D2023-01-001

Plaignant

François Perreault

Mis en cause

Michel Jean, chef d’antenne

TVA, Groupe TVA

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 4 janvier 2023

Date de la décision

Le 26 janvier 2024

Résumé de la plainte

François Perreault dépose une plainte le 4 janvier 2023 au sujet d’un commentaire que le chef d’antenne de TVA Michel Jean a publié sur son compte Twitter (maintenant appelé X) le 30 décembre 2022. Le plaignant déplore de la partialité.

Contexte

Le 29 décembre 2022, le chef d’antenne de TVA Michel Jean partage sur Twitter un texte d’opinion de l’enseignant et militant abénakis Xavier Watso paru dans La Presse et portant sur l’apprentissage des langues autochtones. Dans son message, Michel Jean publie le lien vers le texte et fait ressortir la citation suivante de M. Watso : « Quelle est la dernière fois que vous avez consciemment essayé d’apprendre un seul mot dans l’une des 11 langues autochtones présentes au Québec? »

Le lendemain, le 30 décembre 2022, Michel Jean écrit sur Twitter :

« Hier j’ai partagé une chronique suggérant d’apprendre quelques mots de langues autochtones comme on le fait souvent de langues étrangères. J’ai dû bloquer 53 profils haineux ou méprisants. 50% conspis, 50% avec un drapeau du Québec. Je dis ça de même… #racisme »

Ce dernier commentaire publié sur le compte Twitter personnel de Michel Jean est l’objet de la plainte.

Règlement applicable

Décisions du comité des plaintes : « Le comité des plaintes décide de la recevabilité de la plainte, si nécessaire, et s’il y a eu manquement au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. » (article 27.01 du Règlement 2 : Règlement sur l’étude des plaintes du public)

Dans le cas présent, le comité des plaintes s’est d’abord penché sur la recevabilité de la plainte.

Portée du Guide de déontologie journalistique

Mise en œuvre : « (2) Aux fins de ce Guide, les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent, sans égard au support utilisé, ce qui comprend les comptes de médias sociaux qu’ils exploitent. (3) La responsabilité des médias d’information à l’égard de ce qu’ils publient ou diffusent ne dégage pas les journalistes de leurs propres responsabilités quant à leurs actes et productions journalistiques, peu importe le support utilisé. » (article 4 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Principe déontologique visé par la plainte

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide)

Plainte jugée non recevable

Décision

Le comité des plaintes juge irrecevable à la majorité (5 sur 6) la plainte déposée contre Michel Jean, car elle ne vise pas un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec.

Analyse

Le plaignant affirme : « Michel Jean (chef d’antenne du bulletin TVA Nouvelles) a maladroitement associé le drapeau du Québec au racisme dans une déclaration hostile et haineuse. Il est inacceptable qu’un lecteur de nouvelles trace ainsi un parallèle entre le nationalisme québécois et le racisme. Cela démontre une mauvaise foi et une absence de jugement. »

« À titre de chef d’antenne dans un grand réseau, M. Jean a un devoir de neutralité, poursuit le plaignant. S’il veut faire du militantisme ou de la propagande haineuse, qu’il quitte son poste. »

Ayant pris connaissance de la plainte, Michel Jean explique au Conseil : « En tant que journaliste autochtone, je suis constamment pris à partie sur les réseaux sociaux. Des commentaires racistes ou dégradants. C’est une réalité quand on est Autochtone et c’est une chose avec laquelle n’ont pas à composer les allochtones. […] C’est une raison pour [laquelle] si peu de gens des communautés culturelles et autochtones pratiquent notre métier. »

Michel Jean ajoute : « J’ai longtemps gardé pour moi mon origine autochtone justement parce que je ne voulais pas subir ce genre de comportement. […] Je bloque systématiquement ces gens, dont l’individu qui a porté plainte auprès du Conseil […]. »

La plainte vise l’article 9 c) du Guide, qui se lit comme suit : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. »

Cependant, bien que l’impartialité soit un principe du Guide, ce principe doit viser un contenu journalistique. Dans le cas présent, les membres du comité des plaintes jugent à la majorité (5 sur 6) que la publication en cause n’est pas de nature journalistique.

Considérons en premier lieu la plateforme sur laquelle M. Jean a tenu ses propos. Les décisions antérieures du Conseil stipulent que le compte Twitter personnel d’un journaliste ne correspond pas à un média d’information. La décision D2014-12-064 (2), confirmée par la commission d’appel, précise à cet effet :

« Le Conseil estime que le fait pour un journaliste de posséder un compte sur un réseau social comme Twitter ou Facebook ne fait pas de ce compte un média d’information. […] Le Conseil souligne que les journalistes sont aussi des citoyens et que la déontologie n’a pas pour effet de les priver des droits et libertés qu’on considère comme acquis aux autres personnes de façon générale. […] Le fait que les publications du journaliste sur ses comptes soient considérées comme publiques, que les commentaires du journaliste sur son compte soient publics et les commentaires de ses abonnés le soient aussi n’enlève pas le caractère personnel (qu’il ne faut pas confondre avec privé) du compte. […] Le Conseil en conclut qu’une plainte contre un journaliste qui bloque un utilisateur sur son compte Twitter n’est pas recevable, car elle ne relève pas de la déontologie journalistique. »

De la même façon, dans le cas présent, le compte Twitter (X) personnel de Michel Jean, où il se présente comme « Innu. Chef d’Antenne TVA midi. Écrivain », n’est pas un média d’information.

Il faut ensuite analyser si une plainte de partialité contre un journaliste qui réagit sur son compte Twitter personnel, hors du cadre d’une couverture journalistique, à des commentaires qu’il a reçus, constitue un manquement potentiel au Guide de déontologie.

Puisque la publication de Michel Jean était une réaction personnelle à des commentaires émis à la suite du partage d’un texte d’opinion dont il n’était pas l’auteur, le Conseil conclut qu’il ne peut pas la traiter sous le principe de partialité dans un produit journalistique.

En effet, la portée du Guide de déontologie ne s’étend pas aux commentaires personnels d’un journaliste qui n’ont aucun lien avec une de ses productions journalistiques. Tel que stipulé au principe 4 sur la Mise en œuvre du Guide, « les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent ». Le Guide poursuit : « La responsabilité des médias d’information à l’égard de ce qu’ils publient ou diffusent ne dégage pas les journalistes de leurs propres responsabilités quant à leurs actes et productions journalistiques […]. »

Le comité des plaintes ayant conclu à la majorité (5 sur 6) que le commentaire de Michel Jean ne constitue ni un acte journalistique ni une production journalistique, la plainte est irrecevable parce qu’elle se trouve hors de la portée du Guide.

Un membre dissident estime pour sa part que toute contribution à un compte public de réseau social par un journaliste, lorsqu’il s’identifie à sa fonction journalistique – dans ce cas-ci « Chef d’Antenne TVA midi » –, constitue un produit journalistique et doit être soumise à l’ensemble des articles du Guide.

Les membres majoritaires soutiennent qu’en vertu du champ d’action du Guide de déontologie journalistique, le principe de partialité s’applique uniquement à un produit journalistique. 

Il est cependant important de souligner que, même si un commentaire sur un compte personnel hors couverture journalistique n’est pas tenu au principe déontologique d’impartialité, cela ne signifie pas que les journalistes peuvent écrire n’importe quoi sur les réseaux sociaux. Si un journaliste écrit un message sur un réseau social dans le cadre d’une couverture journalistique pour un média d’information (par exemple, un journaliste qui couvre une manifestation en direct pour un média d’information et relate, dans le cadre de cette couverture, les événements sur une plateforme comme X), il sera tenu au principe d’impartialité. 

Par ailleurs, les journalistes ont un devoir de réserve sur les réseaux sociaux, comme partout ailleurs, pour ne pas compromettre leur indépendance et leur intégrité journalistique. Ils doivent, par exemple, éviter tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts avec leur travail journalistique. L’article 6 du Guide, sur l’indépendance et l’intégrité, précise en effet que : « Les journalistes doivent éviter, autant dans leur vie professionnelle que personnelle, tout comportement, engagement, fonction ou tâche qui pourrait les détourner de leur devoir d’indépendance et d’intégrité. »

En effet, comme le rappelle la décision D2012-12-064 (2), « la liberté d’expression des journalistes et la libre gestion de leurs réseaux sociaux ne les soustraient pas à leur devoir déontologique d’indépendance et d’intégrité dans le contenu qu’ils produisent, qu’il soit à titre personnel ou dans le cadre de leur travail ». Rappelons cependant que dans le cas présent, le plaignant ne déplore pas un manquement en vertu de l’article 6 du Guide (Indépendance et intégrité), mais de l’article 9 c) qui traite de l’impartialité dans un produit journalistique. Les commentaires de Michel Jean n’ayant pas été écrits dans le contexte d’une couverture journalistique, la plainte est irrecevable.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec juge irrecevable la plainte de François Perreault concernant un grief de partialité visant le commentaire de Michel Jean publié sur Twitter.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes

Lisa-Marie Gervais

Daniel Leduc

Représentants des entreprises de presse

Marie-Andrée Chouinard

Jean-Philippe Pineault