D2022-04-164
Plaignant
Daniel Drouin
Mis en cause
Le Journal de Québec
Le Journal de Montréal
TVA Nouvelles
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 7 avril 2022
Date de la décision
Le 22 septembre 2023
Résumé de la plainte
Daniel Drouin dépose une plainte le 7 avril 2022 au sujet de l’une des photos accompagnant l’article « Déconfinement : un sentiment de normalité qui fait du bien », publié dans les quotidiens Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal et sur leurs sites Internet ainsi que sur le site Internet de TVA Nouvelles, les 12 et 13 mars 2022. Le plaignant déplore une photographie manquant de respect à la vie privée.
Contexte
Au moment de la publication du reportage, en mars 2022, le gouvernement du Québec assouplit les mesures sanitaires après deux ans de pandémie de COVID-19. La plainte vise une photo accompagnant un article qui rapporte que « les commerces peuvent désormais fonctionner au maximum de leur capacité » et rapporte des témoignages de clients « soulagés de pouvoir enfin profiter de leurs activités préférées ». La photo en cause montre l’intérieur d’un restaurant où presque toutes les tables sont occupées. La légende qui accompagne la photo indique : « Le Cochon Dingue de Lebourgneuf à Québec, a bénéficié d’un achalandage monstre, hier. »
Grief du plaignant
Grief 1 : photographie manquant de respect à la vie privée
Principes déontologiques applicables
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la photographie manque de respect au droit à la vie privée du plaignant.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de photographie manquant de respect à la vie privée.
Analyse
Le plaignant déplore que les mis en cause aient publié une photo dans laquelle on le voit attablé dans un restaurant. Il explique : « Je ne suis pas un personnage public et j’ai choisi de ne pas m’exposer soit dans les journaux, soit dans les médias sociaux. Ma photo a été publiée dans le journal et les différentes plateformes sans mon consentement. »
« Je suis clairement en avant plan. J’ai reçu plusieurs courriels – textos soulignant que ma photo était dans le journal », estime le plaignant qui ajoute : « En plus si vous lisez le commentaire en dessous, c’est comme si j’allais au cinéma après et que mon assiette était bien garnie. C’est n’importe quoi, le journaliste ou photographe ne nous a pas adressé la parole et nous n’étions même pas servis. Dans les textos que j’ai reçus, on m’a dit que je m’étais payé un gros déjeuner… »
Avant de déterminer si les mis en cause ont manqué de respect au droit à la vie privée du plaignant, il faut déterminer si l’article et la photographie permettent de l’identifier. En d’autres mots, est-ce que les lecteurs du Journal de Montréal sauront qui est cette personne? Pour qualifier une personne d’identifiable, il ne suffit pas qu’une personne se soit elle-même reconnue, ou que ses proches l’aient reconnue; elle doit être identifiable aux yeux du grand public, comme le rappellent plusieurs décisions antérieures du Conseil de presse, notamment les décisions D2020-03-048, D2019-04-059 ou encore D2012-02-061.
Si le média a identifié la personne, il faudra alors déterminer si les éléments de sa vie privée qui sont mis de l’avant étaient d’intérêt public, car le Guide nous rappelle que les médias « peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public ».
Contexte de la photo visée par la plainte
Dans le contexte du déconfinement lié à la pandémie, la photo représente la salle à manger achalandée d’un restaurant de Québec. Le restaurant est un établissement privé ouvert au public, ce qui limite l’expectative de vie privée des personnes qui s’y retrouvent.
La photo en question est intégrée dans l’article. Elle est située sous la vidéo et sous une autre photo. La légende de la photo dit « Le Cochon Dingue de Lebourgneuf à Québec, a bénéficié d’un achalandage monstre, hier ».
Dans les paragraphes entourant la photo, certains clients du restaurant sont cités. Le plaignant n’est ni cité ni mentionné dans l’article.
Description de la photo visée par la plainte
Sur la photo du restaurant, on peut voir une quinzaine de personnes. Le plaignant est l’homme assis vers le centre de la photo, crâne chauve, bras croisés et chandail de coton ouaté bleu clair à capuchon. Il regarde directement l’appareil photo.
Le visage du plaignant, comme d’autres, n’est pas net et il est modérément à contre-jour. Ce n’est pas un gros plan sur son visage. Contrairement à ce qu’affirme le plaignant, il n’est pas en premier plan de la photo, mais plutôt en second plan. Le visage d’une femme assise plus près du photographe est aussi visible, comme le sont les visages d’autres clients attablés.
Éléments d’identification du plaignant
Aucun élément de l’article accompagnant la photo ou de la légende sous la photo ne porte sur cet homme en particulier. Le plaignant n’est pas cité dans l’article. Son nom n’est pas mentionné, ni où il travaille, ni où il habite, ni aucun élément le concernant.
Afin de déterminer si une personne est identifiable aux yeux du public, il faut des éléments qui permettent de savoir qui elle est. La photo à elle seule de cet homme au milieu d’un restaurant achalandé ne permet pas au public de l’identifier. Or, nous ne savons rien sur la personne, qui, par ailleurs, n’est ni le sujet de l’article, ni le sujet principal de la photo. Dans la décision antérieure D2020-03-048, le Conseil a constaté que les personnes photographiées faisant la file à une clinique de dépistage n’étaient pas suffisamment identifiables. Cette décision expliquait : « Le reportage ne contient pas d’éléments spécifiques comme des noms, des adresses, ou autres, qui permettraient d’identifier ces gens. Ces photos à elles seules ne permettent pas au public de les identifier. » Le fait qu’une personne se soit reconnue ou ait reconnu un proche dans un reportage ou sur une photo publiée par un média d’information ne signifie pas que cette personne est identifiable, comme l’indique la décision D2019-04-059 qui explique, au sujet d’une photo sombre et granuleuse d’une femme assise au loin dans un bar, qu’« il est possible qu’une personne se reconnaisse elle-même sur une photo, reconnaissant le lieu où elle se trouvait, ou que l’un de ses proches la reconnaisse. Cela n’est pas considéré comme une atteinte à sa vie privée au regard de la déontologie journalistique ». Cette décision conclut que « la plaignante, même si elle s’est reconnue dans cette photo, ne peut être identifiée par le grand public », notamment parce que la plaignante « n’est nommée ou citée, ni dans le texte, ni dans la légende de la photo ».
Dans le dossier D2015-08-016, au contraire, le grand public était en mesure d’identifier le policier dont il était question dans le reportage. En plus de mentionner son nom, son prénom et son âge, le reportage indiquait le corps policier pour lequel il travaillait, ainsi que le poste qu’il occupait. Le Conseil a ensuite analysé si des éléments de sa vie privée avaient été révélés et a jugé que c’était le cas, en l’occurrence les raisons médicales de son congé de maladie. Finalement, le Conseil a jugé que ces raisons médicales étaient « de peu d’intérêt public » et « pas nécessaires à la compréhension de l’histoire rapportée dans le reportage » et le grief de non-respect de la vie privée a donc été retenu.
Dans le cas présent, le plaignant s’est d’abord plaint au Journal de la photo. Le plaignant a soumis au Conseil de presse la réponse du média.
Chloé de Lorimier, conseillère, Affaires juridiques de Québecor Média, dans un courriel adressé au plaignant, fait remarquer que celui-ci n’est « pas seul à apparaître sur cette photographie qui montre plutôt une vue d’ensemble d’un restaurant ouvert au grand public ». Elle ajoute : « Vous n’y êtes pas non plus au premier plan ni particulièrement mis de l’avant. Contrairement à vos dires, il ne s’agit donc pas d’une “photo de vous”. De plus, vous ne pouvez pas avoir une expectative de vie privée au restaurant, à heure de grand achalandage. De surcroît, cette photographie a été publiée en support d’une nouvelle journalistique. Or, dans ce contexte, l’information légitime du public l’emporte sur votre droit à l’image. » En effet, le plaignant ne pouvait pas exclure qu’une photo de presse prise dans un endroit ouvert au public soit publiée.
Quant aux passages du texte qui encadrent la photographie mise en cause, bien que le plaignant considère qu’ils laissent entendre qu’il va au cinéma après son repas et que son « assiette était bien garnie », les extraits de l’article auxquels il fait référence ne le concernent pas. Quand l’article rapporte : « “On est venu déjeuner au resto ce matin et on s’en va au cinéma cet après-midi. On se gâte, ça fait longtemps qu’on n’est pas sorti !”, s’exclame l’homme devant une assiette bien remplie, au Cochon Dingue de Lebourgneuf », il cite les propos de Pierre-Luc Michaud, qui est présenté comme suit dans le paragraphe qui précède la photo : « À Québec, Pierre-Luc Michaud et son frère Jérôme n’ont pu s’empêcher de profiter de la levée du passeport vaccinal dès le premier jour. Ils avaient attendu ce moment avec impatience. » Ces passages ne fournissent aucune information sur le plaignant et ne permettent pas de l’identifier. Si un proche du plaignant a associé ces extraits de l’article au plaignant parce qu’il l’a reconnu sur la photographie, cela est lié à une mauvaise lecture de l’article et non à un manquement déontologique des mis en cause.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, Journal de Montréal et du Groupe TVA, qui ne sont pas membres du Conseil de presse et n’ont pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Daniel Drouin visant la photographie accompagnant l’article « Déconfinement : un sentiment de normalité qui fait du bien », publié dans les quotidiens Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal et sur leurs sites Internet ainsi que sur le site Internet de TVA Nouvelles, les 12 et 13 mars 2022, concernant le grief de photographie manquant de respect à la vie privée.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes
Rémi Authier
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Sylvain Poisson