D2022-12-229
Plaignant
Quentin Condo
Mis en cause
Mathieu Bock-Côté, collaborateur
Émission « La Joute »
LCN, Groupe TVA
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 6 décembre 2022
Date de la décision
Le 6 décembre 2023
Résumé de la plainte
Quentin Condo dépose une plainte le 6 décembre 2022 au sujet d’une intervention du collaborateur Mathieu Bock-Côté durant le segment « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? » de l’émission « La Joute », diffusée le 5 décembre 2022 sur les ondes de LCN. Le plaignant déplore de la discrimination envers les Autochtones.
Contexte
Au début du mois de décembre 2022, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau tente de faire adopter à la Chambre des communes une version amendée et plus restrictive du projet de loi C-21 – ou Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu) – visant à resserrer le contrôle des armes à feu au Canada. À ce moment, cette nouvelle mouture du projet de loi C-21, qui élargit notamment la définition d’une arme d’assaut, est vivement contestée par certains chasseurs, qui craignent de voir plusieurs modèles d’armes de chasse devenir illégaux.
Le 5 décembre, l’animateur Paul Larocque aborde la question du contrôle des armes à feu dans l’émission d’affaires publiques quotidienne « La Joute », diffusée à LCN. Trois des collaborateurs réguliers de l’émission – le chroniqueur du Journal de Montréal Mathieu Bock-Côté, l’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette et l’ex-députée péquiste Elsie Lefebvre – sont invités à donner leur point de vue et à débattre du projet de loi C-21. La présente plainte porte sur les propos tenus par le collaborateur Mathieu Bock-Côté au sujet des territoires autochtones dans le cadre d’un segment intitulé « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? ».
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Grief du plaignant
Grief 1 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Mathieu Bock-Côté a tenu des propos discriminatoires qui tendent à entretenir les préjugés envers les Autochtones dans les extraits de l’émission « La Joute » retranscrits ci-dessous.
- « Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît. Mais parce qu’on veut pas s’affronter aux réserves, parce qu’on veut pas se confronter à la question autochtone telle qu’elle se pose aujourd’hui, on décide globalement de s’en prendre à une autre cible. »
- « L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves. »
- « Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs, qui viennent… pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de discrimination.
Analyse
Le plaignant, Quentin Condo, soutient : « […] les journalistes ont dit que toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones (réserves). Ils n’ont fourni aucune preuve de ce qu’ils avancent et aucun fait pour soutenir ces allégations. Ce genre de rhétorique est irresponsable, discriminatoire, fausse et dangereuse. Ces commentaires placent les communautés autochtones dans des positions compromettantes parce qu’ils étiquettent toutes les communautés autochtones comme des trafiquants d’armes et des criminels. C’est tout à fait inacceptable. » (« […] the journalists said that all of the illegal firearms in Quebec/Canada come from Indigenous Communities (Reservations). They did not provide any proof of their claims or facts to support these claims. This type of rhetoric is irresponsible, discriminatory, false and dangerous. These comments put Indigenous People in compromising positions because it labels all Indigenous Communities as firearm traffickers and criminals. This is totally unacceptable. »)
Il ajoute : « Les remarques discriminatoires faites par M. [Bock-]Côté (qui ont aussi été encouragées par son collègue [Gaétan Barrette]) sont très troublantes parce qu’elles étiquettent les peuples autochtones et les “réserves” comme une zone protégée pour les activités criminelles. Ces remarques alimentent les préjugés à propos des peuples autochtones et de nos communautés. Il n’a jamais identifié une seule communauté et n’a pas fourni la moindre preuve pour soutenir ses affirmations. De telles remarques sont dangereuses pour les peuples autochtones parce qu’il est fort possible qu’un membre de la famille d’une victime de violence par arme à feu se mette à penser que ce que dit M. [Bock-]Côté est vrai. De plus, ces remarques ont un impact négatif sur l’économie autochtone. Si le public croit les mensonges de M. [Bock-]Côté, cela crée une fracture à tous les niveaux, ce qui a pour résultat d’empêcher les non-Autochtones de soutenir nos entreprises actuelles. » (« The discriminatory remarks made by Mr. [Bock-]Côté (that were encouraged as well by his colleague [Gaétan Barrette]) are very disturbing because it labels Indigenous People and “Reservations” as a protected area for criminal activities. These remarks fuel prejudices about Indigenous People and our Communities. He never identified any single community nor did he provide any proof regarding his statements. These remarks are dangerous for Indigenous People because it’s very possible that a family member of those victims of gun violence can easily think that what Mr. [Bock-]Côté said is true. These remarks have a negative impact on Indigenous economy as well. If the audience believes these lies that Mr. [Bock-]Côté is saying, it creates a divide at every level which as a result keeps non Indigenous People from encouraging our existing businesses. »)
Les mis en cause, Mathieu Bock-Côté et le Groupe TVA, n’ont pas répondu à la plainte.
À l’écoute du segment de l’émission « La Joute » visé par la présente plainte, on ne peut conclure que les propos de M. Bock-Côté entretiennent les préjugés allégués par M. Condo, soit que « toutes les communautés autochtones » sont « des trafiquants d’armes et des criminels ». En effet, bien que le plaignant estime que les commentaires de M. Bock-Côté véhiculent ce préjugé, le chroniqueur n’a pas affirmé ce qui lui est reproché. M. Bock-Côté a plutôt dit, à « La Joute » : « Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît […] L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves » et « Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs […] pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »
Lorsqu’un plaignant reproche à un journaliste ou à un chroniqueur d’avoir fait une affirmation qui ne se trouve pas dans le produit journalistique en cause, le Conseil rejette le grief. C’est ce qu’explique la décision antérieure D2019-02-034, dans laquelle le grief de discrimination a été rejeté parce que le chroniqueur n’avait pas tenu les propos allégués par le plaignant. On peut y lire : « Le Conseil constate effectivement que ce que déplore le plaignant en matière de discrimination n’est pas écrit dans la chronique. Or, pour qu’un grief déontologique soit traité par le Conseil, la plainte doit contenir un manquement significatif, c’est-à-dire exprimé de façon nette et sans ambiguïté. Puisque le plaignant fait erreur sur ce qui est écrit dans la chronique, il n’y a pas, dans cette plainte, de manquement clairement exposé que le Conseil puisse analyser. »
Par ailleurs, le problème de transit d’armes à feu illégales par au moins un territoire autochtone, celui d’Akwesasne, est une réalité documentée par les autorités canadiennes. C’est avant tout la situation géographique particulière de ce territoire – situé à cheval sur les provinces de l’Ontario et de Québec ainsi que sur l’État de New York – qui en fait une porte d’entrée pour de nombreuses armes à feu provenant des États-Unis. Il est également de notoriété publique que les communautés autochtones travaillent en collaboration avec les forces de l’ordre pour tenter de remédier à cette situation.
En soutenant que « l’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves », Mathieu Bock-Côté faisait vraisemblablement état du problème de trafic d’armes à feu illégales qui transitent par le territoire d’Akwesasne. Bien que son exposé aurait gagné à être plus précis et détaillé, le collaborateur de « La Joute » n’a pas affirmé que « toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones », comme l’avance le plaignant. En déplorant que les propos de M. Bock-Côté entretiennent le préjugé que « toutes les communautés autochtones » sont « des trafiquants d’armes et des criminels », le plaignant interprète ce qui a été énoncé.
Un cas d’interprétation semblable a été observé dans le dossier D2019-05-078. Le Conseil devait déterminer si un chroniqueur avait fait preuve de discrimination dans le passage suivant : « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » Le plaignant avançait qu’« avec ses propos [sur le fait] que les musulmans sont violents », le chroniqueur « suscite et attise la haine et le mépris contre les musulmans » et qu’il « encourage indirectement la violence ou à entretenir les préjugés envers eux ». Le Conseil avait toutefois rejeté le grief de discrimination en soulignant que le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur. « La chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ou à entretenir les préjugés envers les musulmans. Le chroniqueur y étaye son opinion au sujet de l’évolution des religions, sans dépasser les limites déontologiques permises au journaliste d’opinion. »
Considérant que le plaignant a attribué à Mathieu Bock-Côté des propos qu’il n’a pas tenus et qu’il a interprété lesdits propos en associant un problème de trafic d’armes à de la discrimination envers les communautés autochtones, le grief de discrimination est rejeté.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Quentin Condo visant une intervention du collaborateur Mathieu Bock-Côté durant le segment « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? » de l’émission « La Joute » diffusée le 5 décembre 2022 sur les ondes de LCN, concernant le grief de discrimination.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse
Maxime Bertrand
Éric Grenier