D2022-01-016
Plaignant
Arnaud Filippi
Mis en cause
Richard Martineau, chroniqueur
Le Journal de Montréal
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 7 janvier 2022
Date de la décision
Le 31 mars 2023
Résumé de la plainte
Arnaud Filippi dépose une plainte le 7 janvier 2022 au sujet de la chronique « La vaccination est la seule porte de sortie » du journaliste Richard Martineau publiée sur le site du Journal de Montréal, le 6 janvier 2022. Le plaignant déplore un manque d’identification des sources.
Contexte
La chronique visée par la plainte a été publiée au moment où le Québec était aux prises avec la cinquième vague de COVID-19. Depuis décembre 2021, de nombreuses règles de santé publique avaient été resserrées dont la fermeture des restaurants et des bars, l’interdiction des rassemblements privés, le report de la rentrée scolaire de janvier et l’imposition d’un couvre-feu de 22h à 5h. De plus, la santé publique incitait la population à se rendre dans les centres de vaccination pour obtenir une dose de rappel.
En se basant sur le cas du patron d’Air Canada, Michael Rousseau, qui ne parle pas français alors qu’il vit et travaille à Montréal depuis 14 ans, Richard Martineau soutient que la bonne question à se poser serait : « “Pourquoi un allophone ou un anglophone se forcerait pour apprendre le français s’il n’a pas besoin de cette langue pour s’instruire, pour travailler, pour communiquer avec les autorités – bref, pour vivre à Montréal?” » Plus loin, le chroniqueur affirme que pour encourager l’apprentissage du français par les allophones et les anglophones, il faut faire « en sorte que la maîtrise de cette langue soit nécessaire pour améliorer leur sort ».
Dans la deuxième portion de sa chronique, Richard Martineau élargit ce raisonnement à la vaccination contre la COVID-19. Il demande : « Pourquoi les gens qui refusent de se faire vacciner pour des raisons idéologiques (et non médicales) se feraient vacciner s’ils peuvent avoir accès aux mêmes services que les gens vaccinés? » Selon lui, la vaccination est la seule porte de sortie à la crise pandémique. « Si tout le monde était vacciné, au Québec, il y aurait 70 % de moins de gens à l’hôpital. Le système de santé ne péterait plus au frette, nos infirmiers et nos médecins pourraient respirer et on pourrait ENFIN lever les consignes et viser l’immunité collective », écrit le chroniqueur. De son point de vue, « Ou on impose la vaccination obligatoire pour tout le monde. Ou on met des bâtons dans les roues des récalcitrants et on leur enlève certains privilèges. »
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Grief du plaignant
Grief 1 : manque d’identification des sources
Principe déontologique applicable
Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 [sur les sources anonymes] du présent Guide. » (article 12 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis d’identifier la source du pourcentage dont il fait état dans l’extrait suivant : « Si tout le monde était vacciné, au Québec, il y aurait 70 % de moins de gens à l’hôpital. Le système de santé ne péterait plus au frette, nos infirmiers et nos médecins pourraient respirer et on pourrait ENFIN lever les consignes et viser l’immunité collective. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque d’identification des sources.
Analyse
Le plaignant considère que le chroniqueur « devrait être en mesure de nous renseigner sur la provenance de ces chiffres ». Il ajoute : « Dans cette énième sortie en règle contre les non-vaccinés, M. Martineau nous annonce que si la population était vaccinée au complet, il y aurait 70% moins de gens à l’hôpital, or aucune source n’est mise de l’avant pour appuyer ses dires. »
À la lecture de la chronique, on constate que M. Martineau n’indique pas la source du chiffre (70 %) sur lequel il fonde son opinion. De plus, les recherches du Conseil n’ont pas permis de trouver l’origine de cette donnée (qu’une vaccination complète de la population réduirait de 70 % les hospitalisations).
Bien qu’un journaliste d’opinion puisse exprimer ses points de vue tout en bénéficiant d’une liberté d’opinion, il a l’obligation d’exposer les faits sur lesquels il base son opinion comme le rappelle le deuxième paragraphe de l’article 10.2 du Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec qui porte sur le journalisme d’opinion : « Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie ».
En n’identifiant pas la source du chiffre 70 %, Richard Martineau ne permet pas aux lecteurs de juger la valeur de cette information. Dans un contexte où la question de la vaccination contre la COVID-19 était très sensible, il était d’autant plus important que le chroniqueur appuie son argumentaire sur des données dont le public pouvait vérifier la qualité.
Le public doit en effet être en mesure d’évaluer la qualité des données qu’on lui avance. Pour cela, il est important de lui fournir la source de ces données. Dans le dossier D2017-12-152, le Conseil a retenu le grief d’absence d’identification d’une source. Alors que la journaliste affirmait dans la chronique visée que « de nombreux sondages » avaient démontré l’appui de la population à un projet de transport, le Conseil a observé qu’elle n’indiquait pas à quels sondages elle faisait référence alors qu’ils étaient au cœur de sa chronique. Le Conseil a également jugé que « sans l’identification des sondages utilisés, la journaliste n’expose pas les faits les plus pertinents sur lesquels elle fonde son opinion. Il était souhaitable pour le public de savoir sur quels sondages reposait sa thèse, d’autant plus qu’au moins un sondage concluait le contraire. »
De la même façon, en omettant d’indiquer la source du chiffre qu’il avance lorsqu’il affirme que « si tout le monde était vacciné, au Québec, il y aurait 70 % de moins de gens à l’hôpital », Richard Martineau n’expose pas les faits sur lesquels il fonde son opinion. Le chroniqueur aurait pu défendre l’importance de la vaccination en indiquant des données provenant d’une source identifiée afin que le public puisse en évaluer la valeur.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’Arnaud Filippi et blâme Richard Martineau et Le Journal de Montréal pour la publication de la chronique « La vaccination est la seule porte de sortie », publiée le 6 janvier 2022 concernant le grief de manque d’identification des sources.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes
Simon Chabot-Blain
Sylvie Fournier
Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Éric Grenier