D2022-12-229 (2)

Décision d’appel

Appelant

Quentin Condo

(représenté par Me Catherine Rivard, de Rivard Fournier, avocats)

Intimés

Mathieu Bock-Côté, panéliste

Émission « La Joute »

LCN, Groupe TVA

Date de dépôt de l’appel

Le 8 février 2024

Date de la décision de la commission d’appel

Le 19 novembre 2024

Date de la décision du comité des plaintes

Le 6 décembre 2023

Rôle de la commission d’appel

Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent évaluer si les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.

Contexte

L’appelant, Quentin Condo, qui était le plaignant en première instance, interjette appel concernant le grief de discrimination entretenant les préjugés rejeté à l’unanimité par le comité des plaintes le 6 décembre 2023. Il s’agissait du seul grief de la plainte initiale.

Le 6 décembre 2022, Quentin Condo déposait une plainte contre le panéliste Mathieu Bock-Côté, LCN et le Groupe TVA concernant le segment « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? », diffusé le 5 décembre 2022, lors de l’émission « La Joute », sur les ondes de LCN.

Quelques jours avant la diffusion du segment visé par la plainte, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau tentait de faire adopter à la Chambre des communes une version amendée et plus restrictive du projet de loi C-21 – aussi appelé Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu) –, visant à resserrer le contrôle des armes à feu au Canada. Cette nouvelle mouture du projet de loi C-21, qui élargissait notamment la définition d’une arme d’assaut, était vivement contestée par certains chasseurs, qui craignaient de voir plusieurs modèles d’armes de chasse devenir illégaux.

Le 5 décembre 2022, l’animateur Paul Larocque abordait le sujet du contrôle des armes à feu lors de l’émission d’affaires publiques quotidienne « La Joute », diffusée à LCN. Trois des collaborateurs réguliers de l’émission – le chroniqueur du Journal de Montréal Mathieu Bock-Côté, l’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette et l’ex-députée péquiste Elsie Lefebvre – étaient invités à donner leur point de vue et à débattre du projet de loi C-21. La plainte de Quentin Condo portait sur les propos tenus par le panéliste Mathieu Bock-Côté au sujet des réserves autochtones, dans le cadre de ce segment intitulé « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? ».

Motif de l’appelant

L’appelant conteste la décision de première instance relativement au grief de discrimination. 

Grief 1 : Discrimination

Principe déontologique applicable

Discrimination : (1) « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments démontrant que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief de discrimination, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache. 

Décision

Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 du Guide a été appliqué correctement par le comité des plaintes.

La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.

Analyse

Quentin Condo, qui était le plaignant en première instance, conteste la décision du comité des plaintes, qui a rejeté le grief de discrimination entretenant le préjugé que « toutes les communautés autochtones » sont « des trafiquants d’armes et des criminels » dans les passages suivants de l’intervention du panéliste Mathieu Bock-Côté lors de l’émission « La Joute » du 5 décembre 2022 : 

« Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît. Mais parce qu’on veut pas s’affronter aux réserves, parce qu’on veut pas se confronter à la question autochtone telle qu’elle se pose aujourd’hui, on décide globalement de s’en prendre à une autre cible. »

« L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves. »

« Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs, qui viennent… pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »

En première instance, le comité des plaintes a rejeté le grief, jugeant que « le plaignant a attribué à Mathieu Bock-Côté des propos qu’il n’a pas tenus et qu’il a interprété lesdits propos en associant un problème de trafic d’armes à de la discrimination envers les communautés autochtones ».

Dans son appel, la représentante de Quentin Condo estime que le comité des plaintes « a erré dans son appréciation des propos [de] Mathieu Bock-Côté en présumant que sa position sur la transition des armes à feu illégales était de notoriété publique ». « Bien que nous prenions acte que la décision du Conseil assimile le problème des armes à feu illégales au territoire de la communauté d’Akwesasne, nous sommes d’avis que le [panéliste] aurait dû être plus précis et sans équivoque dans ses propos et ainsi exprimer clairement que la réserve visée était justement celle d’Akwesasne, si tel était le cas évidemment. »

La représentante poursuit : « À juste titre, le comité des plaintes souligne que les journalistes et les médias d’information doivent s’abstenir d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, dans le cas qui nous occupe, les réserves autochtones, des représentations qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, […] à entretenir les préjugés. Pourtant, c’est ce qui ressort de l’extrait du reportage en question. […] En exprimant un point de vue généralisé, la situation délicate et peu élogieuse aurait dû faire l’objet d’arguments plus précis et cohérents pour exposer la véritable situation. Le tout, afin d’éviter que le journaliste, par ses propos, entretienne des préjugés qui occasionnent une situation discriminatoire et vexatoire à l’ensemble des membres de premières nations. »

La panéliste Mathieu Bock-Côté et LCN n’ont pas formulé de commentaire au sujet de l’appel.

Analysons tout d’abord les points soulevés par Quentin Condo dans son appel. Alors que la représentante de l’appelant estime que le comité des plaintes « a erré dans son appréciation des propos [de] Mathieu Bock-Côté en présumant que sa position sur la transition des armes à feu illégales était de notoriété publique », ce n’est pas ce que le comité des plaintes avance dans sa décision, comme on peut le voir dans l’extrait suivant : 

« Par ailleurs, le problème de transit d’armes à feu illégales par au moins un territoire autochtone, celui d’Akwesasne, est une réalité documentée par les autorités canadiennes. C’est avant tout la situation géographique particulière de ce territoire – situé à cheval sur les provinces de l’Ontario et de Québec ainsi que sur l’État de New York – qui en fait une porte d’entrée pour de nombreuses armes à feu provenant des États-Unis. Il est également de notoriété publique que les communautés autochtones travaillent en collaboration avec les forces de l’ordre pour tenter de remédier à cette situation. »

La représentante de Quentin Condo, tout comme ce dernier en première instance, soutient par ailleurs que le message véhiculé par Mathieu Bock-Côté « ne fait pas la différence entre les diverses communautés, attribuant plutôt l’enjeu des armes à feu illégales à toutes les réserves sans distinction aucune ».

Or, tel que l’a démontré le comité des plaintes en première instance, Mathieu Bock-Côté n’a jamais affirmé ce que l’appelant lui reproche, soit que « toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones », comme on peut le voir à la lecture des trois passages visés par la plainte initiale.

« Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît. Mais parce qu’on veut pas s’affronter aux réserves, parce qu’on veut pas se confronter à la question autochtone telle qu’elle se pose aujourd’hui, on décide globalement de s’en prendre à une autre cible. »

« L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves. »

« Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs, qui viennent… pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »

En plus de ne pas avoir affirmé que « toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones », Mathieu Bock-Côté nuance ses propos, entre autres en utilisant le terme « essentiellement » et en précisant qu’il parle des réserves « que l’on connaît ».

Les réserves autochtones comme lieu de transit des armes de contrebande constituent un problème largement documenté, par des articles de médias reconnus, des études, des positions gouvernementales, des commissions parlementaires et les forces de l’ordre. Bien sûr, tous les territoires autochtones ne sont pas affectés, et ce n’est d’ailleurs pas ce que prétend Mathieu Bock-Côté dans ce segment. Le problème des armes à feu illégales est spécifiquement répertorié dans le territoire mohawk canado-américain d’Akwesasne, situé à cheval sur les provinces de l’Ontario et du Québec, ainsi que l’État de New York, qui comprend trois réserves. C’est sans doute à ce lieu auquel la panéliste fait référence lorsqu’il parle des réserves « que l’on connaît ». Ses propos ne franchissent pas le seuil de la discrimination puisqu’ils reposent sur des faits avérés. Mathieu Bock-Côté s’en tient à désigner les réserves comme lieu de transit des armes à feu illégales, sans jamais prétendre que tous les Autochtones sont des trafiquants d’armes et des criminels, malgré l’interprétation qu’en fait M. Condo.

Le comité des plaintes pouvait s’appuyer, comme il l’a fait, sur la décision D2019-05-078, qui s’applique dans le présent contexte. Dans ce dossier, le Conseil avait rejeté le grief de discrimination parce que le plaignant avait interprété les propos d’un chroniqueur. Dans ce dossier, le Conseil devait déterminer si le chroniqueur avait fait preuve de discrimination dans le passage suivant : « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » Le plaignant avançait qu’« avec ses propos [sur le fait] que les musulmans sont violents », le chroniqueur « suscite et attise la haine et le mépris contre les musulmans » et qu’il « encourage indirectement la violence ou à entretenir les préjugés envers eux ». Le Conseil a toutefois rejeté le grief de discrimination en soulignant que le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur. « La chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ou à entretenir les préjugés envers les musulmans. Le chroniqueur y étaye son opinion au sujet de l’évolution des religions, sans dépasser les limites déontologiques permises au journaliste d’opinion. »

De la même façon, dans le cas présent, Mathieu Bock-Côté n’a pas tenu les propos que lui reproche l’appelant, en plus d’apporter les nuances nécessaires pour éviter de faire preuve de discrimination.

Pour toutes ces raisons, la décision de première instance est maintenue et le grief de discrimination est rejeté.

Conclusion

Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance, concernant le grief de discrimination.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le présent dossier est clos.

La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :

Représentant du public

Jacques Gauthier, président de la commission d’appel

Représentant des journalistes

Lisa-Marie Gervais

Représentant des entreprises de presse

Éric Trottier

Décision de première instance

Plaignant

Quentin Condo

Mis en cause

Mathieu Bock-Côté, collaborateur

Émission « La Joute »

LCN, Groupe TVA

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 6 décembre 2022

Date de la décision

Le 6 décembre 2023

Résumé de la plainte

Quentin Condo dépose une plainte le 6 décembre 2022 au sujet d’une intervention du collaborateur Mathieu Bock-Côté durant le segment « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? » de l’émission « La Joute », diffusée le 5 décembre 2022 sur les ondes de LCN. Le plaignant déplore de la discrimination envers les Autochtones.

Contexte

Au début du mois de décembre 2022, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau tente de faire adopter à la Chambre des communes une version amendée et plus restrictive du projet de loi C-21 – ou Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu) – visant à resserrer le contrôle des armes à feu au Canada. À ce moment, cette nouvelle mouture du projet de loi C-21, qui élargit notamment la définition d’une arme d’assaut, est vivement contestée par certains chasseurs, qui craignent de voir plusieurs modèles d’armes de chasse devenir illégaux.

Le 5 décembre, l’animateur Paul Larocque aborde la question du contrôle des armes à feu dans l’émission d’affaires publiques quotidienne « La Joute », diffusée à LCN. Trois des collaborateurs réguliers de l’émission – le chroniqueur du Journal de Montréal Mathieu Bock-Côté, l’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette et l’ex-députée péquiste Elsie Lefebvre – sont invités à donner leur point de vue et à débattre du projet de loi C-21. La présente plainte porte sur les propos tenus par le collaborateur Mathieu Bock-Côté au sujet des territoires autochtones dans le cadre d’un segment intitulé « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? ».

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Grief du plaignant

Grief 1 : discrimination

Principe déontologique applicable

Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si Mathieu Bock-Côté a tenu des propos discriminatoires qui tendent à entretenir les préjugés envers les Autochtones dans les extraits de l’émission « La Joute » retranscrits ci-dessous.

  • « Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît. Mais parce qu’on veut pas s’affronter aux réserves, parce qu’on veut pas se confronter à la question autochtone telle qu’elle se pose aujourd’hui, on décide globalement de s’en prendre à une autre cible. »
  • « L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves. »
  • « Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs, qui viennent… pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de discrimination.

Analyse

Le plaignant, Quentin Condo, soutient : « […] les journalistes ont dit que toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones (réserves). Ils n’ont fourni aucune preuve de ce qu’ils avancent et aucun fait pour soutenir ces allégations. Ce genre de rhétorique est irresponsable, discriminatoire, fausse et dangereuse. Ces commentaires placent les communautés autochtones dans des positions compromettantes parce qu’ils étiquettent toutes les communautés autochtones comme des trafiquants d’armes et des criminels. C’est tout à fait inacceptable. » (« […] the journalists said that all of the illegal firearms in Quebec/Canada come from Indigenous Communities (Reservations). They did not provide any proof of their claims or facts to support these claims. This type of rhetoric is irresponsible, discriminatory, false and dangerous. These comments put Indigenous People in compromising positions because it labels all Indigenous Communities as firearm traffickers and criminals. This is totally unacceptable. ») 

Il ajoute : « Les remarques discriminatoires faites par M. [Bock-]Côté (qui ont aussi été encouragées par son collègue [Gaétan Barrette]) sont très troublantes parce qu’elles étiquettent les peuples autochtones et les “réserves” comme une zone protégée pour les activités criminelles. Ces remarques alimentent les préjugés à propos des peuples autochtones et de nos communautés. Il n’a jamais identifié une seule communauté et n’a pas fourni la moindre preuve pour soutenir ses affirmations. De telles remarques sont dangereuses pour les peuples autochtones parce qu’il est fort possible qu’un membre de la famille d’une victime de violence par arme à feu se mette à penser que ce que dit M. [Bock-]Côté est vrai. De plus, ces remarques ont un impact négatif sur l’économie autochtone. Si le public croit les mensonges de M. [Bock-]Côté, cela crée une fracture à tous les niveaux, ce qui a pour résultat d’empêcher les non-Autochtones de soutenir nos entreprises actuelles. » (« The discriminatory remarks made by Mr. [Bock-]Côté (that were encouraged as well by his colleague [Gaétan Barrette]) are very disturbing because it labels Indigenous People and “Reservations” as a protected area for criminal activities. These remarks fuel prejudices about Indigenous People and our Communities. He never identified any single community nor did he provide any proof regarding his statements. These remarks are dangerous for Indigenous People because it’s very possible that a family member of those victims of gun violence can easily think that what Mr. [Bock-]Côté said is true. These remarks have a negative impact on Indigenous economy as well. If the audience believes these lies that Mr. [Bock-]Côté is saying, it creates a divide at every level which as a result keeps non Indigenous People from encouraging our existing businesses. »)

Les mis en cause, Mathieu Bock-Côté et le Groupe TVA, n’ont pas répondu à la plainte.

À l’écoute du segment de l’émission « La Joute » visé par la présente plainte, on ne peut conclure que les propos de M. Bock-Côté entretiennent les préjugés allégués par M. Condo, soit que « toutes les communautés autochtones » sont « des trafiquants d’armes et des criminels ». En effet, bien que le plaignant estime que les commentaires de M. Bock-Côté véhiculent ce préjugé, le chroniqueur n’a pas affirmé ce qui lui est reproché. M. Bock-Côté a plutôt dit, à  « La Joute » : « Les armes qui circulent dans les gangs de rue, essentiellement, passent par les réserves que l’on connaît […] L’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves » et « Donc, la raison pour laquelle on parle d’armes à feu en ce moment, c’est les fusillades à répétition qui viennent des gangs […] pis on l’a dit, les armes qui viennent des réserves. »

Lorsqu’un plaignant reproche à un journaliste ou à un chroniqueur d’avoir fait une affirmation qui ne se trouve pas dans le produit journalistique en cause, le Conseil  rejette le grief. C’est ce qu’explique la décision antérieure D2019-02-034, dans laquelle le grief de discrimination a été rejeté parce que le chroniqueur n’avait pas tenu les propos allégués par le plaignant. On peut y lire : « Le Conseil constate effectivement que ce que déplore le plaignant en matière de discrimination n’est pas écrit dans la chronique. Or, pour qu’un grief déontologique soit traité par le Conseil, la plainte doit contenir un manquement significatif, c’est-à-dire exprimé de façon nette et sans ambiguïté. Puisque le plaignant fait erreur sur ce qui est écrit dans la chronique, il n’y a pas, dans cette plainte, de manquement clairement exposé que le Conseil puisse analyser. »

Par ailleurs, le problème de transit d’armes à feu illégales par au moins un territoire autochtone, celui d’Akwesasne, est une réalité documentée par les autorités canadiennes. C’est avant tout la situation géographique particulière de ce territoire – situé à cheval sur les provinces de l’Ontario et de Québec ainsi que sur l’État de New York – qui en fait une porte d’entrée pour de nombreuses armes à feu provenant des États-Unis. Il est également de notoriété publique que les communautés autochtones travaillent en collaboration avec les forces de l’ordre pour tenter de remédier à cette situation.

En soutenant que « l’enjeu, c’est les armes qui passent par les réserves », Mathieu Bock-Côté faisait vraisemblablement état du problème de trafic d’armes à feu illégales qui transitent par le territoire d’Akwesasne. Bien que son exposé aurait gagné à être plus précis et détaillé, le collaborateur de « La Joute » n’a pas affirmé que « toutes les armes à feu illégales au Québec/Canada proviennent des communautés autochtones », comme l’avance le plaignant. En déplorant que les propos de M. Bock-Côté entretiennent le préjugé que « toutes les communautés autochtones » sont « des trafiquants d’armes et des criminels », le plaignant interprète ce qui a été énoncé.

Un cas d’interprétation semblable a été observé dans le dossier D2019-05-078. Le Conseil devait déterminer si un chroniqueur avait fait preuve de discrimination dans le passage suivant : « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » Le plaignant avançait qu’« avec ses propos [sur le fait] que les musulmans sont violents », le chroniqueur « suscite et attise la haine et le mépris contre les musulmans » et qu’il « encourage indirectement la violence ou à entretenir les préjugés envers eux ». Le Conseil avait toutefois rejeté le grief de discrimination en soulignant que le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur. « La chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ou à entretenir les préjugés envers les musulmans. Le chroniqueur y étaye son opinion au sujet de l’évolution des religions, sans dépasser les limites déontologiques permises au journaliste d’opinion. »

Considérant que le plaignant a attribué à Mathieu Bock-Côté des propos qu’il n’a pas tenus et qu’il a interprété lesdits propos en associant un problème de trafic d’armes à de la discrimination envers les communautés autochtones, le grief de discrimination est rejeté.

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Quentin Condo visant une intervention du collaborateur Mathieu Bock-Côté durant le segment « Contrôle des armes à feu : le fédéral se trompe-t-il de cible? » de l’émission « La Joute » diffusée le 5 décembre 2022 sur les ondes de LCN, concernant le grief de discrimination.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes

Mathieu Montégiani

Représentantes des journalistes

Sylvie Fournier

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Maxime Bertrand

Éric Grenier