identité de genre et la mention de sexe à l’état civil. La chronique porte entièrement sur un seul aspect du projet de loi : l’identité de genre.

Bien que, comme le suggère la plaignante, plusieurs enjeux soient visés par le projet de loi 2 et que l’ensemble de ses dispositions ne porte pas sur l’identité de genre, il n’est pas inexact de décrire le projet de loi comme portant sur l’identité de genre. Le chroniqueur aurait pu écrire : « Le ministre a réécrit son projet de loi qui porte entre autres sur l’identité de genre ». Il n’est pas rare dans la pratique journalistique de recourir à l’ellipse, une figure de style, qui consiste à supprimer les mots superflus qui ne concernent pas l’angle du sujet choisi. On comprend que le chroniqueur parle ici d’un aspect du projet de loi. 

Il arrive couramment qu’un lecteur ait une perspective différente de celle d’un chroniqueur, concernant certains faits. Le Conseil doit alors se pencher sur l’exactitude des faits et non sur la perception qu’on peut avoir de ces faits.  Dans le dossier D2021-03-049, par exemple, le Conseil devait déterminer si le chroniqueur rapportait de l’information inexacte en écrivant « Moins on est instruit, plus on est pauvre. Plus on est pauvre, moins on a de dents. Plus vous regardez de vidéos de conspirationnistes, plus vous voyez de gens édentés ». La plaignante estimait qu’il était faux de faire une telle affirmation et s’est sentie insultée par ces propos. Le Conseil a trouvé que la chronique s’appuyait sur plusieurs études scientifiques. De la même façon, dans le cas présent, le chroniqueur s’est appuyé sur un document, le projet de loi, qui contenait un certain nombre d’articles traitant de l’identité de genre.

Considérant l’angle de la chronique qui porte entièrement sur la réécriture de la partie du projet de loi visant l’identité de genre, le Conseil considère que les termes utilisés ne sont pas inexacts.

1.3 Opération chirurgicale

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur rapporte une information inexacte dans le passage suivant : « Pour que leur changement de sexe soit reconnu officiellement par l’état civil, les transgenres n’auront plus à subir une opération chirurgicale ou à suivre un traitement hormonal. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.

Analyse

La plaignante affirme que « le projet de loi réintroduit cette obligation [d’avoir à subir une opération chirurgicale ou un traitement médical] qui a été abrogée du Code civil en 2015. La formulation [du chroniqueur] porte à croire que des amendements au projet de loi aboliraient une telle obligation. »

Comme l’indique la plaignante, depuis plusieurs années, le Code civil n’exige plus de telles procédures. En voici un extrait :

« La personne dont l’identité de genre ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance peut […] obtenir la modification de cette mention et, s’il y a lieu, de ses prénoms.

Ces modifications ne peuvent en aucun cas être subordonnées à l’exigence que la personne ait subi quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit.  » (Code civil du Québec, 2016)

Dans son projet de loi 2 déposé le 21 octobre 2021, le ministre réintroduisait des mesures modifiant le Code civil qui exigeaient d’avoir à subir une opération pour pouvoir changer la mention de sexe à l’acte de naissance. Dans les jours qui ont suivi, il a promis de les retirer. Le chroniqueur exprime son opinion sur cette rétractation. 

Dans son article, le chroniqueur contextualise la phrase visée :

« Ainsi, sous la pression de certains intervenants de la communauté LGBTQ+, le ministre Simon Jolin-Barrette a réécrit son projet de loi 2 sur l’identité de genre. 

Pour que leur changement de sexe soit reconnu officiellement à l’état civil, les transgenres n’auront plus à subir une opération chirurgicale ou à suivre un traitement hormonal. » 

En prenant en considération la phrase précédente, on comprend que, contrairement à ce que prévoyait la première version du projet de loi 2 du ministre Jolin-Barrette, les personnes concernées « n’auront plus à subir » d’opération, comme l’affirme le chroniqueur.

La plaignante interprète le passage par rapport à la loi qui était en vigueur à ce moment-là au Québec et non relativement à la réécriture du projet de loi du ministre Jolin-Barrette, tel qu’on peut le comprendre de la phrase précédente. Or, il est possible de l’interpréter par rapport aux dispositions proposées dans la première version du projet de loi 2. C’est pourquoi le Conseil n’y voit pas d’information inexacte.

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Judith Lefebvre visant l’article d’opinion « Projet de loi 2 : peut-on avoir un débat? » de Richard Martineau, publié le 15 novembre 2021 dans le Journal de Québec, concernant les griefs d’information inexacte.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes

Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes

Lisa-Marie Gervais

Daniel Leduc

Représentants des entreprises de presse

Sylvain Poisson

Éric Grenier