D2022-01-077

Plaignant

Maxime Michaud-Ste-Marie

Mis en cause

Francis Pilon, journaliste

Clara Loiseau, journaliste

Le quotidien Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 31 janvier 2022

Date de la décision

Le 22 septembre 2023

Résumé de la plainte

Maxime Michaud-Ste-Marie dépose une plainte le 31 janvier 2022 au sujet de l’article « Manifestation à Ottawa : tensions et menaces en plein coeur de la capitale », des journalistes Francis Pilon et Clara Loiseau, publié sur le site Internet du Journal de Montréal le 30 janvier 2022. Le plaignant déplore de l’information inexacte et de la partialité.

Contexte

Le vendredi 28 janvier 2022, un convoi de camionneurs provenant principalement de l’ouest canadien s’est installé dans la ville d’Ottawa afin de revendiquer la levée des mesures sanitaires imposées par le gouvernement fédéral pour contenir la pandémie de COVID-19. Ces milliers de camionneurs, auxquels se sont greffés d’autres manifestants, s’opposaient notamment au confinement, au passeport vaccinal – requis pour que les camionneurs canadiens puissent franchir la frontière américaine –, mais également au gouvernement libéral de Justin Trudeau. Surnommé le « convoi de la liberté », le groupe a occupé le centre-ville de la capitale nationale pendant près de trois semaines, bloquant les rues et faisant connaître son mécontentement à coups de klaxon. Le 14 février 2022, le premier ministre Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, ce qui a mené à une importante opération policière pour désengorger la ville. Les médias d’information canadiens ont révélé que certains manifestants étaient associés à des groupes d’extrême droite, dont plusieurs réclamaient qu’on procède à l’arrestation de M. Trudeau.

Lorsque l’article faisant l’objet de cette plainte a été publié, le dimanche 30 janvier 2022, le convoi des camionneurs en était à sa troisième journée de protestation. La police d’Ottawa intervenait peu à ce moment, car elle affirmait vouloir éviter les confrontations avec les manifestants. De nombreux résidents d’Ottawa déploraient le bruit et la congestion causés par le convoi et se disaient « exaspérés ».

Griefs du plaignant

Grief 1 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis une information inexacte en utilisant le qualificatif « antitout » pour désigner le convoi des camionneurs dans le passage retranscrit ci-dessous.

« ​​Des camionneurs “antitout” ont refusé de quitter le centre-ville de la capitale fédérale après trois jours d’occupation qui coûtent quotidiennement 800 000 $ au trésor public, malgré les demandes des autorités. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte. 

Analyse

Le plaignant soutient que « le convoi de la liberté se fai[t] encore appeler “antitout” (ce qui [n’a] pas de sens, parce qu’il serait aussi anti-liberté). Il a été mentionné à plusieurs reprises que le “convoi de la liberté est contre les mesures sanitaires, pas contre tout” ». Il conclut que « ne pas respecter ça est littéralement inexact puisqu’[on] n’utilise pas le bon terme ».

Dans l’article en cause, le terme « antitout » a été placé entre guillemets pour montrer qu’il était utilisé dans un sens et un contexte particuliers. Le dictionnaire Larousse définit le nom « antitout », considéré comme familier, de la manière suivante : « Qui est systématiquement hostile à tout ce qu’on lui propose. » 

Considérant le contexte des restrictions gouvernementales liées à la pandémie, l’emploi du terme « antitout » n’était pas inexact dans l’expression « ​​Des camionneurs “antitout” ». Ce mot ne devait donc pas être interprété stricto sensu, comme le suggère le plaignant, mais au sens plus large du terme, témoignant des revendications variées du convoi des camionneurs qui manifestaient dans la ville d’Ottawa. Leurs revendications sont d’ailleurs énumérées au fil de l’article. On peut y lire que les manifestants réclamaient la fin des «  règles sanitaires », du « port [obligatoire] du masque », de la « vaccination des enfants », de même que la « démission » du Parti libéral du Canada.   

L’article en cause établissait aussi un lien avec la une de l’édition imprimée du Journal de Montréal de la veille (samedi 29 janvier 2022), sur laquelle on pouvait lire « Les “antitout” débarquent ». Ce titre en grosses lettres était accompagné d’un encadré, dans le coin supérieur droit, qui expliquait le contexte entourant l’utilisation de ce terme : « Contre le passeport vaccinal, contre le confinement, contre le gouvernement, contre les médias… La grande manifestation des camionneurs prévue à Ottawa aujourd’hui rassemble maintenant des gens opposés à un peu tout… »

En outre, le mot « antitout » avait déjà été utilisé dans divers journaux français (La Dépêche, Le Figaro, Libération), de façon antérieure à la pandémie de COVID-19, pour désigner des groupes de protestataires aux multiples revendications dans d’autres sphères de la société. 

Les guillemets peuvent servir à « faire ressortir un mot qu’on emploie dans un sens spécial », tel qu’expliqué sur la page « Fonctions des guillemets »1 du Portail linguistique du Canada. On pourrait aussi voir dans ce type d’usage des guillemets une manière abrégée, à l’écrit, de rendre l’expression orale « entre guillemets », qui signifie, selon le site Web lalanguefrançaise.com2 : « 1. (Figuré) Soi-disant, si l’on peut dire. 2. (Figuré) (Ironique) Si j’ose dire; sert à atténuer le sens d’un mot. »

Somme toute, en encadrant le terme familier « antitout » de guillemets et en énumérant les revendications variées du convoi des camionneurs qui manifestaient dans la ville d’Ottawa, Le Journal de Montréal a pris les mesures nécessaires pour rendre compte du sens particulier dans lequel ce mot était utilisé. L’emploi du mot « antitout » dans ce contexte ne constituait pas une inexactitude. C’est pourquoi le présent grief d’information inexacte est rejeté.

Grief 2 : partialité

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue en particulier. » (article 9 c) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris parti en faveur d’un point de vue particulier en utilisant le terme « antitout » dans le passage retranscrit ci-dessous.

« ​​Des camionneurs “antitout” ont refusé de quitter le centre-ville de la capitale fédérale après trois jours d’occupation qui coûtent quotidiennement 800 000 $ au trésor public, malgré les demandes des autorités. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de partialité.  

Analyse 

Le plaignant réitère que « le convoi de la liberté se fai[t] encore appeler “antitout” (ce qui [n’a] pas de sens, parce qu’il serait aussi anti-liberté). Il a été mentionné à plusieurs reprises que le “convoi de la liberté est contre les mesures sanitaires, pas contre tout” ». Il est d’avis que « ne pas respecter ça est littéralement […] partial ». 

L’utilisation du mot « antitout » dans le contexte de l’article en cause est de nature factuelle et ne constitue pas une inexactitude, comme nous l’avons vu au grief précédent. Ce terme ne témoigne pas non plus d’un parti pris en faveur d’un point de vue particulier. Il s’agit d’un qualificatif servant à décrire des manifestants aux revendications variées. Bien que certains lecteurs aient pu y voir une généralisation, le terme « antitout », placé entre guillemets, rend compte d’une réalité qui est expliquée plus en détail dans l’article, lorsque les deux journalistes font état des revendications des manifestants associés au convoi des camionneurs.

Pour qu’un grief de partialité soit retenu, les journalistes ou les médias doivent employer des termes connotés qui attestent d’un parti pris en faveur ou à l’encontre de ce qui est rapporté dans la nouvelle. À titre d’exemple a contrario, dans la décision antérieure D2020-11-157, le grief de partialité dans le titre « Covidiots dans un centre d’achats » a été retenu, parce que le mot « covidiots » témoignait d’un point de vue de la part du média concernant les participants à un rassemblement. Ce terme péjoratif et inventé, qui qualifiait d’idiots les gens qui ne se conformaient pas aux mesures sanitaires, n’était pas placé entre guillemets, contrairement au cas présent. 

On souligne également dans cette décision que « parce qu’il comprend le mot “idiots”, le terme “covidiots” est connoté. Qualifier des personnes d’idiotes est en effet une question de point de vue, puisque certains considèrent comme idiots des gens que d’autres ne considèrent pas comme idiots. Il s’agit d’un qualificatif subjectif […]. Ce mot exprime un jugement de valeur selon lequel les gens qui ne respectent pas les mesures sanitaires sont dépourvus d’intelligence. Bien que plusieurs puissent le penser, il ne revient pas au média de présenter son point de vue dans un reportage factuel. »

Or, dans le cas présent, le qualificatif « antitout » n’est pas subjectif, ne comporte pas de connotation péjorative ni de jugement de valeur à l’endroit des manifestants du « convoi de la liberté », qui avaient de nombreuses revendications au sujet de la pandémie. Il est utilisé de manière strictement descriptive et encadré par des guillemets afin de rendre compte du contexte particulier dans lequel il est employé. Pour ces raisons, le grief de partialité est rejeté.

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Maxime Michaud-Ste-Marie visant l’article « Manifestation à Ottawa : tensions et menaces en plein coeur de la capitale », des journalistes Francis Pilon et Clara Loiseau, publié sur le site Internet du Journal de Montréal le 30 janvier 2022, concernant les griefs d’information inexacte et de partialité.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Charles-Éric Lavery

Représentants des journalistes

Rémi Authier

Lisa-Marie Gervais

Représentants des entreprises de presse

Marie-Andrée Chouinard

Sylvain Poisson

1 Référence : Gouvernement du Canada, Portail linguistique du Canada, « Fonctions des guillemets ». Consulté en septembre 2023. https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/cles-de-la-redaction/guillemets-generalites.html
2 Référence : La langue française, « Définition de “entre guillemets” ». Consulté en septembre 2023. https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/entre-guillemets