D2022-10-213

Plaignante

Nadia Cioce

Mis en cause

Francis Pilon, journaliste

Le quotidien Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 14 octobre 2022

Date de la décision

Le 22 septembre 2023

Résumé de la plainte 

Nadia Cioce dépose une plainte le 14 octobre 2023 au sujet de l’article « Une complotiste d’ici récolte des milliers de $ à l’international », du journaliste Francis Pilon, publié dans Le Journal de Montréal, le 12 octobre 2022. La plaignante déplore des informations inexactes. 

Contexte

L’article visé par cette plainte porte sur « une Québécoise [la plaignante dans le présent dossier] devenue une complotiste célèbre aux quatre coins de la planète […] qui a récolté plus de 60 000 $ […] pour propager de fausses nouvelles et théories du complot sur sa chaîne YouTube. »

Le journaliste rapporte des propos d’experts qui mettent en garde contre « la Québécoise Nadia Cioce, une figure de proue des mouvements complotistes sur les réseaux sociaux ». Elle est connue en ligne sous le nom de « Nana L’information Autrement » et elle aurait réussi à déjouer la plateforme YouTube grâce à ses choix de mots et au vocabulaire qu’elle utilise. 

Selon une professeure en communication à l’Université de Sherbrooke citée dans le reportage, Nadia Cioce se ferait également « passer pour une “journaliste” sur ses plateformes en ligne, alors qu’elle est plutôt une “leader conspirationniste” ».

Le journaliste mentionne également que la chaîne « Nana L’information Autrement », née au début de la pandémie, est examinée en ce moment par les spécialistes de la compagnie Google Canada, propriétaire de YouTube. Sa chaîne a été supprimée par YouTube le lendemain de la parution de l’article.

Dans un second article (qui n’est pas visé par la plainte) publié le lendemain, le journaliste rapporte que la chaîne « Nana L’information Autrement » a été supprimée. Il joint une capture d’écran de YouTube indiquant que « ce compte a été clôturé en raison du non-respect des conditions d’utilisation de YouTube ».

Griefs de la plaignante

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec

1.1 QAnon

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : « Sur sa chaîne YouTube, où elle a plus de 90 000 abonnés, Nadia Cioce partage de nombreuses théories conspirationnistes QAnon ».

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.

Analyse

Dans sa plainte au Conseil de presse, Nadia Cioce écrit qu’elle a « toujours dit que QAnon, c’est du grand n’importe quoi », qu’elle « n’y adhère pas AU CONTRAIRE ». 

Cependant, le journaliste n’écrit pas que la plaignante « adhère à QAnon », mais plutôt que « sur sa chaîne YouTube, où elle a plus de 90 000 abonnés, Nadia Cioce partage de nombreuses théories conspirationnistes QAnon ». La nuance est importante parce que le verbe « partager », selon le Dictionnaire Larousse, signifie « répandre, diffuser une information » alors qu’« adhérer » réfère plutôt à l’idée de « faire sienne » une idée, une opinion. 

Il faut donc évaluer s’il était inexact pour le journaliste d’affirmer qu’elle partageait des théories QAnon sur sa chaîne YouTube. 

Bien que la chaîne de la plaignante ait été retirée de YouTube le 13 octobre 2022, quelques anciennes vidéos de « Nana L’Information Autrement » sont toujours diffusées sur les chaînes de tiers, par exemple sur celle de @nikilarsons1424. Le contenu des discours de « Nana L’Information Autrement » présente des similitudes avec les théories du mouvement QAnon, notamment celles qui s’articulent autour de l’idée que Donald Trump (surnommé « Le Capitaine ») est perçu comme un sauveur face à « l’État profond », lequel est incarné par « les milieux financiers, pharmaceutiques et les médias dominants ».1

La plaignante n’apporte aucun élément d’information qui permettrait de juger de l’inexactitude alléguée, malgré les demandes de précisions du Conseil. Pour ce faire, il aurait notamment fallu qu’elle fournisse une preuve qu’elle ne « partage » pas de théories QAnon. Si, comme elle l’affirme au Conseil, Mme Cioce a « toujours dit que QAnon,  c’est du grand n’importe quoi », il aurait fallu qu’elle en fasse la démonstration.

Lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne peut retenir le grief que s’il a la preuve qu’une information inexacte a été véhiculée. Il revient au plaignant de faire la démonstration des accusations qu’il formule. Dans le dossier D2017-03-033, par exemple, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte, jugeant que le plaignant n’avait pas avancé les preuves démontrant qu’il y avait eu inexactitude. Après visionnement du reportage, le Conseil n’a pas vu d’inexactitude « puisque les prix mentionnés concernent deux types de travaux différents, une nuance d’ailleurs mise de l’avant par les experts témoignant dans le reportage ».

De la même manière, dans l’article en cause, on ne peut pas conclure que le journaliste a rapporté une information inexacte puisqu’on ne dispose pas de preuve de l’inexactitude alléguée par la plaignante. 

1.2 Journaliste

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : « Cette dernière s’inquiète surtout du fait que Nadia Cioce se fait passer pour une “journaliste” sur ses plateformes en ligne, alors qu’elle est plutôt une “leader conspirationniste” ».

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.

Analyse 

La plaignante soutient que le journaliste a transmis de l’information inexacte en rapportant les propos tenus par la professeure en communication à l’Université de Sherbrooke, Marie-Ève Carignan, dans l’extrait ci-dessus. 

La plaignante apporte en preuve une carte de presse qu’elle a obtenue du réseau WorkPress, qui se décrit comme un service d’accréditation de journalistes pour « tout citoyen qui collecte, analyse et/ou produit de l’information qui peut être exportée au public  (any citizen who collects, analyzes and/or produces information that can be exported to the public) ».

À la lecture du passage visé de l’article, on constate que le journaliste rapporte l’opinion de la professeure Carignan, qui s’inquiète que Mme Cioce se présente comme journaliste. En plaçant les termes « journaliste » et « leader conspirationniste » entre guillemets, le journaliste indique clairement aux lecteurs qu’il reprend les termes utilisés par Mme Carignan.

Dans le dossier D2018-09-090, le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte en faisant valoir que « les propos reprochés sont tenus par le maire de Gaspé dans une entrevue audio que l’on retrouve dans l’article. Le Conseil constate que la journaliste rapporte la réaction du maire qu’elle a recueillie lors de la conférence de presse et que l’information inexacte alléguée par le plaignant est en fait l’opinion du maire. Le Conseil juge que la journaliste ne saurait être tenue responsable de l’interprétation que le maire a faite de la position des militants ».

De la même manière, dans le cas présent, le journaliste ne saurait être tenu responsable de l’opinion de la professeure Carignan, qui estime que le fait que Mme Cioce « se fasse passer pour une journaliste » est inquiétant.

1.3 Entrevue

Le Conseil doit déterminer si le journaliste a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : « Le Journal a tenté de parler de vive voix avec Nadia Cioce, mais celle-ci n’était pas en mesure de nous accorder une entrevue avant le mois de décembre. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.

Analyse

Selon la plaignante, il est faux de dire que « Le Journal a tenté de parler de vive voix avec Nadia Cioce, mais celle-ci n’était pas en mesure de nous accorder une entrevue avant le mois de décembre ». Elle affirme qu’elle a « plusieurs mail[s] qui prouvent le contraire ». 

À la lecture des courriels transmis par la plaignante, on ne constate pas d’information inexacte dans les propos du journaliste. Le 4 octobre 2022, le journaliste écrit à la plaignante afin d’obtenir son numéro pour discuter avec elle de sa page YouTube « Nana L’Information Autrement ». Celle-ci lui répond, le même jour : « Ce sera pour moi un plaisir de vous accorder une entrevue dès mon retour fin décembre. » Le 5 octobre 2022, elle écrit à nouveau : « Je peux peut-être vous accommoder en répondant à vos questions par écrit cette nuit. »

Cependant, le journaliste mentionne que « l’entrevue doit se faire de vive voix », ce à quoi Nadia Cioce répond le 6 octobre 2022 : « Donnez-moi votre téléphone et jusqu’à quelle heure je peux vous joindre le soir, je ne suis pas chez moi encore et je ne garantis pas pouvoir vous téléphoner mais dites toujours. » 

À la lecture des échanges de courriels, il apparaît que le journaliste n’a pas transmis d’information inexacte puisque la plaignante n’offre pas de disponibilité à accorder une entrevue de vive voix au journaliste avant le mois de décembre. Le grief d’information inexacte est donc rejeté.

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Nadia Cioce visant l’article « Une complotiste d’ici récolte des milliers de $ à l’international » de Francis Pilon, publié dans Le Journal de Montréal le 12 octobre 2022, concernant les griefs d’informations inexactes.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Suzanne Legault

Représentants des journalistes

Rémi Authier

Lisa-Marie Gervais

Représentante des entreprises de presse

Marie-Andrée Chouinard

1 Référence : Geoffroy, Martin ; Boily, Frédéric ; Nadeau, Frédérick (2022) « Typologie des discours conspirationnistes au Québec pendant la pandémie : rapport Synthèse », consulté en septembre 2023. https://cefir.cegepmontpetit.ca/wp-content/uploads/2022/03/CEFIR-Rapport-de-recherche-Discours-conspirationnistes-v5-1.pdf