D2022-01-006
Plaignante
Marie-Christine Laroche
Mis en cause
Bulletin « Le TVA Nouvelles »
TVA, Groupe TVA
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 4 janvier 2022
Date de la décision
Le 26 mai 2023
Résumé de la plainte
Marie-Christine Laroche dépose une plainte le 4 janvier 2022 au sujet d’un segment du bulletin télévisé de 18 heures « Le TVA Nouvelles », diffusé sur les ondes de TVA le 15 décembre 2021. La plaignante déplore une information inexacte.
Contexte
À la mi-décembre 2021, le Québec était aux prises avec la pandémie de COVID-19 depuis près de deux ans et faisait face à la cinquième vague. La propagation du nouveau variant Omicron, plus contagieux que son prédécesseur, le variant Delta, inquiétait les autorités et avait incité le premier ministre François Legault à renforcer les mesures sanitaires. À une dizaine de jours de Noël, on venait d’annoncer que les tests de dépistage rapide seraient disponibles sous peu dans les pharmacies. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, se disait préoccupé par l’augmentation « importante » des cas et la hausse récente des hospitalisations.
Dans l’extrait du bulletin de nouvelles visé par cette plainte, Pierre Bruneau, alors chef d’antenne de TVA, s’entretient avec Diane Lamarre, pharmacienne et professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Celle-ci est consultée à titre de spécialiste et elle dresse un portrait de la situation pandémique au Québec à ce moment précis. Elle mentionne notamment qu’il faut accélérer la vaccination dans la province en raison de l’apparition du variant Omicron, et que l’intervalle de six mois entre l’administration de la deuxième dose de vaccin contre la COVID-19 et la dose de rappel devrait être réduit.
Grief de la plaignante
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte à propos du taux de reproduction lié au variant Omicron du Coronavirus en date du 15 décembre 2021 dans l’extrait retranscrit ci-dessous.
Diane Lamarre : « On a un nouveau joueur qui est l’Omicron, et il ne joue pas avec les mêmes règles du jeu, il [se] multiplie. Le taux de reproduction est à 4.5. Ça veut dire que chaque personne infectée en infecte 4,5 autres. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
La plaignante affirme que Diane Lamarre a transmis une information inexacte en soutenant que le taux de reproduction (Rt) lié à la COVID-19 était de 4,5 en date du 15 décembre 2021. Elle déplore que Mme Lamarre ait « parl[é] à Pierre Bruneau du Rt qui était rendu à 4,5 en ajoutant que ça voulait dire que chaque personne contaminée en infecte 4,5 autres. Pierre Bruneau ne lui a posé aucune question sur comment et où elle a pu prendre ce Rt de 4,5. »
Elle précise que, selon les données disponibles sur le site Internet de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le taux était plutôt de « 2,03 pour le 15 décembre », ce qui est « très loin du 4,5 annoncé le 15 décembre par Diane Lamarre ».
Elle ajoute que « si 1000 personnes contaminées en infectent 4,5 pendant une journée, ça donne 4500 cas supplémentaires, et ça devient exponentiel! Comme le Rt du 15 décembre était plutôt à [2,03], ça donnerait en fait [2030] nouveaux cas. C’est beaucoup, mais c’est énormément moindre que le mensonge dit par Diane Lamarre. »
À l’écoute de l’intervention de l’experte invitée, Diane Lamarre, au micro de Pierre Bruneau, on constate que celle-ci s’attarde spécifiquement au variant Omicron. Voici le passage du bulletin de TVA Nouvelles dans lequel se trouvent les propos visés par la plainte :
Pierre Bruneau : « Ben, on l’a dit hier, hein, deux à trois fois plus contagieux que le Delta, par exemple. Si bien que l’Ontario passe à l’action, là. On dit [que] lundi, les 18 ans et plus [pourront recevoir une dose de rappel]. Le ministre Duclos, lui, est d’avis que six mois, c’est beaucoup trop long entre les deux doses. Chez nous, on misait avec l’exemple du Delta, mais là Omicron pourrait changer les choses. »
Diane Lamarre : « Exactement, Pierre, parce que le Delta, on avait un certain contrôle jusqu’en début décembre, et on voyait qu’on contenait le nombre de cas et l’intervalle de six mois avait un certain sens à ce moment-là, il était cohérent. Mais là, [il] faut vraiment réagir très très vite. On a un nouveau joueur qui est l’Omicron, et il ne joue pas avec les mêmes règles du jeu, il [se] multiplie. Le taux de reproduction est à 4 point 5, ça veut dire que chaque personne infectée en infecte 4 virgule 5 autres. Donc, ça va énormément vite, ça double à tous les deux à trois jours, alors c’est vraiment fulgurant, et donc il faut absolument accélérer la vaccination. Tout le monde s’entend sur la planète actuellement pour dire qu’il faut accélérer la vaccination. »
Le taux de reproduction colligé sur le site Web de l’INSPQ auquel la plaignante fait référence se rapporte à l’ensemble des variants de la COVID-19 détectés au sein de la population québécoise à un moment donné et non spécifiquement au variant Omicron dont parle Mme Lamarre. C’est ce qui explique la différence considérable entre le Rt de 4,5 annoncé par cette dernière en ondes et le Rt de 2,03 qui était répertorié par l’INSPQ pour le 15 décembre 2021 au moment où Mme Laroche a déposé sa plainte.
Par ailleurs, dans son intervention, Mme Lamarre remet en question la fiabilité des données publiées par l’INSPQ durant cette période : « Quand on va sur le site de l’Institut national de santé publique, on nous donne seulement 11 cas confirmés et 24, dont 13 nouveaux, là, donc 24 présomptifs, ce qui nous ferait seulement 35 cas. Or, la santé publique de Montréal nous dit que seulement sur l’île de Montréal, sans avoir criblé de façon exhaustive, là, on a 95 cas. Alors, on n’a pas l’heure juste, on n’a pas le bon portrait, et c’est sûr qu’il y a des décisions qui peuvent ne pas se prendre avec […] le bon éclairage, parce qu’il nous manque des données. On n’a pas le bon portrait, on a une pointe de l’iceberg, alors qu’on a vraiment énormément de cas, probablement, qui [ne] sont pas détectés actuellement parce qu’on ne les recherche tout simplement pas. »
Cela dit, en raison du parcours professionnel et de l’expertise de Diane Lamarre, qui est pharmacienne et professeure titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, le public était en droit de présumer de la crédibilité de la spécialiste invitée. Celle-ci apportait un éclairage pertinent basé sur son expertise. À cet effet, le Conseil a déjà fait valoir dans la décision antérieure D2019-12-167 visant un article sur la technologie liée aux cryptomonnaies que lorsqu’un « journaliste rapporte l’opinion d’un expert sur un sujet complexe et attribue la citation au spécialiste en question, il n’y a pas […] de manquement déontologique. » De la même manière, dans le cas présent, les propos faisant l’objet de la plainte et diffusés en direct dans le cadre d’un bulletin de nouvelles télévisé sont ceux d’une spécialiste consultée précisément pour son expertise scientifique. Le chef d’antenne et le média n’avaient pas à remettre en doute l’exactitude des informations transmises par Diane Lamarre au moment où elle était interviewée à propos du nouveau variant.
En outre, une étude scientifique menée en Afrique du Sud en novembre 2021 disponible sur le site Internet de la National Library of Medicine1 – une institution administrée par le gouvernement fédéral des États-Unis – révèle que le taux de reproduction (Rt) du nouveau variant Omicron était alors estimé comme étant 4,2 fois plus élevé que celui du variant Delta. On peut également constater que, dans une publication du 23 juillet 2021 de Santé publique Ontario intitulée « Variant Delta de la COVID-19 : Évaluation des risques et conséquences pour la pratique2 », le taux de reproduction (Rt) du variant Delta était tout juste inférieur à 1. En multipliant 4,2 par 1, on obtiendrait un taux de reproduction avoisinant les 4,2. Cette donnée est comparable au taux de 4,5 annoncé par Mme Lamarre, qui disposait par surcroît d’informations scientifiques auxquelles le Conseil n’a pas eu accès dans le cadre de son analyse. Pour l’ensemble de ces raisons, le grief d’information inexacte est rejeté.
Finalement, le Conseil a maintes fois statué qu’il revient à la partie plaignante d’apporter la preuve de l’inexactitude alléguée. Or, dans le cas présent, la plaignante ne fournit pas la preuve qu’une information inexacte a été transmise puisque le taux de reproduction (Rt) calculé par l’INSPQ sur lequel repose son argumentaire n’est pas spécifique au variant Omicron.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Marie-Christine Laroche visant un segment du bulletin télévisé de 18 heures « Le TVA Nouvelles », diffusé sur les ondes de TVA le 15 décembre 2021, concernant un grief d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentantes des journalistes
Camille Lopez
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Sylvain Poisson
1 Référence : Karimizadeh, Zahra et al. (2023), « The reproduction rate of severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 different variants recently circulated in human: a narrative review ». Consulté en mai 2023. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9950018/
2 Référence : Santé publique Ontario (2021), « Variant Delta de la COVID-19 : Évaluation des risques et conséquences pour la pratique ». Consulté en mai 2023. https://www.publichealthontario.ca/-/media/documents/ncov/voc/2021/08/covid-19-delta-variant-risk-assessment-implications.pdf?sc_lang=fr