D2022-02-112
Plaignant
André Chevalier
Mis en cause
Stéphane Baillargeon, journaliste
Le quotidien Le Devoir
Date de dépôt de la plainte
Le 16 février 2022
Date de la décision
Le 16 juin 2023
Résumé de la plainte
André Chevalier dépose une plainte le 16 février 2022 au sujet de l’article « Chasse ouverte aux patrons toxiques », du journaliste Stéphane Baillargeon, publié dans le quotidien Le Devoir le 10 février 2022. Le plaignant déplore une information inexacte.
Contexte
L’article de Stéphane Baillargeon visé par cette plainte porte sur les patrons toxiques en milieu de travail. Il explore l’hypothèse que la pandémie pourrait avoir eu un impact sur des dénonciations d’employés : « […] la pandémie semble avoir stimulé le ras-le-bol des victimes. Les temps changent et la pandémie a aussi déclenché une chasse ouverte contre le boss atroce », écrit-il. Il rapporte également des propos d’experts et cite un article du New York Times de la journaliste Emma Goldberg intitulé « No More Working For Jerks! », publié le 8 janvier 2022.
Pour introduire le sujet, Stéphane Baillargeon donne des exemples du milieu des médias d’information, qui n’a pas échappé à cette « chasse ouverte aux patrons toxiques ». Il rapporte que des dirigeants de Radio-Canada et de TVA ont dû démissionner ou quitter leurs fonctions après que des enquêtes indépendantes ont révélé l’existence d’un climat de travail « pénible ».
Une première version de l’article nommait deux patrons de TVA, dont André Chevalier, le plaignant dans ce dossier. Avant de déposer une plainte au Conseil de presse, M. Chevalier a fait parvenir une lettre à la rédaction du Devoir, à la suite de laquelle les deux noms ont été retirés du texte. Sa plainte au Conseil de presse vise la version corrigée de l’article.
Grief du plaignant
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte à propos du nombre de dirigeants de TVA qui ont quitté leurs fonctions dans le passage suivant : « En 2020, deux dirigeants de TVA ont quitté leurs fonctions après une enquête indépendante ayant confirmé un climat pour le moins pénible ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
Le plaignant soutient « [qu’]initialement le texte original [de l’article] était : « En 2020, Serge Fortin, vice-président de TVA Nouvelles et de TVA Sports, et son adjoint principal, André Chevalier, ont quitté leurs fonctions après une enquête indépendante ayant confirmé un climat pour le moins pénible ». Le journaliste s’est basé sur un article de La Presse datant de 2020. Aucune vérification n’a été faite sur la véracité de cet article. Comment peut-il affirmer que j’ai quitté mes fonctions après une enquête indépendante (qui s’est déroulée soit dit en passant après mon départ à la retraite à 66 ans et déterminé en 2019)? »
Déplorant que le journaliste Stéphane Baillargeon ne lui ait pas téléphoné pour vérifier l’information, le plaignant poursuit : « C’est ça de l’exactitude et de la rigueur? On lance des noms et des jugements sans aucune vérification? Suite à ma plainte, même s’ils ont retiré mon nom de l’article, c’est une fausseté que d’écrire « deux dirigeants de TVA (je ne parle qu’en mon nom) ont quitté leurs fonctions ». Pour demeurer dans l’exactitude, qui sont-ils ces deux dirigeants de TVA qui ont quitté leurs fonctions? »
Pour leur part, les mis en cause insistent « sur le fait que l’article de M. Baillargeon ne portait pas sur le départ de TVA de messieurs Fortin et Chevalier dans un contexte de climat de travail difficile, mais [le journaliste] s’est servi de cet exemple pour démarrer son texte. Il cite surtout deux expertes québécoises en ressources humaines et santé au travail et une professeure de psychologie, autrice d’un ouvrage portant sur la question. L’exemple du départ des deux patrons de TVA ne sert donc que de bougie d’allumage au texte et n’est absolument pas disséqué de manière détaillée dans le texte. »
Ils expliquent que « pour étayer les […] exemples de médias québécois troublés par des enjeux de climat de travail, M. Baillargeon » a intégré des hyperliens au texte de son article, dont un qui renvoie « à une enquête de La Presse pour le cas de TVA Nouvelles et du départ de deux dirigeants dans un contexte de tension au travail, où des employés ont associé ces départs à “la fin d’un régime de terreur”. »
« Cette enquête fouillée de La Presse reposait sur des entretiens effectués auprès de 21 employés et ex-employés de TVA, dont 6 témoignent à visage découvert. La porte-parole de TVA, Véronique Mercier, y est également citée. Notre journaliste a basé la rédaction de ses 44 mots portant sur les deux dirigeants de TVA sur les conclusions, témoignages et citations de cette enquête publiée en septembre 2020. »
« Les “changements annoncés” [au sein de l’équipe de gestion de la salle de rédaction de TVA] réfèrent, selon l’article [de La Presse], à deux départs […] : Serge Fortin qui n’occuperait plus son poste de vice-président au Groupe TVA, et le départ à la retraite devancé en août de son adjoint André Chevalier. Cette séquence confirmée par la porte-parole de l’ex-employeur de M. Chevalier ne suggère pas que les conclusions de la firme indépendante sont survenues après les changements dans l’équipe de gestion. »
Les mis en cause reconnaissent que « toutefois, il est vrai que nous n’avons pas consulté le rapport de cette firme, mais cela n’était pas essentiel à notre travail journalistique, car le cas de TVA est abordé de manière périphérique et non centrale. »
Sur ce dernier point, il faut rappeler que l’exactitude à laquelle les journalistes sont tenus s’applique à toutes les informations rapportées, qu’elles soient périphériques ou centrales au sujet traité. Par ailleurs, le cas des deux patrons de TVA, abordé dans la première moitié de l’article et faisant état d’allégations graves, n’était pas périphérique au sujet. Il s’agissait d’un exemple concret servant à illustrer directement la thématique principale, soit le climat toxique en milieu de travail.
Cela dit, à la lumière des informations fournies par les deux parties, le Conseil se trouve devant des versions contradictoires, sans preuve concrète lui permettant de déterminer si le départ à la retraite d’André Chevalier était lié ou non à l’enquête sur le climat de travail dans la salle de nouvelles de TVA. Lorsque des versions contradictoires s’affrontent, des preuves concrètes confirmant les allégations sont nécessaires, sans quoi il est impossible de conclure à une inexactitude.
Une absence de preuves semblable a été constatée dans le dossier D2021-05-100, où deux griefs d’information inexacte ont été rejetés. Les griefs concernaient l’apport d’un expert en cybersécurité et le fait que des tests précédents avaient été effectués, dans le contexte d’une fuite de données informatiques. Le Conseil a jugé que le plaignant n’apportait pas de preuve pour soutenir ses allégations que des informations inexactes avaient été rapportées. « Lorsque deux versions contradictoires sont opposées et que le plaignant ne parvient pas à faire la démonstration de ce qu’il avance, le Conseil accorde le bénéfice du doute au journaliste. »
De même manière, dans le cas présent, ni le plaignant ni le média n’apportent de preuve permettant de statuer sur l’inexactitude alléguée, et la chronologie des événements ayant mené au départ à la retraite de M. Chevalier n’a pas été rendue publique. Le grief d’information inexacte est donc rejeté, faute de preuves.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’André Chevalier visant l’article « Chasse ouverte aux patrons toxiques », du journaliste Stéphane Baillargeon, publié dans le quotidien Le Devoir le 10 février 2022, concernant un grief d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Suzanne Legault
Représentants des journalistes
Simon Chabot-Blain
Sylvie Fournier
Représentants des entreprises de presse
Stéphan Frappier
Éric Grenier