D2022-01-010
Plaignante
Isabelle Dicaire
Mis en cause
Le Journal de Montréal
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 5 janvier 2022
Date de la décision
Le 28 avril 2023
Résumé de plainte
Isabelle Dicaire dépose une plainte le 5 janvier 2022 au sujet de l’article « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois » publié dans Le Journal de Montréal, le 4 janvier 2022. La plaignante déplore de la partialité et du sensationnalisme dans le titre et un intertitre de l’article.
Le journaliste n’est pas mis en cause dans cette plainte, parce que les éléments qui accompagnent un article, comme la titraille, relèvent de la responsabilité du média.
Contexte
L’article mis en cause a été publié dans la section « Actualités : Justice et faits divers ». Il met de l’avant 11 situations qui ont retenu l’attention du journaliste, dans lesquelles « certains bandits n’ont visiblement pas fait preuve de grand jugement avant de se retrouver devant la justice, en commettant des bêtises qui les ont menés à leur perte » ou « ont grandement facilité le travail des policiers, soit par distraction, par maladresse ou parce que leur plan, bien souvent mal ficelé, a déraillé ». Chaque situation porte un intertitre différent.
La plainte vise le titre de l’article, ainsi que l’intertitre du sixième cas, « L’intelligence ne s’achète pas », sous lequel on relate le fait que Marc-André Robitaille, prétextant être un consultant immobilier, a forcé « par la menace une personne âgée à [lui] vendre sa résidence pour une bouchée de pain ». La victime a contacté le 911 et l’homme de 23 ans a été accusé « de séquestration, voies de fait, introduction par effraction, et d’avoir tenté d’obtenir quelque chose par des menaces. »
Griefs de la plaignante
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Partialité dans le titre
Le Conseil doit déterminer si le mis en cause a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans le titre « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de partialité sur ce point, car il juge que le mis en cause a contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Isabelle Dicaire considère que le média « semble se permettre tous les jugements » envers l’accusé. Elle affirme qu’« en titrant : « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois » […] on parle clairement de dénigrement, de violence et Le Journal de Montréal fait clairement justice ».
Le terme « imbécile » signifie « personne sans intelligence : abruti, crétin, idiot », selon le dictionnaire Le Robert. En qualifiant ces personnes d’imbéciles, le média exprime un point de vue sur les personnes dont on relate le crime. Pourtant, à aucun moment, le journaliste n’a utilisé le terme « imbécile » dans son article.
Par ailleurs, le mot « imbécile » dans le titre n’est pas utilisé entre guillemets, ce qui aurait indiqué que le média cite les propos d’une personne. Il aurait été possible, par exemple, qu’un témoin ou un analyste interviewé par le journaliste traite ces personnes d’imbéciles. Cela aurait été le point de vue de la personne interviewée. Rapporté entre guillemets, le terme n’aurait pas été un jugement de valeur de la part du média, qui aurait plutôt rapporté l’opinion de quelqu’un et non la sienne. Dans un reportage factuel, le média se doit d’être impartial. Or, dans le cas présent, le mot « imbécile » est utilisé sans guillemets. Ce titre n’est pas impartial, car il qualifie d’une manière subjective les personnes dont il est question dans l’article.
Un média fait preuve de partialité lorsqu’il emploie des termes qui témoignent d’un parti pris. Dans le dossier D2020-11-156 traitant d’une fausse prise d’otages dans le bureaux d’Ubisoft à Montréal, le titre « Un imbécile crée toute une frousse chez Ubisoft » a été également été jugé partial. Le Conseil a estimé que « le média avait adopté un point de vue selon lequel la personne à l’origine de l’appel [étai]t dépourvue d’intelligence », alors que « le corps de l’article ne con[tenait] aucune information concernant l’intelligence de l’auteur de l’appel, son raisonnement ou ses motivations […] Il [était] essentiellement identifié, dans l’article, comme « l’auteur du canular, qui a créé un traumatisme à Montréal ».
De la même manière, dans le cas présent, l’utilisation du terme « imbécile » indique que le média a adopté un point de vue selon lequel les criminels dont il est question dans l’article sont toutes des personnes dénuées d’intelligence. Il s’agit d’un jugement sans preuve à l’appui de la part du média, étant donné que l’article n’apporte pas d’information concernant l’intelligence des criminels dont il est question.
Par ailleurs, ce terme aurait pu être utilisé dans une chronique, puisque les journalistes d’opinion disposent d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour exprimer leur point de vue. Dans le cas présent, il s’agit d’un article factuel et bien que son titre puisse être accrocheur, il doit demeurer impartial et ne pas véhiculer de jugement de valeur.
1.2 Partialité dans un intertitre
Le Conseil doit déterminer si le média a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans l’intertitre « L’intelligence ne s’achète pas ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Tout comme pour le grief précédent, la plaignante considère que le média « semble se permettre tous les jugements » envers l’accusé. Elle affirme qu’en ajoutant l’intertitre « L’intelligence ne s’achète pas », « on parle clairement de dénigrement, de violence et Le Journal de Montréal fait clairement justice ».
« L’intelligence ne s’achète pas » peut être considérée comme une expression qui signifie que l’intelligence n’est pas quelque chose que l’on peut acheter ou acquérir par de l’argent par exemple. Il s’agit ici d’un fait général qui ne vise personne en particulier dans l’article en cause et qui ne véhicule pas, en soi, de jugement de valeur. Contrairement au grief précédent, cette expression n’est pas porteuse d’un parti pris en faveur d’un point de vue particulier.
Dans le dossier D2020-04-057, le Conseil a rejeté un grief de partialité dans le titre « Un coup de foudre ne justifie pas un déplacement entre régions » estimant que les éléments du titre étaient en tout point factuels et ne témoignaient d’aucun parti pris. La plaignante, qui considérait le fait divers rapporté comme un « cas de harcèlement », estimait que « les médias ne devraient pas pouvoir minimiser les actes de violence et encore moins les justifier par de l’amour ou un coup de foudre ». Le Conseil a jugé qu’aucun terme dans le titre ne témoignait d’un parti pris du média.
Pareillement, dans le cas présent, l’expression « L’intelligence ne s’achète pas » est un fait général qui ne témoigne pas d’un parti pris. Le Conseil ne voit pas de faute déontologique dans l’utilisation de cette expression.
Grief 2 : titre et intertitre sensationnalistes
Principes déontologiques applicables
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans :
- le titre « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois »;
- l’intertitre « L’intelligence ne s’achète pas ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de titre et intertitre sensationnalistes.
Analyse
La plaignante soutient que le média « déforme la réalité et les faits » pour tirer « la conclusion [que] Marc-André Robitaille est un des criminels les plus imbéciles, ajoutant même un titre que l’intelligence ne s’achète pas […] comme quoi Marc-André serait vraiment imbécile, un être dénué d’intelligence. »
Le Conseil doit d’abord analyser si le titre « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois » fait preuve de sensationnalisme.
Pour qu’un titre soit jugé sensationnaliste, il faut qu’il y ait eu une exagération ou une interprétation abusive des faits qui a pour conséquence de déformer la réalité. Or, dans le cas présent, aucun élément ne vient appuyer une interprétation abusive des faits. Le titre peut faire preuve de partialité, comme il a été déterminé au premier grief, mais il ne déforme pas la réalité en ce sens qu’il reflète le contenu de l’article qui présente 11 situations dans lesquelles « certains bandits n’ont visiblement pas fait preuve de grand jugement avant de se retrouver devant la justice, en commettant des bêtises qui les ont menés à leur perte [alors que] d’autres ont grandement facilité le travail des policiers, soit par distraction, par maladresse ou parce que leur plan, bien souvent mal ficelé, a déraillé. »
Le Conseil doit maintenant analyser si l’intertitre « L’intelligence ne s’achète pas » fait preuve de sensationnalisme.
Les médias disposent d’une grande liberté éditoriale dans le choix des mots qu’ils utilisent et dans la confection de leurs titres. Dans le cas présent, le média a choisi, dans le but de susciter l’intérêt du lecteur, d’utiliser un intertitre différent pour chacun des cas qu’il présente. L’intertitre en cause, « L’intelligence ne s’achète pas » est un fait général qui n’interprète pas abusivement la portée des faits qu’il rapporte.
Bien que le titre puisse frapper l’imaginaire et attirer le lecteur par son style et que l’intertitre puisse paraître accrocheur, ils n’en sont pas pour autant sensationnalistes du moment où ils ne déforment pas les faits par une interprétation abusive ou une exagération manifeste de la réalité. Dans le dossier D2021-04-071, le Conseil devait déterminer si le sous-titre « Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci? » était sensationnaliste. Le plaignant considérait que le sous-titre interprétait « abusivement la portée du fait rapporté : arrivée du “variant indien” ». Le Conseil a jugé que le sous-titre était fidèle à la réalité puisqu’au moment de la publication, « on parlait communément du variant de l’Inde et pas encore du variant Delta » et que, « bien que l’interpellation du premier ministre “Alors, Justin, est-ce qu’on coupe rapidement les liens avec l’Inde cette fois-ci?” puisse sembler familière, elle ne constitu[ait] pas une exagération des faits. »
De la même façon, dans le cas présent, nonobstant l’utilisation du qualificatif « imbéciles » qui témoigne de partialité, le titre et l’intertitre reflètent les informations présentes dans l’article sans exagérer ou interpréter abusivement la portée des faits. C’est pourquoi on ne peut pas y voir de sensationnalisme.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Isabelle Dicaire visant l’article « Voici les criminels les plus imbéciles depuis 12 mois », publié sur le site Internet du Journal de Montréal le 4 janvier 2022 et blâme Le Journal de Montréal concernant le grief de partialité dans le titre.
Le Conseil rejette par ailleurs les griefs de partialité dans un intertitre et de titre et d’intertitre sensationnalistes.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes
Lisa-Marie Gervais
Daniel Leduc
Représentants des entreprises de presse
Éric Grenier
Sylvain Poisson